LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 avril 2025
Rejet
M. PONSOT, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 192 F-D
Pourvoi n° X 24-11.202
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 AVRIL 2025
M. [R] [F], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 24-11.202 contre l'arrêt rendu le 19 décembre 2023 par la cour d'appel de Grenoble (1re chambre civile), dans le litige l'opposant au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, domicilié [Adresse 2], agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques, défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Alt, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [F], de la SCP Foussard et Froger, avocat du directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques, après débats en l'audience publique du 11 février 2025 où étaient présents M. Ponsot, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Alt, conseiller rapporteur, Mme Graff-Daudret, conseiller, et M. Doyen, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 19 décembre 2023), rendu sur renvoi après cassation (Com., 15 mars 2023, pourvoi n° 20-20.189), le 21 septembre 2012, l'administration fiscale a notifié à M. et Mme [F] une proposition de rectification de leur impôt de solidarité sur la fortune (ISF) au titre des années 2006 à 2010, estimant notamment qu'il y avait lieu d'inclure dans l'assiette taxable de cet impôt la valeur des parts qu'ils détenaient dans la société civile immobilière (SCI) La Parva, propriétaire d'un chalet et d'immeubles annexes situés à Courchevel, proposés à la location meublée.
2. Après rejet de sa réclamation, M. [F] a assigné l'administration fiscale afin d'obtenir la décharge partielle des droits supplémentaires réclamés.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. M. [F] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à la décharge des impositions à hauteur de 334 512 euros et à une restitution de droits à hauteur de 16 662 euros et de confirmer la décision de rejet de sa réclamation, alors :
« 1°/ que sont considérés comme des biens professionnels au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meublés par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux, qui, inscrites au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueurs professionnels, réalisent plus de 23 000 ¿ de recettes annuelles et retirent de cette activité plus de 50 % des revenus à raison desquels le foyer fiscal auquel elles appartiennent est soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés ; que des locaux loués meublés peuvent ainsi être qualifiés de biens professionnels exonérés d'ISF si le produit de leur location est soumis à l'impôt sur le revenu du redevable de l'ISF dans l'une des catégories précitées ; que cette condition s'apprécie exclusivement en la personne du redevable de l'ISF ; qu'en l'espèce, M. [F] faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la SCI La Parva n'avait pas été assujettie à l'impôt sur les sociétés pour les revenus des locations meublées sur les années litigieuses 2008 à 2010, mais qu'au contraire il avait régulièrement déclaré en son nom personnel les résultats de l'activité locative dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et offrait de le prouver en produisant les extraits du registre des commerces et des sociétés établissant qu'il était immatriculé en son nom personnel en tant que loueur de meublés professionnel, une attestation de son expert-comptable et une proposition de régularisation de TVA du 7 septembre 2012 au titre des locations meublées que lui avait adressée l'administration à son nom personnel ; que la cour d'appel a néanmoins affirmé que la SCI La Parva avait exercé à compter de 2004 l'activité de location de meublés, activité commerciale, de ce fait assujettie à l'impôt sur les sociétés, pour en déduire que "le produit de la location du chalet dont la SCI La Parva est propriétaire ne peut être soumis à l'impôt sur le revenu de M. [F] dans la catégorie ¿bénéfices industriels et commerciaux', étant relevé que M. [F] n'est redevable de cet impôt que sur les dividendes éventuellement distribués par la SCI dans la catégorie ¿revenus des capitaux mobiliers'" et in fine que "le produit de la location du chalet La Parva n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu de M. [F], redevable de l'ISF, dans l'une des catégories visées à l'article 885 R du code général des impôts" ; qu'en se fondant ainsi sur la situation fiscale de la SCI La Parva pour en déduire celle de M. [F], quand il lui appartenait exclusivement de rechercher, comme elle y était invitée, si, concrètement, les revenus des locations meublées litigieuses n'avaient pas été soumis, durant les années litigieuses, à l'impôt sur le revenu de M. [F] dans l'une des catégories admises, en l'occurrence celle des bénéfices industriels et commerciaux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 885 R du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige ;
