LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 mars 2025
Cassation
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 252 F-D
Pourvoi n° D 24-12.059
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [I] .
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 22 avril 2024.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 MARS 2025
La société Eurométropole de Metz habitat, société d'économie mixte, dont le siège est [Adresse 2], venant aux droits de l'EPIC OPH Metz métropole, a formé le pourvoi n° D 24-12.059 contre l'arrêt rendu le 20 décembre 2023 par la cour d'appel de Metz (chambre sociale, section 1), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [O] [I], domicilié [Adresse 3],
2°/ à France travail, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommé Pôle emploi,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Redon, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Eurométropole de Metz habitat, de Me Guermonprez, avocat de M. [I], après débats en l'audience publique du 4 février 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Redon, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Metz, 20 décembre 2023), M. [I] a été engagé en qualité de concierge par l'office public de l'habitat de Metz devenu la société Eurométropole de Metz habitat.
2. Par lettre du 9 mars 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 17 mars 2020, qui a été reporté compte tenu de la situation sanitaire liée à la propagation de l'épidémie de covid-19. Par lettre du 15 mai 2020, il a de nouveau été convoqué à un entretien préalable, qui a eu lieu le 25 mai 2020.
3. Licencié pour faute grave par lettre du 4 juin 2020, il a saisi la juridiction prud'homale en contestation de cette rupture.
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui à verser des sommes au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de la période non rémunérée du 9 au 17 mars 2020 et des frais irrépétibles, et d'ordonner le remboursement à Pôle emploi des prestations de chômage versées au salarié du jour du licenciement jusqu'au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités de chômage, alors :
« 1°/ que tout acte prescrit par la loi à peine de sanction qui aurait dû être accompli entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ; que le délai d'un mois qui court à compter de l'entretien préalable et qui est applicable à la notification d'un licenciement disciplinaire constitue un acte prescrit par la loi à peine de sanction ; qu'il en résulte que lorsqu'une telle notification aurait dû être effectuée entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020, celle-ci est réputée avoir été faite à temps si elle est intervenue au plus tard le 23 juillet 2020 ; qu'en jugeant cependant que l'employeur ne pouvait pas se prévaloir, en matière de procédure disciplinaire, de ces dispositions d'ordre public organisant la prorogation des délais pendant l'urgence sanitaire, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, ensemble l'article L. 1332-2 du Code du travail ;
2°/ que tout acte prescrit par la loi à peine de sanction qui aurait dû être accompli entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ; qu'il en résulte que, lorsque le délai d'un mois applicable à la notification des sanctions disciplinaires expire pendant cette période, la sanction peut être valablement notifiée jusqu'au 23 juillet 2020 ; qu'au cas présent, l'employeur faisait valoir que le salarié avait été convoqué à un entretien préalable prévu le 17 mars 2020 de sorte que le délai prévu pour la notification de la sanction, arrivé à échéance le 17 avril 2020, avait été automatiquement reporté au 23 juillet 2020 et que le salarié s'était vu notifier son licenciement pour faute grave le 4 juin 2020 dans le respect des délais applicables ; qu'en se bornant, pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse, à relever que celui-ci avait été notifié plus d'un mois après l'entretien préalable, sans tenir compte du droit spécifique applicable pendant la période d'urgence sanitaire, la cour d'appel a violé l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, ensemble l'article L. 1332-2 du Code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période et L. 1332-2 du code du travail :
5. Selon le premier de ces textes, afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, le gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance toute mesure adaptant, interrompant, suspendant ou reportant le terme des délais prévus à peine de nullité, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, déchéance d'un droit, fin d'un agrément ou d'une autorisation ou cessation d'une mesure, à l'exception des mesures privatives de liberté et des sanctions.
6. Selon le deuxième, tout acte prescrit par la loi à peine notamment de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité ou péremption, qui aurait dû être accompli entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020, est réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.
7. Aux termes du troisième, le licenciement disciplinaire doit intervenir dans un délai d'un mois suivant la date de l'entretien préalable. À défaut, le licenciement prononcé hors délai est sans cause réelle et sérieuse.
8. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'obligation imposée à l'employeur de notifier la sanction disciplinaire dans le délai d'un mois à compter de l'entretien préalable constitue un acte prescrit par la loi relevant des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire.
9. Pour dire le licenciement non fondé, l'arrêt constate d'abord que le courrier de report de l'entretien préalable daté du 17 mars2020 et adressé au salarié indique qu' « en raison de la crise sanitaire majeure que notre pays traverse actuellement et des décisions y afférentes, nous sommes contraints de reporter l'entretien préalable sine die. Nous vous adresserons naturellement une nouvelle convocation dès que possible. » Il relève ensuite que la première convocation du 6 mars 2020 n'a donc pas été suivie du licenciement disciplinaire dans le mois de la date de l'entretien préalable qu'elle fixait, le report de cet entretien n'étant pas imputable au salarié, qui rappelle que le confinement a débuté le 17 mars 2020 à 12 heures et qu'il était parfaitement possible d'en assurer la tenue, d'autant plus que les autorités avaient annoncé une tolérance des déplacements durant les heures ainsi que le lendemain suivant le début du confinement.
10. Il ajoute que l'employeur a envisagé le déplacement du salarié au cours du confinement en le convoquant à un entretien préalable fixé au 16 avril 2020 à 10 heures, et que ce courrier, daté du 3 avril 2020, lui demandait de se munir d'une attestation de déplacement dérogatoire en visant l'exception de déplacement prévue à l'alinéa 1, de respecter les gestes barrière, et lui précisait qu'un masque et des gants lui seraient donnés à son arrivée au siège.
11. Il en déduit que la société ne peut valablement se prévaloir, au soutien de la prorogation des délais applicables en matière de procédure disciplinaire, des dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, qui a été prise en application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 qui avait défini les mesures à prendre par voie d'ordonnance, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, en sorte que le licenciement, intervenu le 4 juin 2020 à l'issue d'une procédure disciplinaire engagée le 9 mars 2020, soit plus d'un mois après la date de l'entretien préalable, est sans cause réelle et sérieuse.
12. En statuant ainsi, alors que le délai pour notifier la sanction disciplinaire, qui devait expirer durant la période comprise entre le 12 mars et le 23 juin 2020, avait recommencé à courir à compter du 24 juin, pour une durée d'un mois, de sorte que l'employeur pouvait, en application de l'article 2 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, notifier le licenciement jusqu'à un mois après la fin de cette période, soit jusqu'au 23 juillet 2020, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 décembre 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Metz ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Colmar ;
Condamne M. [I] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille vingt-cinq.