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02/04/2025 | FRANCE | N°12500309

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 02 avril 2025, 12500309


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


CF






COUR DE CASSATION
______________________




Arrêt du 2 avril 2025








Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 309 FS-B


Pourvoi n° C 23-11.456








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇ

AIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 AVRIL 2025


La société Ofsets Limited, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 1] (Chypre), a formé le pourvoi n° C 23-...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF

COUR DE CASSATION
______________________

Arrêt du 2 avril 2025

Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 309 FS-B

Pourvoi n° C 23-11.456

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 AVRIL 2025

La société Ofsets Limited, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 1] (Chypre), a formé le pourvoi n° C 23-11.456 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Héli-union, société anonyme, désormais dénommée Sabena Technics Helicopters, dont le siège est [Adresse 2],

2°/ à la société Stoltd Partner Limited, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 3] (Irlande),

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Ofsets Limited, de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société Sabena Technics Helicopters, de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société Stoltd Partner Limited, et l'avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 mars 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Ancel, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, M. Bruyère, Mmes Peyregne-Wable, Tréard, Corneloup, conseillers, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. La société de droit chypriote Ofsets Limited (société Ofsets) a conclu en 1995 avec la société de droit français Héli-union, nouvellement dénommée Sabena Technics Helicopters, ayant pour activité des prestations de services de transport aérien de personnes, un contrat de mise à disposition de pilotes d'hélicoptères et d'ingénieurs mécaniciens. Ce contrat comportait une clause de choix de loi en faveur des lois de l'île de Jersey.

2. La société Héli-union a mis fin aux relations commerciales en mars 2020.

3. La société Ofsets a assigné la société Héli-union devant les juridictions françaises en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies.

4. Cette action n'était pas fondée sur une stipulation contractuelle. Le contrat ne prévoyait aucun délai minimal de préavis. L'action était fondée sur l'article L. 442-1, II du code de commerce qui prévoit qu'engage sa responsabilité toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services qui rompt brutalement une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

5. La cour d'appel, sans prendre parti sur le caractère de loi de police de ce texte, l'a déclaré inapplicable, faute d'un lien de rattachement suffisant de la situation litigieuse avec la France et a retenu que la loi de Jersey était la loi choisie par les parties conformément à l'article 3 du règlement n° 593/2008 du 17 juin 2008, dit Rome I.

6. La société Ofsets a formé un pourvoi en cassation. Elle soutient en substance que l'article L. 442-1, II du code de commerce devait s'appliquer à titre de loi de police, cette loi s'appliquant à toutes les relations nouées entre des opérateurs économiques dont l'un au moins est situé en France ou qui s'exécutent en France.

7. Elle ajoute qu'en application de l'article 4 règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), la règle de conflit de lois applicable devait conduire à désigner la loi française comme étant celle du pays présentant les liens manifestement plus étroits avec la situation litigieuse.

8. Le pourvoi en cassation pose la question préliminaire de la qualification contractuelle ou délictuelle de l'action en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies.

Rappel des textes applicables

Le droit de l'Union

9. L'article 1er, paragraphe 1er , de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles dispose qu'elle s'applique, dans des situations comportant un conflit de lois, aux obligations contractuelles.

10. Selon l'article 1er, paragraphe 1er, du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II), ce règlement s'applique, dans les situations comportant un conflit de lois, aux obligations non contractuelles relevant de la matière civile et commerciale.

11. L'article 4 du règlement Rome II dispose :

« 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

2.Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.

3. S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. »

12. Le considérant 7 du règlement Rome II énonce que son champ d'application matériel et ses dispositions devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (Bruxelles I).

Le droit national

13. La rupture brutale de relations commerciales établies prévue à l'article L. 442-1, II du code de commerce constitue en droit national une pratique « restrictive de concurrence », faisant l'objet de sanctions spéciales.

14. Ce texte est issu de la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales qui a modifié l'article 36 de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, et institué un délit civil consistant à « rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte des relations commerciales antérieures ou des usages reconnus par des accords interprofessionnels ».

