LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 23-85.211 F-D
N° 00420
SB4
1ER AVRIL 2025
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 1ER AVRIL 2025
Mme [P] [G] [D] et la société [1], partie intervenante, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Papeete, chambre correctionnelle, en date du 17 août 2023, qui, pour blessures involontaires et infraction au code de l'environnement de la Polynésie française, a condamné la première à 300 000 francs CFP d'amende avec sursis, déclaré l'arrêt opposable à la seconde et a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SAS Zribi et Texier, avocat de la société [1], les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [P] [G] [D], et les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de Mme [H] [J], M. [V] [X], et les conclusions de M. Bigey, avocat général, après débats en l'audience publique du 4 mars 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, M. Coirre, conseiller de la chambre, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [H] [J] a été attaquée par un requin alors qu'elle participait à une sortie en mer organisée par Mme [P] [G] [D], guide de plongée.
3. Cette dernière a été poursuivie pour blessures involontaires et pour deux infractions au code de l'environnement de la Polynésie française.
4. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable de chasse audiovisuelle de mammifère marin non autorisée, relaxée du surplus de la prévention, condamnée à 150 000 francs CFP d'amende avec sursis, a mis hors de cause la société [1], assureur de la prévenue, et prononcé sur les intérêts civils.
5. Le ministère public, Mme [G] [D], l'assureur et les parties civiles ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen proposé pour Mme [G] [D]
Enoncé du moyen
6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la prévenue coupable d'avoir exercé une activité d'approche et d'observation des mammifères marins de catégorie A et B, espèces protégées reconnues vulnérables ou en danger par le code de l'environnement de Polynésie Française, en l'espèce notamment en exerçant à titre lucratif une activité d'observation des baleines sans avoir obtenu l'autorisation requise pour le navire utilisé, alors « qu'en vertu de l¿article A 2213-1 6° du code de l'environnement de la Polynésie française, la demande d'autorisation présentée par une personne physique ou morale pour la recherche et l'approche aux fins d'observation des baleines et autres mammifères marins mentionne le type d'embarcation utilisée et son identification et est accompagnée notamment du titre de navigation du navire, en précisant, en cas de transport de passagers, la validité du permis de navigation ; que l'autorisation accordée est temporaire et incessible ; qu'en jugeant que la prévenue ne justifiait plus d'une telle autorisation au jour de l'accident dès lors que la prorogation du permis de navigation du navire auquel était rattachée l'autorisation n'avait pas encore été formalisée, circonstance qui n'était pourtant pas par elle-même de nature à mettre à néant l'autorisation antérieurement délivrée pour une période expirant le 30 décembre 2019 au vu d'un permis de navigation alors en cours de validité, la cour d'appel a violé les articles LP 2213-1, LP 2300-2-III 4° et A2213-1-6 du code de l'environnement de la Polynésie française. »
Réponse de la Cour
7. Pour condamner la prévenue du chef susvisé, l'arrêt attaqué énonce que l'arrêté du ministre de la culture et de l'environnement du 27 juin 2019 autorisant la société [2], employeur de Mme [G] [D], à exercer une activité d'approche des baleines et autres mammifères marins liait expressément cette autorisation à la validité du permis de navigation du navire utilisé pour ladite activité.
8. Les juges ajoutent que ce permis, valide jusqu'au 23 août 2019, n'a été prorogé qu'à compter du 22 octobre 2019, et que l'accident est survenu le 21 octobre 2019.
9. Ils en déduisent que l'autorisation d'observation et d'approche des mammifères marins délivrée à Mme [G] [D] n'était pas en vigueur le jour des faits.
10. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
11. En conséquence, le moyen doit être écarté.
Sur le second moyen proposé pour Mme [G] [D]
Enoncé du moyen
12. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la prévenue coupable de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois sur la personne de Mme [J], alors « que, pour constater la faute caractérisée qu'elle a reproché à la prévenue d'avoir commise, la cour d'appel a retenu « surtout », selon ses termes, son manque de précautions lors de la troisième sortie des participants qu'elle a décidée malgré la présence du requin parata dans les environs des globicéphales dont l'observation a motivé la mise à l'eau ; qu'en statuant ainsi sans faire apparaître que la prévenue, malgré ses dénégations, avait connaissance au moment de la mise à l'eau du groupe de la présence d'un requin à proximité justifiant des mesures de précaution particulières, la cour d'appel n'a pas, par ces motifs insuffisants, légalement constaté la faute caractérisée qu'elle a imputée à Mme [G], en violation des articles 593 du code de procédure pénale et 121-3 et 222-19 du code pénal. »
Réponse de la Cour
13. Pour déclarer la prévenue coupable du chef susvisé, l'arrêt attaqué énonce, dans son exposé des faits, que tous les participants à la sortie en mer ont remarqué, dès après la première mise à l'eau, la présence à proximité d'un requin, que l'un d'eux, inquiet, a interpellé le guide, qui lui a répondu que ce requin ne mordait pas, et qu'aucune consigne de sécurité supplémentaire n'a été donnée avant la troisième mise à l'eau, au cours de laquelle Mme [J] a été attaquée par l'animal.
14. Les juges ajoutent que Mme [G] [D], du fait de son expérience, savait que cette espèce de requin était capable d'attaques imprévisibles.
15. Ils concluent qu'en décidant sans précaution particulière, en présence d'un requin à proximité, d'une troisième mise à l'eau, la prévenue a exposé Mme [J] à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer.
16. En prononçant ainsi, par des motifs qui établissent l'existence d'une faute caractérisée par laquelle Mme [G] [D] a créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage subi par la victime, la cour d'appel a justifié sa décision.
17. Ainsi le moyen doit être écarté.
Sur les premier et second moyens proposés pour la société [1]
Enoncé des moyens
18. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause de la société [1], alors :
« 1°/ que l'assureur ne doit l'indemnité qu'autant que les conditions de la garantie sont réunies lors de la survenance du sinistre ; qu'il résulte de l'article 4.1.2.b. de la section 4 Coverage de la police d'assurance que ne sont garanties que les activités pratiquées par l'assuré dans le respect des règlementations imposant des «licences commerciales, permis d'exploitation et permis de travail délivrés dans [son] pays de résidence et/ou dans le pays où [elle] exerce [ses] activités professionnelles sont dûment respectés » ; que la cour d'appel a relevé que Mme [G] a organisé une activité d'approche et d'observation des baleines et a jugé que « peu importe qu'[P] [G] ait été mentionnée comme bénéficiaire de l'autorisation d'observation puisqu'à la date des faits celle-ci n'était pas valable faute d'avoir un permis de navigation en cours pour le navire » et elle l'a en conséquence déclarée coupable d'avoir exercé cette activité sans avoir obtenu l'autorisation requise pour le navire utilisé ; qu'en refusant néanmoins de prononcer la mise hors de cause de l'assureur au motif inopérant que l'assurée disposait à tout le moins des diplômes et autorisations professionnelles nécessaires pour encadrer une activité de randonnée palmée, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations desquelles il découlait que l'assurée ne disposait pas de tous les permis nécessaires pour organiser l'activité en cause d'approche de baleines et a ainsi méconnu les dispositions des articles A 2213-1-4 et A 2213-1-5 du code de l'environnement de Polynésie française et de l'article 1103 du code civil ;
2°/ qu'en tout état de cause, en énonçant d'une part, que l'autorisation d'observation dont bénéficiait l'Eurl de Mme [G] n'était pas valable faute d'avoir un permis de navigation en cours pour le navire et d'autre part, que Mme [G] était en règle disposant des diplômes et autorisations professionnelles nécessaires pour encadrer l'activité réalisée le jour des faits, la cour d'appel s'est contredite et a ainsi violé l'article 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'en tout état de cause, en s'abstenant de rechercher, comme elle y était invitée, si Madame [G] ne devait pas être titulaire d'une autorisation personnelle pour exercer l'activité d'observation des baleines, indépendante de celle accordée à l'EURL [2], la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles A 2213-1-4 et A 2213-1-5 du code de l'environnement de Polynésie française et de l'article 1103 du code civil ;
4°/ que, en tout état de cause, l'exigence de respect par l'assuré de la réglementation locale qui impose l'obtention de permis et de licences, figurant à l'article 4.1.2.b. de la section 4 Coverage de la police d'assurance, a trait à la réglementation applicable aux activités litigieuses pour lesquelles la couverture est demandée ; qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que Mme [G] ne s'était pas bornée à guider la randonnée palmée mais avait également procédé à l'organisation complète « en son nom propre » de la « sortie baleine », y compris à la location du bateau Dive spirit 2 et à l'embauche d'une pilote pour ce même navire ; qu'en sa qualité d'organisatrice, elle avait autorisé une 3ème mise à l'eau, malgré la présence d'un requin longimane, conduisant à exposer [H] [J] à un danger d'une particulière gravité, manquement pour lequel elle a été condamnée et reconnue responsable des préjudices subis par les parties civiles ; qu'en décidant toutefois que l'article 4-2 b. de la police d'assurance n'imposait que la prise en compte des « diplômes et autorisations professionnelles nécessaires pour encadrer l'activité réalisée le jour des faits » « propres à Mme [P] [G] », quand cette dernière avait vu sa responsabilité engagée non seulement en qualité de guide de plongée mais également d'organisatrice de la sortie, la cour d'appel a violé les dispositions des articles A 2213-1-4 et A 2213-1-5 du code de l'environnement de Polynésie française et de l'article 1103 du code civil ;
5°/ qu'aux termes de l'article 4 de la police d'assurance souscrite par Mme [G] auprès de la société [1] exposante, celle-ci exige, pour que la couverture prévue au contrat s'applique, que « les licences commerciales, permis d'exploitation et permis de travail délivrés dans [son] pays de résidence et/ou dans le pays où [elle] exerce [ses] activités professionnelles sont dûment respectés ; qu'en énonçant que le défaut de permis de navigation du navire à jour est sans lien avec la stipulation du contrat susvisée qui énumère à travers les licences commerciales, permis d'exploitation et permis de travail, les conditions propres à [P] [G] pour réaliser l'activité assurée, lors même que le contrat ne restreignait pas les licences et permis qu'il vise aux seules conditions propres à la personne concernée, la cour d'appel a dénaturé le contrat d'assurance et ainsi violé les articles 1103 du code civil et 593 du code de procédure pénal,
6°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motif ; qu'en reconnaissant Mme [G] coupable d'exercice à titre lucratif d'une activité d'observation des baleines sans avoir obtenu l'autorisation requise pour le navire utilisé, la cour d'appel ne pouvait sans se contredire dire que Mme [G] ne s'était pas livrée à titre lucratif à l'activité d'observation de baleines ; que dès lors, en décidant ainsi, en contradiction avec ses propres constatations, qu'il n'était pas établi que Mme [G] aurait exercé à titre professionnel l'activité d'observation des baleines, pour rejeter la demande de mise hors de cause de l'assureur qui invoquait l'application de l'article 4.1.2.b. de la section 4 Coverage de la police d'assurance et faisait valoir que l'assurée avait pratiqué son activité sans respecter la réglementation applicable et notamment sans obtenir les autorisations nécessaires pour son exercice, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 593 du code de procédure pénale. »
19. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de mise hors de cause de la société [1], alors :
