LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2025
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 264 F-D
Pourvoi n° B 23-19.781
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MARS 2025
L'Agent judiciaire de l'Etat, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° B 23-19.781 contre l'arrêt rendu le 8 juin 2023 par la cour d'appel de Papeete (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [R] [K] [U], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cavrois, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de l'Agent judiciaire de l'Etat, de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de Mme [U], après débats en l'audience publique du 5 février 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Cavrois, conseiller rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 8 juin 2023), Mme [U] a été engagée, en qualité de professeur contractuel 1ère catégorie d'espagnol, par le vice-rectorat de Polynésie française, par différents contrats à durée déterminée du 9 janvier au 27 juin 2017, du 14 août au 15 décembre 2017 et du 15 janvier au 28 juin 2018.
2. Le 16 mars 2021, la salariée a saisi le tribunal du travail en vue d'obtenir la requalification en contrat à durée indéterminée de ses engagements à durée déterminée et le paiement d'indemnités.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
3. L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de requalifier en contrat à durée indéterminée les engagements ayant lié la salariée au vice-rectorat de Polynésie du 9 janvier au 27 juin 2017, du 14 août au 15 décembre 2017 et du 15 janvier au 28 juin 2018, de dire que la rupture de ces engagements s'analyse en des licenciements sans cause réelle et sérieuse et de le condamner au paiement d'indemnités compensatrices de préavis, d'indemnités compensatrices de congés payés et d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que la délibération n° 91-02 AT du 16 décembre 1991 a été abrogée par loi de pays n° 2011-15 du 4 mai 2011 ; qu'en prononçant la requalification des engagements à durée déterminée sur le fondement de l'article 24 de la délibération 91-02 AT du 16 décembre 1991 qui était abrogé lors de leur conclusion, la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil, l'article 24 de la délibération 91-02 AT du 16 décembre 1991 et l'article 3 de loi de pays n° 2011-15 du 4 mai 2011 ;
2°/ que si l'article 9 de la loi du 17 juillet 1986, qui prévoit le recours au contrat à durée déterminée, renvoie à certains égards à des délibérations de l'Assemblée de Polynésie, il contient des dispositions suffisamment précises pour que des contrats à durée déterminée puissent être conclus sur son fondement, en l'absence de telles délibérations ; qu'en relevant, pour justifier l'application de la délibération 91-02 AT, en dépit de son abrogation, que s'il fallait n'appliquer que la loi de 1986, cela "reviendrait à laisser libre cours à recours à contrat à durée déterminée par l'État", quand cette loi encadrait déjà le recours à de tels contrats en prévoyant notamment que leur durée totale ne peut excéder deux ans, qu'ils doivent comporter la définition précise de leur motif et que le salarié a droit à une indemnité destinée à compenser sa précarité lorsqu'à l'issue de tels contrats, les relations contractuelles ne se poursuivent pas, la cour d'appel a violé l'article 9 de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986. »
Réponse de la Cour
4. Le Conseil d'Etat a jugé que les dispositions de la loi du 17 juillet 1986, en tant qu'elle régit la situation des salariés recrutés localement exerçant leurs activités dans les services de l'Etat ou dans ses établissements publics administratifs, n'ont pas été abrogées par celles de la loi du pays du 4 mai 2011 relative à la codification du droit du travail, adoptée par l'assemblée de la Polynésie française au titre de la compétence qu'elle tient de la loi organique du 27 février 2004. L'application de plein droit en Polynésie française des dispositions relatives aux agents publics de l'Etat résultant de l'article 7 de cette loi organique, dans sa rédaction issue de la loi organique du 5 juillet 2019, ne fait pas davantage obstacle à l'application à ces agents des dispositions de la loi du 17 juillet 1986, cette application de plein droit s'exerçant comme il a été dit sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière (CE 22 juillet 2020, n° 436865, considérant n° 3).
5. Il en résulte que la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 n'a pas été abrogée en tant qu'elle régit la situation des salariés recrutés localement exerçant leurs activités dans les services de l'Etat ou dans ses établissements publics administratifs et que la délibération n° 91-002 du 16 janvier 1991, prise en application de ladite loi, dont l'article 24 a pour objet de préciser les cas de recours au contrat à durée déterminée, n'a pas, dans cette même mesure, été abrogée.
6. Dès lors la cour d'appel a retenu à bon droit qu'en application de l'article 24 de ladite délibération, la vacance de poste ne figurait pas dans la liste des motifs de recours au contrat à durée déterminée et elle en a exactement déduit que les contrats de la salariée devaient être requalifiés en contrat à durée indéterminée, de sorte que la rupture intervenue à l'échéance du terme devait s'analyser en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
7. Le moyen qui, pris en sa seconde branche, ne s'attaque qu'à des motifs surabondants et manque en droit en sa première branche, n'est, dès lors, pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
8. L'Agent judiciaire de l'Etat fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée diverses sommes à titre d'indemnités compensatrices de préavis, outre congés payés afférents, s'agissant des engagements du 9 janvier au 27 juin 2017, du 14 août au 15 décembre 2017 et du 15 janvier au 28 juin 2018, alors « que la convention collective des agents non fonctionnaires de l'administration de l'Etat en Polynésie française s'applique "au rapport du travail entre les services administratifs et techniques de l'Etat en Polynésie Française (?) et les agents non fonctionnaires de ces services représentés par les syndicats signataires" ; que cette convention n'est donc pas applicable aux personnels enseignants lesquels travaillent non dans des services administratifs et techniques de l'Etat, mais au sein d'établissements publics locaux d'enseignement ; qu'en décidant que si même la salariée avait été engagée en qualité d'enseignante contractuelle, elle pouvait bénéficier des dispositions de la convention collective des agents non fonctionnaires de l'administration de l'État en Polynésie française, au motif inopérant que son employeur était le vice-rectorat, la cour d'appel a violé les articles 1 et 36 de la convention collective de travail des agents non fonctionnaires de l'administration de l'Etat en Polynésie française en date du 19 octobre 1999. »
Réponse de la Cour
9. La convention collective de travail des agents non fonctionnaires de l'administration de l'Etat en Polynésie française du 19 octobre 1999 dispose, en son article 1er qui définit son champ d'application, que ladite convention concerne l'ensemble des personnels contractuels d'État recrutés en Polynésie française, et l'annexe 1 de cette convention prévoit au titre de la classification des agents que les agents non fonctionnaires de l'administration de l'État sont classés dans les catégories 1, 2, 3, 4 et 5 détaillées ci-dessous, que les emplois énumérés dans ces diverses catégories constituent des emplois types et que ceux qui n'y figurent pas seront classés en se référant à ces emplois types.
10. En conséquence, la cour d'appel, qui a relevé que la convention collective de travail des agents non fonctionnaires de l'administration de l'Etat en Polynésie française du 19 octobre 1999 ne prévoyait pas d'exclusion de son champ d'application pour les personnels enseignants, a exactement retenu que le contrat de travail de la salariée, recrutée en qualité de professeur contractuel 1ère catégorie d'espagnol par le vice-rectorat de Polynésie française, relevait de ladite convention de sorte que celle-ci devait bénéficier d'une indemnité de préavis telle que prévue à l'article 36 de cette convention.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'Agent judiciaire de l'Etat aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'Agent judiciaire de l'Etat et le condamne à payer à Mme [U] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.