LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 23-86.596 F-B
N° 00470
ODVS
8 AVRIL 2025
CASSATION PARTIELLE
IRRECEVABILITE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 8 AVRIL 2025
Mme [K] [L], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 10 novembre 2023, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de Mme [C] [D] du chef d'outrage.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de Mme [K] [L], les observations de Me Brouchot, avocat de Mme [C] [D], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [C] [D] a été poursuivie du chef d'outrage envers une personne chargée d'une mission de service public, la plaignante exerçant les fonctions de gardienne d'immeuble pour le compte de la Régie immobilière de la ville de [Localité 1].
3. Par jugement du 8 octobre 2021, le tribunal correctionnel a déclaré la prévenue coupable et l'a condamnée à indemniser le préjudice de la plaignante.
4. Mme [D] a relevé appel de cette décision, et le ministère public appel incident.
Examen de la recevabilité du pourvoi
5. Il résulte de l'article 567 du code de procédure pénale que la partie civile est sans qualité pour contester le bien-fondé de la décision rendue sur l'action publique.
6. Le pourvoi doit en conséquence être déclaré irrecevable en tant qu'il est dirigé contre les dispositions pénales de l'arrêt attaqué.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen, pris en ses première et deuxième branches, critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a relaxé la prévenue des fins de la poursuite et a en conséquence débouté la partie civile de ses demandes d'indemnisation, alors :
« 1°/ que l'outrage est caractérisé lorsque des paroles, gestes ou menaces sont adressés à une personne chargée d'une mission de service public ; que l'existence d'une mission de service public ne dépend pas de l'attribution de prérogatives de puissance publique ; qu'en considérant que « pour être chargée d'une mission de service public une personne doit s'être vu confier la gestion d'une politique qui relève des prérogatives des pouvoirs publics », pour en déduire que la partie civile n'était pas chargée d'une mission de service public, la cour d'appel a méconnu l'article 433-5 du code pénal ;
2°/ que l'outrage est caractérisé à l'égard d'une personne chargée d'une mission de service public, au nombre desquelles figurent les agents exerçant pour le compte d'un bailleur des fonctions de gardiennage ou de surveillance d'immeubles à usage d'habitation ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que la partie civile exerçait des fonctions de gardienne d'immeubles abritant des logements sociaux pour la Régie immobilière de la ville de [Localité 1], en sorte qu'elle était chargée d'une mission de service public et que les agressions verbales poursuivies relevaient de l'infraction d'outrage ; qu'en retenant que tel n'était pas le cas, la cour d'appel a méconnu l'article 433-5 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 433-5 du code pénal :
8. Selon ce texte, constituent un outrage les paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne chargée d'une mission de service public, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.
9. Pour dénier à la plaignante, gardienne d'immeuble pour le compte de la Régie immobilière de la ville de [Localité 1], la qualité de personne chargée d'une mission de service public, l'arrêt attaqué énonce que son employeur est une société anonyme à conseil d'administration et qu'il n'est donc pas établi que la salariée se soit vu confier la gestion d'une politique publique et soit ainsi chargée d'une mission de service public.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
11. En effet, doit être regardée comme chargée d'une mission de service public, au sens de l'article 433-5 du code pénal, toute personne chargée, directement ou indirectement, d'accomplir des actes ayant pour but de satisfaire à l'intérêt général, peu important qu'elle ne dispose d'aucun pouvoir de décision au nom de la puissance publique.
12. En l'espèce, la partie civile exerce les fonctions de gardienne d'immeuble pour le compte d'un bailleur social, et ses fonctions participent à satisfaire à l'intérêt général de sécurité et de tranquillité des lieux défendu par les pouvoirs publics, ainsi qu'en témoigne la convention de partenariat signée à cette fin entre le préfet, le procureur de la République, la commune et le bailleur social concerné qui est produite au débat.
13. À ce titre, la partie civile, qui a dénoncé des faits survenus dans l'exercice de ses fonctions, devait se voir reconnaître la qualité de personne chargée d'une mission de service public au sens de l'article précité.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner le troisième grief.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation sera limitée aux seules dispositions civiles de l'arrêt, la relaxe de la prévenue ayant acquis autorité de chose jugée. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur le pourvoi formé contre les dispositions pénales :
Le DÉCLARE IRRECEVABLE ;
Sur le pourvoi formé contre les dispositions civiles :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 10 novembre 2023, mais en ses seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du huit avril deux mille vingt-cinq.