« 1°/ que les conventions légalement formées tenant lieu de loi entre les parties, le juge ne peut refuser d'appliquer une clause d'exclusion formelle et limitée contenue dans la police d'assurance, dès lors qu'elle est claire et précise ; que l'article 1.b.2. figurant à la section des exclusions générales de la police d'assurance souscrite par Mme [G], prévoit l'absence de couverture des coûts ou frais liés « à une réclamation en responsabilité civile, découlant de ou associés à : 2. [?] la violation d'une loi ou d'un décret par l'Assuré, suite à une négligence grave de ce dernier » ; que la société [1] opposait à son assurée ces stipulations, dès lors que la responsabilité civile de celle-ci est engagée précisément dans le cas visé à l'article 1.b.2, à savoir pour avoir commis de graves négligences de nature à constituer une faute caractérisée ayant contribué à causer les blessures en cause, faits prévus et réprimés par des textes d'origine législative ; qu'en refusant néanmoins de faire application de la stipulation contractuelle, après avoir pourtant reconnu l'assurée coupable de ces faits, au motif inopérant que seule une infraction non intentionnelle a été retenue (arrêt p.20 §7), quand l'exclusion de garantie invoquée trouve précisément à s'appliquer dans le cas de négligence non intentionnelle, la cour d'appel a méconnu les articles 1103 du code civil, L.113-1 du code des assurances applicable en Polynésie française, 222-29 et 121-3 du code pénal ;
2°/ que, en tout état de cause, s'il était considéré que le raisonnement de la cour d'appel résultait de sa lecture du contrat, l'article 1.b.2. figurant à la section des exclusions générales de la police d'assurance souscrite par Mme [G], prévoit l'absence de couverture des coûts ou frais liés « à une réclamation en responsabilité civile, découlant de ou associés à : 2. [?] la violation d'une loi ou d'un décret par l'Assuré, suite à une négligence grave de ce dernier » ; que la société [1] opposait à son assurée ces stipulations, dès lors que la responsabilité civile de celle-ci est engagée précisément dans le cas visé à l'article 1.b.2, à savoir pour avoir commis de graves négligences de nature à constituer une faute caractérisée ayant contribué à causer les blessures en cause, faits prévus et réprimés par des textes d'origine législative ; qu'en refusant néanmoins de faire application de la stipulation contractuelle, après avoir pourtant reconnu l'assurée coupable de ces faits, au motif que seule une infraction non intentionnelle a été retenue (arrêt p.20 §7), quand l'exclusion de garantie invoquée, qui est claire et dénuée d'ambiguïté, trouve précisément à s'appliquer dans le cas d'une négligence non intentionnelle, la cour d'appel a méconnu les articles 1103 du code civil et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
20. Les moyens sont réunis.
21. Pour écarter la contestation de sa garantie par l'assureur et lui déclarer la décision opposable, l'arrêt attaqué énonce que le contrat couvre, notamment, les dommages survenus à l'occasion de l'organisation ou de l'accompagnement d'activités par des moniteurs ou guides de plongée, à condition que l'assuré respecte les licences commerciales, permis d'exploitation et permis de travail délivrés, pour l'activité de plongée professionnelle, dans son pays de résidence.
22. Les juges observent que Mme [G] [D] disposait des diplômes et autorisations nécessaires pour encadrer l'activité réalisée le jour des faits.
23. Ils ajoutent que l'absence de permis de navigation du navire est sans lien avec le dommage et sans incidence sur la garantie de l'assureur.
24. Ils constatent que la clause générale d'exclusion de garantie ne peut pas plus trouver application, la négligence grave de l'assurée correspondant à une infraction intentionnelle non retenue en l'espèce.
25. Ils concluent que l'activité exercée lors de l'accident entre dans le champ d'application du contrat et qu'aucun motif d'exclusion de garantie n'est démontré par l'assureur.
26. En prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.
27. En effet, la négligence grave de l'assuré, qui suppose un acte délibéré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, ne se confond pas avec la faute caractérisée, qui suppose la simple conscience du risque d'occasionner un dommage, retenue à l'encontre de la prévenue dans le cadre de la prévention de blessures involontaires.
28. Ainsi, les moyens doivent être écartés.
29. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois ;
FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société [1] devra payer aux parties représentées par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat à la Cour, en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du premier avril deux mille vingt-cinq.