2°/ que le juge, tenu de motiver sa décision, doit préciser l'origine de ses constatations ; qu'en affirmant péremptoirement que la SCI La Parva avait exercé l'activité de location de meublés et que M. [F] n'avait été redevable de l'impôt sur le revenu que sur les dividendes éventuellement distribués par la SCI, sans à aucun moment préciser d'où elle tenait pour acquis de tels faits, qui étaient contestés, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
3°/ que les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, tant par leur propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont considérés comme des biens professionnels ; qu'aux termes de la doctrine administrative publiée, le caractère de bien professionnel est reconnu lorsque la location ou la mise à disposition du bien, faite directement par son propriétaire ou par une société dont il détient des droits sociaux, ne prive pas en fait le propriétaire du bien ou des droits de la possibilité d'utiliser les biens pour les besoins exclusifs de son activité professionnelle exercée à titre principal ; qu'en l'espèce, M. [F] se prévalait dans ses conclusions d'appel de la doctrine administrative relative à l'exonération d'ISF pour les biens professionnels et faisait valoir qu'il avait bénéficié de la mise à disposition, par la SCI La Parva dont il détenait des parts, des immeubles de cette SCI pour les besoins de son activité principale de loueur de meublés professionnel ; qu'en se bornant à indiquer que "M [F] fait une analyse erronée de la doctrine administrative et ne justifie nullement remplir les conditions exposées par celle-ci pour soutenir que les titres de la SCI La Parva ne seraient pas imposables à l'ISF", sans expliquer concrètement quelles conditions n'étaient pas remplies dans le cas personnel de M. [F], la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et a privé sa décision de base légale au regard des articles 885 N du code général des impôts et L.80 A du livre des procédures fiscales ;
4°/ que les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, tant par leur propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont considérés comme des biens professionnels ; qu'aux termes de la doctrine administrative publiée, le caractère de bien professionnel est reconnu lorsque la location ou la mise à disposition du bien, faite directement par son propriétaire ou par une société dont il détient des droits sociaux, ne prive pas en fait le propriétaire du bien ou des droits de la possibilité d'utiliser les biens pour les besoins exclusifs de son activité professionnelle exercée à titre principal ; qu'en retenant, par motif présumé adopté, que M. [F] était "détenteur de parts de la SCI Parva et bénéficiaire, non pas à titre exclusif, mais de façon principale de cette activité de loueurs de meublés professionnels", pour en déduire qu'il ne justifiait pas des conditions lui permettant de se prévaloir de la doctrine administrative invoquée, quand cette doctrine ne conditionnait pas le bénéfice de l'exonération au caractère exclusif de l'activité professionnelle mais seulement au caractère principal de celle-ci, la cour d'appel a violé les articles 885 N du code général des impôts et L.80 A du livre des procédures fiscales. »
Réponse de la Cour
5. Aux termes de l'article 885 E, du code général des impôts, alors applicable, l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes visées à l'article 885 A, ainsi qu'à leurs enfants mineurs lorsqu'elles ont l'administration légale des biens de ceux-ci.
6. Selon le dernier alinéa de l'article 885 A du même code, alors applicable, les biens professionnels définis aux articles 885 N à 885 R du même code ne sont pas pris en compte pour l'assiette de l'ISF.
7. Aux termes de l'article 885 R du même code, alors applicable, sont considérés comme des biens professionnels au titre de l'ISF les locaux d'habitation loués meublés ou destinés à être loués meublés par des personnes louant directement ou indirectement ces locaux, qui, inscrites au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueurs professionnels, réalisent plus de 23 000 euros de recettes annuelles et retirent de cette activité plus de 50 % des revenus à raison desquels le foyer fiscal auquel elles appartiennent est soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices agricoles, bénéfices non commerciaux, revenus des gérants et associés mentionnés à l'article 62 du même code.
8. Les locaux loués meublés ne peuvent être qualifiés de biens professionnels exonérés d'ISF, au sens de ce texte, que si le produit de leur location est soumis à l'impôt sur le revenu du redevable de l'ISF dans l'une des catégories précitées.
