LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 23-87.193 F-D
N° 00259
GM
5 MARS 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 MARS 2025
M. [X] [N] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 16 novembre 2023, qui, pour fraude fiscale, l'a condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis, dix ans d'interdiction de gérer, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de Mme Piazza, conseiller, les observations du cabinet François Pinet, avocat de M. [X] [N], et les conclusions de M. Micolet, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Piazza, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. La société [1], créée le 24 mars 2014 par M. [X] [N], a fait l'objet d'un contrôle fiscal concernant sur le paiement de la TVA et de l'impôt sur les sociétés des exercices 2016 et 2017, qui a abouti à un redressement portant sur la somme totale de 541 182 euros de droits éludés et pénalités fiscales.
3. Cette sanction fiscale est définitive.
4. Il est apparu au cours de la procédure que, le 27 octobre 2018, M. [N] avait liquidé la société sous couvert d'une transmission universelle de patrimoine en faveur de la société [2] domiciliée en Ecosse, laquelle ne recouvrait dans ce pays aucune réalité économique.
5. La société a été placée en redressement puis en liquidation judiciaires, par jugements respectifs des 2 octobre et 13 novembre 2019.
6. L'administration fiscale a dénoncé les faits le 7 octobre 2020 au procureur de la République qui a diligenté une enquête, au terme de laquelle M. [N] a été poursuivi devant le tribunal correctionnel pour fraude fiscale.
7. Par jugement du 28 février 2022, le tribunal correctionnel a déclaré M. [N] coupable de ce chef, l'a condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis, dix ans d'interdiction de gérer, publication du jugement et a prononcé sur les demandes de l'administration fiscale, partie civile.
8. M. [N] et le ministère public ont relevé appel du jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses troisième, cinquième, sixième et septième branches
9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches
Enoncé du moyen
10. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il déclaré M. [N] coupable des faits de soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement de l'impôt par dissimulation de sommes - fraude fiscale commis du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017 à Uckange (Moselle), alors :
« 1°/ que la soustraction frauduleuse à l'établissement ou au paiement des impôts par dissimulation volontaire d'une part des sommes sujettes à l'impôt n'est sanctionnée que si la dissimulation excède le dixième de la somme imposable ou la somme de 153 euros ; que pour prononcer la condamnation de M. [N] pour dissimulation frauduleuse de sommes sujettes à l'impôt, la cour d'appel a omis de déterminer, comme elle y était pourtant expressément invitée par le prévenu, le montant des sommes dissimulées afin de s'assurer qu'elles excédaient le dixième de la somme imposable ou la somme de 153 euros ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'article 1741 du code général des impôts ;
2°/ que le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; que M. [N] soutenait devant la cour d'appel qu'il appartenait au juge de déterminer si la somme dont la dissimulation était alléguée excédait le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros, ce qu'il contestait ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 593 du code de procédure pénale ;
4°/ que la contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; que l'arrêt retient qu'il est reproché à M. [N] une omission totale de déclaration d'impôts pour les années 2016 et 2017 ; qu'en condamnant cependant M. [N] pour fraude fiscale par dissimulation de sommes sujettes à l'impôt, la cour d'appel, qui s'est contredite, a méconnu l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
11. Pour déclarer M. [N] coupable de fraude fiscale, l'arrêt attaqué énonce, par motifs propres et adoptés, que le prévenu n'a établi aucune comptabilité, qu'il n'a pas respecté ses obligations fiscales déclaratives et que l'administration fiscale a dû reconstituer le chiffre d'affaires de la société.
12. Les juges retiennent que la volonté de frauder de M. [N] résulte aussi du transfert du siège social de la société et de la transmission universelle du patrimoine de celle-ci, ainsi que du montant important des droits fraudés.
13. Ils relèvent que la délégation de pouvoirs invoquée au profit du comptable, dont M. [N] ne se souvient pas du nom, qu'il n'a pas payé et dont l'enquête a démontré qu'il n'avait été saisi qu'après le contrôle fiscal, ne peut permettre de le décharger de sa responsabilité pénale personnelle.
14. Ils ajoutent que la mauvaise maîtrise par le prévenu de la langue française ne peut justifier ses omissions.
15. Ils en déduisent que M. [N], qui n'a pas contesté la matérialité des faits, et qui a invoqué une négligence, doit être déclaré coupable du délit de fraude fiscale.
16. En l'état de ces énonciations dénuées de contradiction, dont il résulte que l'évaluation des droits éludés permettait de retenir que le montant des sommes dissimulées excédait le seuil prévu par l'article 1741 du code général des impôts, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.
17. Ainsi, le moyen doit être écarté.
Mais sur les deuxième et troisième moyens
Enoncé des moyens
18. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé, à titre de peine complémentaire, l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans, alors « que nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; qu'une condamnation pour fraude fiscale peut être assortie d'une interdiction de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler à un titre quelconque, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d'autrui, une entreprise commerciale ou industrielle ou une société commerciale ; qu'en prononçant une interdiction de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société, sans limiter cette interdiction aux entreprises commerciales ou industrielles et aux sociétés commerciales, la cour d'appel a méconnu l'article 111-3 du code pénal, ensemble l'article 1750 du code général des impôts. »
19. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la diffusion dans un journal d'annonce légale de la condamnation pour une durée d'un mois, alors « que nul ne peut être puni, pour un délit, d'une peine qui n'est pas prévue par la loi ; qu'à l'époque des faits incriminés, la peine complémentaire d'affichage et de diffusion de la décision de condamnation pour fraude fiscale peut être ordonnée par le juge ; qu'il en résulte que cette peine est facultative ; que, par motifs adoptés, l'arrêt retient que « la peine d'affichage ou de diffusion de la décision est obligatoire à moins de ne pas l'ordonner par décision spécialement motivée » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'article 111-3 du code pénal, ensemble l'article 1741 du code général des impôts. »
Réponse de la Cour
20. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 111-3 et 112-1, alinéa 2, du code pénal :
21. Selon le premier de ces textes, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.
22. Selon le second, seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la date de commission des faits.
23. Après avoir déclaré M. [N] coupable de fraude fiscale, l'arrêt attaqué le condamne, d'une part, à l'interdiction d'exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de dix ans, d'autre part à la diffusion de la décision dans un journal d'annonce légale pour une durée d'un mois, en indiquant qu'il s'agit d'une peine obligatoire.
24. En prononçant ainsi une interdiction de gérer toute entreprise ou toute société et la diffusion de la décision en raison de son caractère obligatoire alors que, d'une part, l'article 1750 du code général des impôts, applicable au délit reproché, limite l'interdiction aux entreprises commerciales ou industrielles et aux sociétés commerciales, d'autre part, l'article 1741 du même code, dans sa version applicable à la date des faits, ne prévoyait la peine de diffusion de la décision qu'à titre facultatif, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
25. La cassation est par conséquent encourue de ces chefs.
Portée et conséquences de la cassation
26. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux peines complémentaires. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, mais en ses seules dispositions relatives aux peines complémentaires prononcées à l'égard de M. [N], l'arrêt susvisé de la cour d'appel de la cour d'appel de Metz, en date du 16 novembre 2023, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-cinq.