LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° G 23-85.084 F-D
N° 00364
GM
2 AVRIL 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 2 AVRIL 2025
M. [P] [V] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 7 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 4 juillet 2023, qui, dans l'information contre personne non dénommée des chefs notamment de blanchiment aggravé et association de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance de saisie pénale rendue par le juge d'instruction.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de Mme Clément, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [P] [V], les observations de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de l'Etat du Liban et les conclusions de Mme Chauvelot, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Clément, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une information contre personne non dénommée a été ouverte des chefs susvisés.
3. Le 30 mars 2022, le juge d'instruction a ordonné le maintien de la saisie, opérée par procès-verbal du 25 mars 2022, des soldes créditeurs, d'un montant respectif de 42 154,47 euros et 50 474,39 dollars, de deux comptes dont M. [P] [V] est titulaire au sein de la banque [7].
4. M. [P] [V] a relevé appel de cette ordonnance.
Examen des moyens
Sur les premier et troisième moyens
5. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné le maintien de la saisie, opérée par procès-verbal du 25 mars 2022, du solde créditeur de deux comptes dont M. [P] [V] est titulaire au sein de la banque [7], alors « que lorsque la chambre de l'instruction statue sur le recours du tiers appelant sur le maintien de la saisie de sommes inscrites au crédit d'un compte bancaire, les mentions de l'arrêt doivent énoncer que le tiers appelant a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste et, le cas échéant, aux pièces précisément identifiées sur lesquelles la chambre de l'instruction se fonde pour justifier la mesure dans ses motifs décisoires, ainsi qu'identifier, directement ou par renvoi à un inventaire éventuellement dressé par le procureur général, chacune des pièces mises à disposition de l'avocat du tiers appelant ; qu'en l'espèce, l'arrêt se borne à mentionner que « les réquisitions du procureur de la République financier du 22 mars 2022 ont été versées au dossier de la chambre de l'instruction » et que « le dossier comprenant le réquisitoire écrit de M. le procureur général en date du 25 octobre 2022, a été déposé au greffe de la chambre de l'instruction et tenu à la disposition des avocats des parties » ; que les mentions de l'arrêt n'énoncent pas que l'exposant a eu accès aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il contestait et aux pièces précisément identifiées - notamment les résolutions du Comité central de la [1], le détail des comptes de la société [4] et les ordres de virement ([8]) - sur lesquelles la chambre de l'instruction s'est fondée pour justifier la mesure dans ses motifs décisoires et n'identifient pas, directement ou par renvoi à un inventaire, chacune des pièces mises à disposition de l'avocat de l'exposant ; que, partant, la chambre de l'instruction a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et 706-154 du code de procédure pénale ainsi que les principes précités. »
Réponse de la Cour
7. Pour confirmer l'ordonnance du juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce que le 15 décembre 2022, le dossier comprenant le réquisitoire écrit du procureur général en date du 25 octobre 2022 a été déposé au greffe de la chambre de l'instruction et tenu à la disposition des avocats des tiers appelants et des parties civiles, et que le versement au dossier de l'avis du procureur national financier du 22 mars 2022 a été autorisé par arrêt avant dire droit du 7 mars 2023.
8. Les juges retiennent que M. [K] [V], gouverneur de la [1], aurait obtenu du comité central de celle-ci l'autorisation de rédiger un contrat entre cette institution et la société [4] dont son frère, M. [E] [V], est le bénéficiaire économique, de sorte qu'il a fait transiter plus de 326 000 000 dollars d'un compte libanais vers un compte de la société [4].
9. Ils relèvent qu'il a participé aux délibérations litigieuses et a signé les décisions de la [1] en relation avec le versement de commissions à ladite société.
10. Ils précisent qu'il existe une contradiction entre le montant des commissions perçues et le plafond d'autorisation ou d'acceptation des certificats de dépôt, ainsi que des anomalies dans les décisions de la [1] liées à des dépassements de plafonds de commissions, des discordances entre les numéros des résolutions portés sur les ordres de virement ([8]) et les opérations définies dans lesdites résolutions.
11. Ils en déduisent qu'il existe des indices graves ou concordants de commission des infractions d'origine de détournement de biens publics et d'abus de confiance, aggravés, et ce, notamment, à l'encontre de M. [K] [V].
12. Ils ajoutent que pendant la même période, celui-ci s'est constitué un patrimoine immobilier, grâce à des flux financiers provenant notamment du compte luxembourgeois de la société [2] au bénéfice de sociétés utilisées pour l'acquisition de biens immobiliers, dont la société [5].
13. Ils précisent qu'au cours des années 2012, 2013, 2016 et 2020, cette société a acquis plusieurs biens immeubles au Royaume-Uni pour un prix total de 33 millions de livres anglaises, les actes d'acquisition étant signés par M. [P] [V], fils de M. [K] [V], représentant légal de la société [5] et administrateur de la société [2].
14. Ils relèvent que l'analyse des flux bancaires des comptes suisses de la société [4] et de M. [E] [V] et des comptes luxembourgeois des sociétés [2] et [5] et de M. [K] [V] permet de mettre en exergue un enchaînement des opérations dans le temps et pour des montants équivalents ou proches depuis le compte suisse de la société [4] jusqu'au compte de la société [5].
15. Ils retiennent que le fait que M. [P] [V] soit administrateur de la société [2] et l'un des représentants légaux de la société [5] induit l'existence d'indices graves ou concordants rendant vraisemblable sa participation à ces faits de blanchiment, les immeubles étant l'objet de l'infraction.