15. Ce dispositif, anciennement codifié sous l'article L. 442-6,I, 5° du code de commerce, figure depuis une ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, à l'article L. 442-1, II du code de commerce, lui-même inséré dans une section intitulée « Des pratiques restrictives de concurrence » dans le Livre IV du code de commerce intitulé « De la liberté des prix et de la concurrence ».

16. Il dispose en son entier :

« II.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels, et, pour la détermination du prix applicable durant sa durée, des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. »

17. La jurisprudence nationale a précisé, qu'en application de ce texte, l'auteur de la rupture engage sa responsabilité, non pas en raison de la rupture elle-même, mais du fait de la brutalité de cette dernière, laquelle s'apprécie indépendamment du respect du délai de préavis contractuel (Com., 6 mars 2007, pourvoi n° 05-18.121, ECLI:FR:CCASS:2007: CO00438). Il est ainsi jugé de manière constante que « l'existence d'une stipulation contractuelle de préavis ne dispense pas le juge, s'il en est requis, de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres circonstances » (Com., 20 mai 2014, pourvoi n° 13-16.398 ; Bull. civ. IV, n° 89, ECLI:FR:CCASS:2014:CO00501 ; Com., 28 juin 2023, pourvoi n° 22-17.933, ECLI:FR:CCASS:2023:CO00472).

18. Selon une jurisprudence tout aussi constante, la durée du préavis suffisante s'apprécie en effet au terme d'une analyse concrète de la relation commerciale, tenant compte de sa durée, du volume d'affaires réalisé et de la notoriété du client, du secteur concerné comme du caractère saisonnier du produit, du temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire, en respectant, conformément à la loi, la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, et de l'état de dépendance économique du fournisseur, cet état se définissant comme l'impossibilité pour celui-ci de disposer avec une autre entreprise d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qui ont été rompues (Com., 26 avril 2017, pourvoi n° 15-23.078, ECLI:FR:CCASS:2017:CO00592 ; Com., 24 octobre 2018, pourvoi n° 17-16.011, ECLI:FR:CCASS:2018:CO00847).

19. L'article L. 442-4 du même code dispose :

« I.- Pour l'application des articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8, l'action est introduite devant la juridiction civile ou commerciale compétente par toute personne justifiant d'un intérêt, par le ministère public, par le ministre chargé de l'économie ou par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate, à l'occasion des affaires qui relèvent de sa compétence, une pratique mentionnée aux articles précités.

Toute personne justifiant d'un intérêt peut demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées aux articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 ainsi que la réparation du préjudice subi. Seule la partie victime des pratiques prévues aux articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8 peut faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indus.

Le ministre chargé de l'économie ou le ministère public peuvent demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques mentionnées aux articles L. 442-1, L. 442-2, L. 442-3, L. 442-7 et L. 442-8. Ils peuvent également, pour toutes ces pratiques, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites et demander la restitution des avantages indument obtenus, dès lors que les victimes de ces pratiques sont informées, par tous moyens, de l'introduction de cette action en justice. Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut excéder le plus élevé des trois montants suivants :

- cinq millions d'euros ;

- le triple du montant des avantages indûment perçus ou obtenus ;

- 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en oeuvre.

II.- La juridiction ordonne systématiquement la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Elle peut ordonner l'insertion de la décision ou de l'extrait de celle-ci dans le rapport établi sur les opérations de l'exercice par les gérants, le conseil d'administration ou le directoire de l'entreprise. Les frais sont supportés par la personne condamnée.

La juridiction peut ordonner l'exécution de sa décision sous astreinte.

Le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire. »

20. Lorsque ces textes sont mis en oeuvre, dans des litiges relevant du droit interne, la Cour de cassation juge que le fait pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur (Com., 6 février 2007, pourvoi n° 04-13.178, Bull. 2007, IV, n° 21, ECLI:FR:CCASS:2007:CO00168 ; Com., 24 octobre 2018,pourvoi n°17-25.672, publié, ECLI:FR:CCASS:2018:CO00853).

