LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 mars 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 274 FS-B
Pourvoi n° S 22-20.067
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 MARS 2025
M. [T] [O], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° S 22-20.067 contre l'arrêt rendu le 9 juin 2022 par la cour d'appel de Lyon (6e chambre), dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [R] [B], domiciliée [Adresse 2],
2°/ à M. [T] [D], domicilié [Adresse 5],
3°/ à Mme [K] [F], veuve [W],
4°/ à M. [A] [W],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
5°/ à la société Alliance MJ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], prise en qualité de liquidateur judiciaire de la société Loluli, exerçant sous le nom commercial Café restaurant de la [7], dont le siège est lieu-dit [Adresse 6],
6°/ à la société SCI 3L, société civile immobilière, dont le siège est lieu-dit [Adresse 6],
7°/ à M. [H] [W], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Caillard, conseiller, les observations de la SAS Zribi et Texier, avocat de M. [O], de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société SCI 3L, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 12 février 2025 où étaient présents Mme Martinel, président, Mme Caillard, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mme Grandemange, M. Delbano, Mme Vendryes, M. Waguette, conseillers, Mme Bohnert, M. Cardini, Mmes Techer, Latreille, Bonnet, Chevet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 9 juin 2022), M. [O] et Mme [B] ont cédé les parts qu'ils détenaient dans la société SCI 3L (la SCI 3L) et la société Loluli, à [J] [W] qui les a ensuite cédées à M. [D].
2. Ils ont assigné [J] [W] et M. [D] devant un tribunal de grande instance en nullité de la cession de leurs parts. Ils ont appelé en intervention forcée les héritiers de [J] [W], Mme [F], veuve de ce dernier, la société Loluli et la SCI 3L.
3. Par une ordonnance du 30 janvier 2014 confirmée par un arrêt d'une cour d'appel du 10 mai 2016, un juge de la mise en état a déclaré nulles les assignations concernant [J] [W] et ses héritiers, valables les autres assignations et a fait injonction à Mme [F] de produire l'acte de notoriété désignant les héritiers et aux demandeurs d'assigner ces derniers.
4. Le 18 avril 2019, Mme [B] a assigné M. [A] [W] et M. [H] [W], en qualité d'héritiers de [J] [W]. La société Alliance MJ désignée, le 5 décembre 2019, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Loluli est intervenue à l'instance.
5. Par une ordonnance du 20 novembre 2020, dont M. [O] et Mme [B] ont relevé appel, le juge de la mise en état a constaté la péremption de l'instance.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
6. M. [O] fait grief à l'arrêt de constater la péremption de l'instance, alors :
« 2°/ que si la constitution d'un avocat en remplacement d'un précédent conseil n'est pas, à elle seule, interruptive de péremption, les circonstances entourant ce changement de conseil peuvent révéler la volonté de cette partie de continuer l'instance ; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'il lui était demandé, si les circonstances entourant le changement de conseil liées au divorce des parties et à la nécessité consécutive de se voir représenter par des conseils distincts en présence d'intérêts pouvant diverger, ne révélaient pas la volonté de Mme [B] de continuer l'instance et visait à la faire progresser, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 386 du code de procédure civile ;
3°/ qu'est interruptive de péremption toute diligence procédurale d'une partie révélant la volonté de poursuivre l'instance ; qu'en retenant, pour dire que la sommation de communiquer adressée par le nouveau conseil de Mme [B] aux conseils des autres parties n'était pas interruptive de péremption, que cette démarche ne visait qu'à l'obtention des écritures et pièces déjà échangées par les parties et n'apportait donc aucun élément nouveau, quand cette sommation de communiquer, dans le contexte rappelé du changement nécessaire de conseil par Mme [B], manifestait sa volonté de continuer l'instance et visait à la faire progresser, la cour d'appel a violé l'article 386 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2, 3, et 386 du code de procédure civile :
7. Aux termes du premier de ces textes, les parties conduisent l'instance sous les charges qui leur incombent. Il leur appartient d'accomplir les actes de la procédure dans les formes et délais requis.
8. Selon le deuxième, le juge veille au bon déroulement de l'instance et a le pouvoir d'impartir les délais et d'ordonner les mesures nécessaires.
9. Aux termes du troisième, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.
10. Il résulte de ces textes qu'il appartient aux parties, sauf lorsque la direction de l'instance leur échappe, d'accomplir les actes sous les charges qui leur incombent pour éviter la péremption de l'instance, sanction qui tire les conséquences de leur inertie dans la conduite du procès.
11. Le juge, saisi par une partie d'un incident de péremption ou se saisissant d'office de cet incident, doit rechercher si la péremption est acquise ou non au regard des diligences accomplies par les parties.
12. Pour apprécier si un acte constitue une diligence interruptive de péremption, la Cour de cassation retient, selon les procédures, des critères qui peuvent être différents. Elle juge parfois, que pour qu'une diligence soit interruptive, elle doit se borner à continuer l'instance, ou à la poursuivre (2e Civ., 17 mars 1982, pourvoi n° 79-12.686, publié ; 2e Civ., 11 septembre 2003, pourvoi n° 01-12.331). Dans d'autres hypothèses, elle subordonne la qualité interruptive d'une diligence à une condition, qui est celle de faire avancer ou de faire progresser l'instance, ou encore de lui donner une impulsion (2e Civ., 8 octobre 1997, pourvoi n° 95-18.332 ; 2e Civ., 8 novembre 2001, pourvoi n° 99-20.159, publié ; 2e Civ., 2 juin 2016, pourvoi n° 15-17.354, publié).
13. Par ailleurs, certaines décisions mettent l'accent sur la volonté des parties manifestée par l'acte (2e Civ., 11 septembre 2003, pourvoi n° 01-12.331, publié), tandis que d'autres, reposant sur une conception plus objective, sont fondées sur la nature intrinsèque de l'acte, qui, en soi, doit poursuivre l'objectif précédemment défini (3e Civ., 20 décembre 1994, pourvoi n° 92-21.536, publié).
14. Cette disparité commande de clarifier la jurisprudence en redéfinissant les critères de la diligence interruptive de péremption, dans l'objectif de prévisibilité de la norme et de sécurité juridique.
15. Il convient, en conséquence, de considérer désormais que la diligence interruptive du délai de péremption s'entend de l'initiative d'une partie, manifestant sa volonté de parvenir à la résolution du litige, prise utilement dans le cours de l'instance. Ces conditions, qui dépendent de la nature de l'affaire et de circonstances de fait, sont appréciées souverainement par le juge du fond.
16. Pour confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du 16 juin 2021 ayant constaté la péremption, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, d'une part, que le simple changement d'avocat n'est pas de nature à faire progresser une affaire et que si M. [M] s'est constitué pour Mme [B] qui souhaitait changer de conseil à la suite de son divorce d'avec M. [O], une telle constitution ne saurait caractériser une diligence interruptive de péremption, d'autre part, que la sommation de communiquer délivrée le 17 juillet 2017 par M. [M], dans le contexte rappelé plus haut d'un changement d'avocat, ne saurait non plus être regardée comme une demande faisant progresser l'affaire et ne vise qu'à l'obtention des écritures et pièces déjà échangées par les parties sans apporter d'élément nouveau.
17. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'absence de diligences interruptives de péremption, au regard des conditions mentionnées au paragraphe 15, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne Mme [B], M. [D], Mme [F], M. [A] [W], M. [H] [W], la société Alliance MJ, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Loluli, et la société SCI 3L aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept mars deux mille vingt-cinq.