16. Ils ajoutent que le 3 janvier 2017, la société panaméenne [6] a transféré à M. [K] [V] la propriété du bien immobilier situé « [Adresse 3] », sans contrepartie financière et que, le lendemain, la propriété dudit bien a été transférée dans les mêmes conditions par M. [K] [V] à son fils M. [P] [V], alors que la valeur de l'immeuble est estimée à 3 500 000 livres anglaises.
17. Ils observent que cette opération constitue encore des faits de blanchiment pour lesquels il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que M. [P] [V] y ait participé.
18. Ils retiennent que la somme inscrite au crédit du compte saisi de ce dernier représente en valeur l'objet du blanchiment.
19. En cet état, la Cour de cassation n'est pas en mesure de s'assurer que le tiers appelant, d'une part, a eu accès aux pièces auxquelles il peut prétendre en application de l'article 706-154 du code de procédure pénale, d'autre part, a eu communication, le cas échéant, de celles auxquelles la chambre de l'instruction est tenue de lui donner accès pour le respect du principe du contradictoire.
20. Toutefois, l'arrêt n'encourt pas la censure, pour les motifs qui suivent.
21. D'une part, si, lorsque la chambre de l'instruction s'appuie, pour justifier la mesure, sur des pièces précisément identifiées de la procédure, elle est tenue de s'assurer que celles-ci ont été communiquées à l'appelant, en l'espèce il ne ressort pas, au-delà du rappel des faits, des motifs décisoires de l'arrêt que les juges se soient fondés sur des pièces précisément identifiées de la procédure qui n'auraient pas été communiquées à l'appelant. Dès lors, la chambre de l'instruction n'était pas tenue de donner communication aux avocats du tiers appelant des pièces mentionnées au moyen.
22. D'autre part, dans son mémoire devant la chambre de l'instruction, le demandeur a fait état de l'ordonnance de saisie, qu'il a analysée pour en tirer les moyens de sa cause.
23. Enfin, il n'allègue pas qu'il n'aurait pas eu accès aux autres pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu'il conteste.
24. Ainsi, le moyen ne peut être accueilli.
Sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
25. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné le maintien de la saisie, opérée par procès-verbal du 25 mars 2022, du solde créditeur de deux comptes dont M. [P] [V] est titulaire au sein de la banque [7], alors « que le juge qui ordonne la saisie d'un bien appartenant à une personne, alors qu'il ne résulte pas des pièces de la procédure de présomptions qu'elle a bénéficié de la totalité du produit de l'infraction, doit apprécier, lorsque cette garantie est invoquée, si l'atteinte à son droit de propriété est proportionnée à sa situation personnelle et à la gravité concrète des faits s'agissant de la partie du produit de l'infraction dont elle n'aurait pas tiré profit ; qu'en l'espèce, selon la chambre de l'instruction, le total du produit des infractions s'élevait à 330 millions d'euros, tandis que l'exposant avait bénéficié, selon elle, du transfert par son père, sans contrepartie financière, de l'appartement de Broadwalk House estimé à 3.500.000 GBP et des sommes inscrites sur ses comptes bancaires saisis d'un montant de moins de 100 000 euros, ce dont il résultait que l'exposant n'avait pas bénéficié de la totalité du produit des infractions visées à la prévention ; qu'en se bornant à énoncer que « le montant total des saisies pénales mobilières et immobilières réalisées en France, en Belgique et au Royaume-Uni s'élève à 82.027.247,16 euros de sorte que la présente saisie pénale sur le fondement de l'article 131-21 alinéa 9 est proportionnée » et qu'« elle est encore proportionnée à la valeur du produit des infractions dont a bénéficié [P] [V] au travers de la libre disposition des biens immobiliers et des fonds détournés puis blanchis », sans vérifier, comme elle y était invitée, si l'atteinte au droit de propriété de l'exposant était proportionnée à sa situation personnelle et à la gravité concrète des faits s'agissant de la partie du produit des infractions dont il n'avait pas tiré profit, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal et 706-154 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
26. Pour confirmer la saisie, l'arrêt attaqué énonce qu'il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de M. [K] [V] aux infractions d'origine et celle de MM. [K] [V] et [P] [V] à celle de blanchiment.
27. Les juges retiennent que la somme inscrite au crédit du compte de M. [P] [V] représente en valeur l'objet du blanchiment.
28. Ils relèvent que le montant du produit des infractions de détournement de fonds publics, abus de confiance aggravés et blanchiment en bande organisée de ces délits s'établit au minimum à 330 millions d'euros.
29. Ils observent que le montant total des saisies pénales mobilières et immobilières réalisées en France, en Belgique et au Royaume-Uni s'élève à 82 027 247,16 euros, de sorte que la présente saisie pénale sur le fondement de l'article 131-21, alinéa 9, du code pénal est proportionnée.
30. Ils ajoutent qu'elle l'est aussi à la valeur du produit de l'infraction dont a bénéficié M. [P] [V] au travers de la libre disposition des biens immobiliers et des fonds détournés puis blanchis.
31. En se déterminant ainsi, après avoir relevé que le bien est confiscable au titre d'objet de l'infraction et que le maintien de la saisie de l'objet ou du produit de l'infraction n'est pas subordonné à la mise en oeuvre d'un contrôle de proportionnalité de l'atteinte portée au droit de propriété, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.
32. Ainsi, le moyen doit être écarté.
33. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.