21. Pour l'application de cette même disposition dans l'ordre international, hors champ d'application du droit de l'Union européenne, la Cour de cassation qualifie également cette même action comme étant de nature délictuelle (1re Civ., 12 mars 2025, pourvoi n° 23.22-051, ECLI:FR:CCASS:2025:C100150).

Motifs justifiant le renvoi préjudiciel

22. Par une décision du 14 juillet 2016 (Granarolo, C-196/15), la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que :

« L'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date, telle que celle en cause dans l'affaire au principal, ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s'il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite, ce qu'il revient à la juridiction de renvoi de vérifier. La démonstration visant à établir l'existence d'une telle relation contractuelle tacite doit reposer sur un faisceau d'éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l'existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée. »

23. Dans les conclusions déposées à l'occasion de cette saisine, Mme l'avocate générale indiquait :

« 11. En 2014, la Cour de justice a précisé le critère de distinction entre la compétence en matière contractuelle et la compétence en matière délictuelle dans son arrêt Brogsitter (13 mars 2014, Affaire C-548/12).

12. Dans cette affaire, la Cour de justice a recherché si des actions en responsabilité civile qui sont de nature délictuelle en droit national doivent néanmoins être considérées comme relevant de la "matière contractuelle", au sens de l'article 5, point 1, sous a), du règlement n° 44/2001, compte tenu du contrat qui lie les parties au principal.

13. En particulier, la Cour de justice a fondé la distinction entre la compétence délictuelle et la compétence contractuelle sur le point de savoir si "l'interprétation [d'un] contrat qui lie le défendeur au demandeur apparaît indispensable pour établir le caractère licite ou, au contraire, illicite du comportement reproché au [défendeur]" (5). À cet égard, une interprétation du contrat est nécessaire "si les actions intentées par le requérant au principal ont pour objet une demande de réparation dont la cause peut être raisonnablement regardée comme une violation des droits et des obligations du contrat qui lie les parties au principal, ce qui en rendrait indispensable la prise en compte pour trancher le recours" (6).

14. Si un contrat doit faire l'objet d'une interprétation, il relève alors de la compétence en matière contractuelle de l'article 5, point 1 ; dans le cas contraire, il peut relever de la compétence en matière délictuelle définie à l'article 5, point 3, du règlement n° 44/2001.

(...)

29. Eu égard aux observations qui précèdent, je propose donc à la Cour de justice de répondre aux questions préjudicielles comme suit :

Une action indemnitaire pour rupture de relations commerciales établies sans contrat-cadre ni stipulation d'exclusivité est de nature délictuelle ou quasi délictuelle et relève par conséquent de l'article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »

24. Par l'arrêt du 24 novembre 2020 (Wikingerhof, C-59/19), rendu en grande chambre, la Cour énonce :

« 32 . Ainsi, une action relève de la matière contractuelle, au sens de l'article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012, si l'interprétation du contrat qui lie le défendeur au demandeur apparaît indispensable pour établir le caractère licite ou, au contraire, illicite du comportement reproché au premier par le second (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2014, Brogsitter, C-548/12, EU:C:2014:148, point 25). Tel est notamment le cas d'une action dont le fondement repose sur les stipulations d'un contrat ou sur des règles de droit qui sont applicables en raison de ce contrat (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2015, Holterman Ferho Exploitatie e.a., C-47/14, EU:C:2015:574, point 53, ainsi que du 15 juin 2017, Kareda, C-249/16, EU:C:2017:472, points 30 à 33).

33. En revanche, lorsque le demandeur invoque, dans sa requête, les règles de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, à savoir la violation d'une obligation imposée par la loi, et qu'il n'apparaît pas indispensable d'examiner le contenu du contrat conclu avec le défendeur pour apprécier le caractère licite ou illicite du comportement reproché à ce dernier, cette obligation s'imposant au défendeur indépendamment de ce contrat, la cause de l'action relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012.

