LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 mars 2025
Cassation partielle
Mme SCHMIDT, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 109 F-D
Pourvoi n° R 23-21.910
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 MARS 2025
1°/ Mme [Y] [B], épouse [S],
2°/ M. [G] [S],
tous deux domiciliés [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° R 23-21.910 contre l'arrêt rendu le 6 juin 2023 par la cour d'appel de Poitiers (1re chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Cypres finance, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ à la société MMA Iard, société d'assurances mutuelles, prise en qualité d'assureur de la société Cypres finance,
3°/ à la société MMA Iard assurances mutuelles, société d'assurances mutuelles, prise en qualité d'assureur de la société Cypres finance,
toutes deux ayant leur siège [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. et Mme [S], de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Cypres finance, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles, en leur qualité d'assureur de la société Cypres finance, et l'avis de M. de Monteynard, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents Mme Schmidt, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, M. Bedouet, conseiller, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 6 juin 2023), entre les 2 novembre 2014 et le 14 juin 2017, M. et Mme [S], conseillés par la société Cyprès finance, société de conseils en gestion de patrimoine et conseiller en investissement financier, ont investi dans plusieurs sociétés du groupe Maranatha, lesquelles ont été mises en redressement puis liquidation judiciaires au dernier trimestre de l'année 2017.
2. Les 8 et 15 juillet 2021, se prévalant d'un manquement la société Cyprès finance à ses obligations d'information et de conseil pour leur avoir communiqué des informations inexactes et trompeuses, ils ont assigné en responsabilité la société Cyprès finance et ses assureurs, les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. M. et Mme [S] font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance entreprise ayant déclaré irrecevables comme prescrites leurs demandes formées au titre de l'investissement réalisé le 2 novembre 2014, alors « que la prescription d'une action en responsabilité court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance ; qu'ainsi, la prescription de l'action en responsabilité à l'encontre d'un conseiller en gestion de patrimoine et en investissements financiers au titre d'un manquement à son obligation d'information et de conseil sur le risque résultant de l'investissement proposé court à compter du jour où le client a connaissance de la réalisation de ce risque, lui permettant d'avoir une connaissance effective de l'existence et des conséquences éventuelles d'un tel manquement de son conseiller, et non au jour de la souscription de l'investissement ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevables les demandes formées par M. [S] au titre de l'investissement réalisé le 2 novembre 2014 comme prescrites, la cour d'appel a retenu que "si le point de départ du délai de prescription court en principe à compter de la réalisation du dommage de perte de chance, soit au jour de la souscription de l'investissement conseillé, il appartient à M. [S] de démontrer qu'à la date de conclusion du contrat le 2 novembre 2014, il n'avait pas connaissance du dommage et pouvait légitimement l'ignorer, de sorte que le point de départ du délai de prescription devrait être repoussé", que "M. [S] échoue à démontrer qu'à la date de conclusion du contrat le 2 novembre 2014, il n'avait pas connaissance du dommage, soit sa perte de chance, et qu'il pouvait légitimement l'ignorer, de sorte que le point de départ du délai de prescription devrait être repoussé" et qu'"en conséquence, le point de départ du délai de prescription quinquennal doit être fixé au 2 novembre 2014, date de la souscription de l'investissement par M. [S]" ; qu'en statuant ainsi, cependant que la prescription de cette action en responsabilité contre la société Cypres Finance, conseiller en gestion de patrimoine et en investissements financiers, au titre d'un manquement à son obligation d'information et de conseil courrait à compter du jour où M. [S] avait eu connaissance de la réalisation du risque qui était l'objet de l'obligation d'information et de conseil dont était débiteur le conseiller en gestion de patrimoine, et non du jour de la souscription de l'investissement, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce :
4. Les actions personnelles ou mobilières entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
5. Il s'en déduit que le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur.
6. Le manquement d'un conseiller en gestion en patrimoine à son obligation d'information sur le risque de perte en capital et la valorisation du produit financier prive cet investisseur d'une chance d'éviter le risque qui s'est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l'investisseur ait subi des pertes ou des gains manqués. Il en résulte que le délai de prescription de l'action en indemnisation d'un tel dommage ne peut commencer à courir avant la date à laquelle l'investissement a été perdu.
7. Pour déclarer prescrite l'action en responsabilité engagée par M. et Mme [S] à l'encontre des sociétés Cyprès finance et MMA, l'arrêt retient que la plaquette rassurante éditée par le groupe Maranatha en 2012 ne peut contredire le rapport écrit en date du 2 novembre 2014, rédigé spécifiquement par la société Cyprès finance à l'intention de son client, M. [S], qui attire spécialement l'attention de celui-ci sur les risques de perte en capital, de défaillance de la société Maranatha pouvant remettre en cause l'exécution de la promesse de rachat, de fluctuation à la hausse comme à la baisse des comptes de résultat, de perte possible, partielle ou totale du capital investi et des risques liés à l'activité de la société, à la situation de contrôle de la société par l'associé commandité ainsi que le risque financier en cas d'augmentation des taux d'intérêts d'emprunt. Il en déduit que l'attention de M. [S] était attirée par son conseiller sur le risque de perte du capital investi et celui qu'impliquerait le défaut de la société Maranatha, sans qu'il en résulte que des informations trompeuses lui auraient été transmises de sorte qu'à réception de ce courrier, M. [S] ne pouvait ignorer qu'il perdait une chance d'investir dans un contrat ne présentant pas de risques ou en présentant moins, la perte de chance étant indépendante de la réalisation effective du risque.
8. En statuant par de tels motifs, impropres à établir que M. et Mme [S] auraient connu ou auraient dû connaître la perte de leur investissement à compter du 2 novembre 2014, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit n'y avoir lieu à révocation de l'ordonnance de clôture, et sauf en ce qu'il déclare irrecevable les dernières conclusions de M. et Mme [S] signifiées le 31 mars 2023, l'arrêt rendu le 6 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers, autrement composée ;
Condamne les sociétés Cyprès finance, MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Cyprès finance et les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles et les condamne à payer à M. et Mme [S] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq mars deux mille vingt-cinq.