9. Il résulte de la combinaison des articles 206, 2°, et 34 du code général des impôts que les sociétés civiles immobilières sont de plein droit assujetties à l'impôt sur les sociétés lorsqu'elles exercent une activité commerciale ou industrielle.
10. Après avoir relevé que la société La Parva avait exercé à partir de 2004 une activité consistant à proposer la location de logements meublés, l'arrêt retient exactement qu'à compter de cette date, cette société exerçait une activité commerciale et était par conséquent assujettie à l'impôt sur les sociétés, de sorte que les produits de la location du chalet dont elle est propriétaire ne pouvait plus être soumis à l'impôt sur le revenu de M. [F] dans la catégorie « bénéfices industriels et commerciaux ».
11. En l'état de ces énonciations et appréciations, la cour d'appel, qui n'avait pas à effectuer la recherche inopérante visée par la deuxième branche, a retenu à bon droit que les parts que M. [F] détenait dans la SCI La Parva ne constituaient pas des biens professionnels au sens de l'article 885 R du code général des impôts.
12. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
13. M. [F] fait le même grief à l'arrêt, alors :
« 1°/ que l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant au redevable ; que les dettes sont prises en compte à la date de la naissance de l'engagement, et non à la date d'exigibilité ou du paiement ; qu'en l'espèce, M. [F] faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la somme de 3 750 000 ¿ qui lui avait été versée par la SCI La Parva le 7 mai 2009 constituait une dette de sa part envers la SCI, car il ne s'agissait que d'une avance sur une vente potentielle ; que la cour d'appel a constaté que la somme de 3 750 000 ¿ virée par la SCI La Parva le 7 mai 2009 sur le compte personnel de M. [F] était une avance calculée sur ses parts du fait de la signature d'un compromis de vente d'un chalet ; qu'il en ressortait qu'en l'état d'une simple avance, M. [F] restait redevable, dès cette date du 7 mai 2009, d'une dette de restitution envers la SCI La Parva d'un même montant, tant que la vente n'était pas finalisée ; qu'en retenant néanmoins qu'il n'existait aucune dette au 1er janvier 2010, au motif que l'annulation du compromis de vente n'avait été conclue que par convention du 18 février 2010 qui prévoyait une restitution en avril 2011, quand l'existence de la dette préexistante de M. [F] ne dépendait pas de cette convention mais résultait du versement initial du 7 mai 2009, la cour d'appel a violé les articles 768 et 885 E du code général des impôts.
2°/ que l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant au redevable ; que si la valeur prise en compte doit certes être celle au 1er janvier de l'année d'imposition litigieuse, elle peut être rétroactivement réévaluée en cas de survenance d'un acte ayant un effet rétroactif ; qu'en l'espèce, en retenant qu'il n'existait aucune dette au 1er janvier 2010, au motif que la convention d'annulation du compromis de vente du 30 avril 2009 n'avait été conclue que par convention du 18 février 2010 qui prévoyait une restitution en avril 2011, quand l'annulation du compromis était réputée produire effet rétroactivement à la date de conclusion dudit compromis, antérieure au 1er janvier 2010, la cour d'appel a violé les articles 768 et 885 E du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
14. Il résulte des dispositions des articles 768 et 885 E, ce dernier alors applicable, que, pour être déductible de l'assiette de l'ISF, une dette doit être certaine au jour du fait générateur de l'impôt, soit au 1er janvier de l'année d'imposition et que cette déduction ne peut être rétroactive.
15. Ayant relevé que l'annulation du compromis de vente du 30 avril 2009 par la convention du 18 février 2010 prévoyait que la somme de 3 750 000 euros, versée à titre d'acompte à M. [F] serait restituée le 20 avril 2011, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il n'existait au 1er janvier 2010 aucune dette dont le contribuable pouvait utilement se prévaloir.
16. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. [F] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [F] et le condamne à payer au directeur régional des finances publiques de Provence-Alpes-Côte d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône, agissant sous l'autorité de la directrice générale des finances publiques, la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux avril deux mille vingt-cinq.