LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 mars 2025
Cassation partielle sans renvoi
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 143 F-D
Pourvoi n° E 24-11.508
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 13 MARS 2025
M. [N] [I], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 24-11.508 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 1, chambre 8), dans le litige l'opposant :
1°/ à la Ville de [Localité 3], prise en la personne de son maire en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 4],
2°/ à la société TBS, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], prise en la personne de M. [K] [T] en sa qualité de mandataire ad'hoc,
défenderesses à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [I], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Ville de [Localité 3], après débats en l'audience publique du 4 février 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 novembre 2023), la Ville de [Localité 3] a assigné M. [I] et la société TBS, respectivement propriétaire et locataire d'un appartement situé à [Localité 3], devant le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, afin de les voir condamner au paiement d'une amende civile, pour l'avoir loué de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage n'y élisant pas domicile.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
2. M. [I] fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement d'une amende civile, alors :
« 1°/ que l'amende civile prononcée sur le fondement de l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation est une sanction ayant le caractère d'une punition, de sorte qu'elle est soumise au principe à valeur constitutionnelle de personnalité des peines qui exige d'établir la connaissance par l'intéressé du changement d'usage illicite des locaux loués ; qu'en l'espèce, en condamnant M. [I] à une amende civile de 35 000 euros au motif que l'appartement avait fait l'objet d'une déclaration en ligne de location meublée avant la conclusion du contrat avec la société TBS et que M. [I] avait, postérieurement à la mise en demeure du 15 décembre 2017 lui rappelant l'interdiction de mettre son bien en location meublée touristique, effectué une déclaration mentionnant que l'appartement constituait sa résidence principale, si bien que M. [I] ne pouvait ignorer les sous-locations pratiquées par la société TBS et, auparavant, par la société Kim Sitter, étant manifestement à l'origine de celles-ci", sans établir, par motifs propres ou adoptés, en quoi ces éléments établissaient la connaissance par M. [I] des locations litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, ensemble les articles et principes précités ;
2°/ que l'infliction de l'amende civile prévue à l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation exige d'établir la connaissance par l'intéressé du changement d'usage illicite des locaux loués pour la période visée par le constat d'infraction de la Ville de [Localité 3] ; qu'en l'espèce, en condamnant M. [I] à une amende civile de 35 000 euros aux motifs propres et adoptés que M. [I] ne peut avoir ignoré que son bien allait continuer de faire l'objet d'une offre de location touristique" et qu'il ne pouvait ignorer les sous-locations pratiquées par la société TBS et, auparavant, par la société Kim Sitter, étant manifestement à l'origine de celles-ci" sans rechercher, comme il lui était demandé, si M. [I] avait eu connaissance de ces locations pour les périodes visées par le constat d'infraction de la Ville de [Localité 3], la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation, ensemble les articles et principes précités. »
Réponse de la Cour
3. La cour d'appel a, d'abord, retenu que l'appartement dont M. [I] est propriétaire, réputé à usage d'habitation au sens de l'article L. 631-7 du code de la construction et de l'habitation, avait fait l'objet de locations de courte durée à une clientèle de passage sans obtention d'une autorisation préalable de changement d'usage entre les mois de septembre 2016 et d'août 2020.
4. Elle a, ensuite, constaté que M. [I] s'abstenait de produire le mandat de gestion locative qu'il affirmait avoir initialement confié à la société Kim Sitter, et que le bail par la suite consenti à la société TBS, dont le représentant était le fondateur et directeur de la première société, autorisait expressément la sous-location.
5. Elle a, en outre, relevé que M. [I] avait fait l'objet d'une mise en demeure de la Ville de [Localité 3] le 15 décembre 2017 lui rappelant l'interdiction de mettre son bien en location meublée touristique, à la suite de laquelle il avait, le 4 juin 2018, effectué une déclaration en ligne de location meublée indiquant de façon mensongère, puisqu'il n'avait jamais occupé les lieux, que le local constituait sa résidence principale.
6. Ayant ainsi fait ressortir que M. [I] avait donné en connaissance de cause son bien en location à une société qui le sous-louait pour des locations de courte durée à une clientèle de passage, la cour d'appel a pu le condamner au paiement d'une amende civile dont elle a souverainement apprécié le montant.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
8. M. [I] fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement d'une amende civile, in solidum avec la société TBS à hauteur de 5 000 euros, alors « que les principes de personnalité et d'individualisation de la peine font obstacle à la condamnation in solidum de plusieurs personnes au paiement d'une ou plusieurs amendes civiles fondées sur les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation ; qu'en l'espèce, en condamnant M. [I] au paiement d'une amende civile de 35 000 euros in solidum avec la société TBS à hauteur de 5 000 euros", la cour d'appel a violé les articles 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que les principes de personnalité et d'individualisation de la peine. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, les principes de personnalité et d'individualisation de la peine qui en découlent et les articles L. 631-7 et L. 651-2 du code de la construction et de l'habitation :
9. Il est jugé qu'il résulte de ces textes que le prononcé de l'amende civile encourue en cas de changement d'usage sans autorisation préalable de locaux destinés à l'habitation est soumis aux principes de personnalité et d'individualisation de la peine, qui font obstacle, en la matière, à toute condamnation in solidum (3e Civ., 11 juillet 2024, pourvoi n° 23-10.467, publié).
10. Pour condamner M. [I] au paiement d'une amende civile de 35 000 euros, in solidum avec la société TBS à hauteur de 5 000 euros, l'arrêt retient qu'ils ont tous deux participé à la mise en location du bien.
11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond dans les limites de la cassation prononcée.
14. La cassation prononcée ne portant que sur le principe d'une condamnation in solidum sans remettre en cause ni le principe ni le quantum de l'amende civile prononcée au profit de la Ville de [Localité 3], M. [I] sera condamné au paiement d'une amende civile de 30 000 euros et la société TBS au paiement d'une amende civile de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [I] au paiement d'une amende civile de 35 000 euros, in solidum avec la société TBS à hauteur de 5 000 euros, l'arrêt rendu le 10 novembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Dit n'y avoir lieu à renvoi ;
Condamne M. [I] au paiement d'une amende civile de 30 000 euros ;
Condamne la société TBS au paiement d'une amende civile de 5 000 euros ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille vingt-cinq.