34. En l'occurrence, Wikingerhof se prévaut, dans sa requête, d'une violation du droit de la concurrence allemand, qui prévoit une interdiction générale de commettre un abus de position dominante, indépendante de tout contrat ou autre engagement volontaire. Concrètement, elle estime qu'elle n'a pas eu d'autre choix que de conclure le contrat en cause et de subir l'effet des modifications ultérieures des conditions générales de Booking.com en raison de la position de force détenue par cette dernière sur le marché pertinent, alors même que certaines pratiques de Booking.com sont inéquitables.

35. Ainsi, la question de droit au c?ur de l'affaire au principal est celle de savoir si Booking.com a commis un abus de position dominante, au sens dudit droit de la concurrence. Or, comme l'a relevé M. l'avocat général aux points 122 et 123 de ses conclusions, pour déterminer le caractère licite ou illicite au regard de ce droit des pratiques reprochées à Booking.com, il n'est pas indispensable d'interpréter le contrat liant les parties au principal, une telle interprétation étant tout au plus nécessaire afin d'établir la matérialité desdites pratiques.

36. Il y a donc lieu de considérer que, sous réserve d'une vérification par la juridiction de renvoi, l'action de Wikingerhof, en ce qu'elle est fondée sur l'obligation légale de s'abstenir de tout abus de position dominante, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012. »

25. Les commentaires doctrinaux de l'arrêt Wikingerhof qui ont été publiés en France ont relevé que cet arrêt ne citait jamais le précédent Granarolo ce qui a nourri l'hypothèse d'un abandon par la Cour de justice de cette jurisprudence.

26. La Cour se demande en conséquence si les articles 1er, paragraphe 1er de la Convention de Rome et du règlement Rome II doivent être interprétés en ce sens qu'une action indemnitaire engagée pour la rupture brutale des relations commerciales établies sans qu'ait été respecté un préavis d'une durée raisonnable exigé, non pas par le contrat, mais par des dispositions législatives relatives aux pratiques restrictives de concurrence, relève de la matière délictuelle, comme semble le suggérer la jurisprudence Wikingerhof, ou de la matière contractuelle, comme l'indiquait précédemment la jurisprudence Granarolo.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Vu l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

RENVOIE à la Cour de justice de l'Union européenne la question suivante :

Les articles 1er, paragraphe 1er de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'une action indemnitaire engagée au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies, appréciée sur le fondement de dispositions législatives régissant des pratiques qualifiées de restrictives de concurrence, et donc d'une obligation légale de s'abstenir d'un certain type de comportement, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle indépendamment des liens contractuels qui peuvent avoir été noués entre les parties ?

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

DIT qu'une expédition du présent arrêt ainsi que le dossier de l'affaire seront transmis par le directeur de greffe de la Cour de cassation au greffe de la Cour de justice de l'Union européenne ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé publiquement le deux avril deux mille vingt-cinq par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12500309
Date de la décision : 02/04/2025
Sens de l'arrêt : Renvoi devant la cour de justice de l'u.e

Analyses

UNION EUROPEENNE

La Cour de justice de l'Union européenne a été saisie de la question préjudicielle suivante : « Les articles 1er, paragraphe 1er de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) doivent-ils être interprétés en ce sens qu'une action indemnitaire engagée au titre d'une rupture brutale des relations commerciales établies, appréciée sur le fondement de dispositions législatives régissant des pratiques qualifiées de restrictives de concurrence, et donc d'une obligation légale de s'abstenir d'un certain type de comportement, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle indépendamment des liens contractuels qui peuvent avoir été noués entre les parties ? »


Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 28 septembre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 02 avr. 2025, pourvoi n°12500309


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune (président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SCP Foussard et Froger

Origine de la décision
Date de l'import : 22/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:12500309
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