LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 mars 2025
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 261 F-B
Pourvoi n° A 22-24.353
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 20 MARS 2025
Mme [O] [C], veuve [N], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° A 22-24.353 contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2022 par la cour d'appel de Pau (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société [4], société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie des Landes, dont le siège est [Adresse 1],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [C] veuve [N], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société [4], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie des Landes, et l'avis de Mme Tuffreau, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 5 février 2025 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 octobre 2022) et les productions, à la suite du décès de son époux, [W] [N], salarié de la société [4] (l'employeur), Mme [C] (l'ayant droit) a déclaré, auprès de la caisse primaire d'assurance maladie des Landes (la caisse), deux maladies contractées par celui-ci (syndromes myélodysplasique et myéloprolifératif).
2. La caisse ayant, par décision du 31 octobre 2017, refusé de prendre en charge, au titre de la législation professionnelle, le syndrome myéloprolifératif, l'ayant droit a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
3. Par arrêt du 2 décembre 2021, la cour d'appel de Pau a reconnu le caractère professionnel de la maladie.
4. L'employeur a formé tierce opposition à cet arrêt.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. L'ayant droit fait grief à l'arrêt de déclarer la tierce opposition recevable, alors « qu'en toute hypothèse, le juge ne peut dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, pour déclarer recevable la tierce opposition formée par l'employeur à l'encontre de l'arrêt ayant statué sur le recours de la veuve de la victime contre la décision de refus de prise en charge de la maladie de la victime au titre de la législation sur les risques professionnels, la cour d'appel a énoncé que la décision initiale de refus de prise en charge de la caisse de cette maladie n'était acquise à l'employeur que si celui-ci en a personnellement reçu notification et qu'aucun élément du présent dossier ne permet de retenir que cette décision a été notifiée à l'employeur ; qu'en statuant ainsi, quand l'employeur produisait lui-même la lettre de notification de la décision initiale de refus de prise en charge que lui avait adressée l'organisme de sécurité sociale le 31 octobre 2017, la cour d'appel, qui a dénaturé par omission ce document, a violé le principe qui fait obligation au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
6. Pour déclarer la tierce opposition recevable, l'arrêt retient qu'aucun élément du dossier ne permet d'établir que la décision de refus de prise en charge a été notifiée à l'employeur.
7. En statuant ainsi, alors que le bordereau de communication de pièces annexé aux conclusions de l'employeur mentionnait la production, en pièce 13, de la lettre de refus de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, du syndrome myéloprolifératif en date du 31 octobre 2017, la cour d'appel, qui a dénaturé ces documents par omission, a violé le principe susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. L'ayant droit fait le même grief à l'arrêt, alors « que la décision de refus de prise en charge d'une maladie au titre de la législation professionnelle revêt à l'égard de l'employeur auquel elle a été notifiée un caractère définitif ; qu'en déclarant recevable la tierce opposition formée par l'employeur à l'encontre de la décision statuant sur le recours de la veuve de la victime contre la décision de refus de prise en charge de la maladie de la victime, quand l'employeur produisait aux débats la lettre de notification de la décision initiale de refus de prise en charge de la maladie de sorte que cette décision ayant un caractère définitif à son égard, il était sans intérêt, dans ses rapports avec la caisse, à former tierce opposition à l'encontre de l'arrêt rendu sur recours de l'assuré contre la décision de refus de prise en charge, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 461-1 et R. 441-14 du code de la sécurité sociale. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 583 du code de procédure civile et R. 441-14, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, ce dernier dans sa rédaction issue du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, applicable au litige :
9. En application du premier de ces textes, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.
10. Il résulte du second que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie sur le caractère professionnel d'un accident, d'une maladie professionnelle ou d'une rechute revêt, dès sa notification à la personne à laquelle elle ne fait pas grief, un caractère définitif à son égard.
11. Pour déclarer la tierce opposition recevable, l'arrêt retient que la décision frappée du recours porte sur les conditions de travail et les risques professionnels au sein de l'entreprise, si bien que l'employeur a un intérêt légitime, à pouvoir faire établir que la décision n'a pas été prise conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale.
12. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que l'employeur, à l'égard duquel la décision de refus de prise en charge était, dans ses rapports avec la caisse, définitive, avait un intérêt personnel et actuel à former une tierce opposition à l'arrêt du 2 décembre 2021 reconnaissant, dans les rapports entre la caisse et la victime, le caractère professionnel de la maladie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.
Condamne la société [4] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société [4] et par la caisse primaire d'assurance maladie des Landes et condamne la société [4] à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé par le président en son audience publique du vingt mars deux mille vingt-cinq, et signé par lui et Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile.