LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 26 février 2025
Cassation partielle
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 200 F-D
Pourvoi n° D 23-16.448
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2025
1°/ M. [X] [R], domicilié [Adresse 3],
2°/ le syndicat Avenir Sopra Steria, dont le siège est [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° D 23-16.448 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2023 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige les opposant à la société Sopra Steria Group, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société Sopra Steria Group a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, six moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Arsac, conseiller référendaire, les observations écrites de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [R] et du syndicat Avenir Sopra Steria, de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Sopra Steria Group, après débats en l'audience publique du 22 janvier 2025 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Arsac, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 30 mars 2023), M. [R] a été engagé en qualité d'ingénieur d'affaires par la société Somepost informatique, selon contrat de travail à durée indéterminée du 5 janvier 2000.
2. Il est titulaire de plusieurs mandats syndicaux depuis l'année 2001.
3. Par arrêt du 20 octobre 2009, devenu irrévocable, la cour d'appel de Paris a condamné la société Steria, venant aux droits de la société Imelios, anciennement dénommée Somepost informatique, à repositionner le salarié dans un poste à temps plein d'ingénieur d'affaires ou équivalent, statut cadre, coefficient 170, filière commerciale, avec un salaire de 87 902,20 euros, ainsi qu'à lui payer des dommages-intérêts pour discrimination et harcèlement.
4. La société Sopra Steria Group (la société), née de la fusion des sociétés Sopra et Steria, est venue aux droits de la société Steria.
5. Par requête du 1er octobre 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en paiement de dommages-intérêts au titre d'une discrimination syndicale et d'un harcèlement postérieurs à l'arrêt du 20 octobre 2009 ainsi qu'au titre de salaires correspondant aux jours travaillés au-delà du forfait annuel.
6. Le syndicat Avenir Sopra Steria (le syndicat) est intervenu à l'instance, sollicitant l'indemnisation de différents préjudices résultant de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession.
Examen des moyens
Sur le troisième moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
8. Le salarié et le syndicat font grief à l'arrêt de débouter le salarié de ses demandes formées au titre d'une discrimination syndicale en repositionnement, sous astreinte, dans un poste à temps plein d'account manager, en paiement de dommages-intérêts, en rappel de salaire et de congés payés afférents et en paiement de dommages-intérêts pour perte de chance de bénéficier d'un étalement d'impôts et d'un taux d'imposition moindre et de débouter le syndicat de sa demande de dommages-intérêts en raison de l'atteinte disproportionnée aux intérêts collectifs de la profession défendue par le syndicat, alors :
« 1°/ que les juges, dans le cadre des litiges relatifs aux discriminations, doivent prendre en considération l'ensemble des éléments qui leur sont soumis par le salarié ; que le salarié soutenait, dans ses écritures d'appel, preuve à l'appui, qu'il pouvait légitimement refuser le poste d'account manager senior dans l'équipe du compte La Poste, qui lui avait été proposé
le 25 février 2013, puisqu'il lui retirait d'autorité ses attributions précédentes en lui imposant une modification et en la maintenant malgré le refus du salarié, s'agissant des contrats cadres signés en 2012 et lui faisait perdre également toutes les primes ''staffing boosters'' et autres avantages financiers et évolutions correspondant à l'exercice de sa fonction contractuelle ; qu'en se bornant, pour dire qu'il n'était pas établi que le salarié avait refusé de manière légitime d'exercer les fonctions qui lui avaient été proposées en 2013 et le débouter, en conséquence, de sa demande relative à la discrimination syndicale, à énoncer que ce poste lui permettait d'accomplir une mission compatible avec la disponibilité que lui laissait l'exercice de ses mandats syndicaux et représentatifs cumulés, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le retrait d'autorité par l'employeur des attributions de M. [R] convenues par écrit et réalisées en 2012 pour l'obtention des contrats cadres afin de suivre leur réalisation conformément aux règles contractuelles rappelées par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 octobre 2009, et la perte de rémunération engendrée par le poste proposé, ne constituaient pas une modification imposée et maintenue, en dépit du refus du salarié protégé, de son contrat de travail, constitutive d'un trouble illicite, que ce dernier était en droit de refuser, l'employeur ne pouvant maintenir d'autorité cette modification et devant saisir immédiatement l'inspecteur du travail d'une demande de licenciement du salarié protégé, n'autorisaient pas l'exposant à le refuser légitimement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
2°/ que le salarié protégé est en droit de refuser un nouveau poste engendrant une modification de son contrat de travail comme une simple modification de ses conditions de travail ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que M. [R] n'avait pas accepté le poste d'account manager senior dans l'équipe du compte La Poste, qui lui avait été proposé
le 25 février 2013, qu'il ressortait de la fiche de poste que la nouvelle mission recouvrait un suivi plus administratif qu'opérationnel et que dans son procès-verbal n° 116/2015 établi le 26 novembre 2015 à la suite de la demande d'autorisation de licenciement de M. [R] formée par la société Steria en 2013, l'inspecteur du travail avait considéré que le poste constituait une rétrogradation, a néanmoins, pour dire qu'il n'était pas établi que M. [R] avait refusé de manière légitime d'exercer les fonctions qui lui avaient été proposées en 2013 et le débouter, en conséquence, de sa demande relative à la discrimination syndicale, énoncé que ce poste lui permettait d'accomplir une mission compatible avec la disponibilité que lui laissait l'exercice de ses mandats syndicaux et représentatifs cumulés, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait au contraire que l'exposant pouvait légitimement refuser ledit poste, violant ainsi les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
3°/ que lorsqu'il est saisi d'un litige relatif à une discrimination syndicale, le juge qui retient l'existence de faits laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, ne peut débouter le salarié de ses demandes sans se fonder sur des motifs permettant d'établir que l'employeur justifie ses agissements par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; qu'en s'abstenant d'examiner si l'absence de promotion de M. [R] et la rétention d'indemnité de congés payés, qu'elle avait retenues comme laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale, étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
4°/ que la cour d'appel qui, après avoir constaté que M. [R], au nombre des faits laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale, établissait n'avoir bénéficié que d'une augmentation de 11,7 % sur les douze exercices écoulés entre l'arrêt rendu en 2009 et janvier 2023, alors que les salariés en moyenne de la population comprenant les non-augmentés avaient eu une moyenne globale d'augmentation de 45 % de janvier 2010 à juillet 2022, s'est ensuite fondée, pour dire que l'employeur justifiait que les décisions prises étaient étrangères à toute discrimination syndicale et débouter, en conséquence, l'exposant de sa demande de régularisation du salaire par application directe de l'article L. 2141-5-1 du code du travail, sur les circonstances inopérantes selon lesquelles il avait connu une augmentation moyenne de rémunération de 13,25 % par an de son embauche à l'année 2021, et l'intégration de sa part variable à son salaire par l'effet de l'arrêt de 2009 le plaçait dans une situation plus favorable que celles de ses collègues qui devaient remplir des objectifs, circonstances qui ne permettaient pas de justifier le fait que l'exposant, depuis 2009, ne s'était vu allouer qu'une augmentation bien inférieure à la moyenne, a violé l'article L. 2141-5-1 du code du travail, ensemble les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 de ce code ;
5°/ que la cour d'appel qui, après avoir constaté que M. [R], au nombre des faits laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale, établissait l'absence de remboursement, à la différence des autres salariés et de représentants du personnel, de ses frais à compter de 2010 et pendant environ dix ans, entravant son action syndicale, s'est ensuite fondée, pour dire que l'employeur justifiait que les décisions prises étaient étrangères à toute discrimination syndicale et débouter, en conséquence, l'exposant de ses demandes, sur la circonstance inopérante que M. [R] ne respectait pas toujours les règles applicables dans la société, remettant ses notes de frais tardivement, ne les déclarant pas dans les outils idoines ou aux interlocuteurs compétents, des incidents étant survenus à cet égard en 2015, 2019 et 2021, circonstance qui ne permettait pas de justifier l'absence de tout remboursement de ses frais au seul exposant depuis 2010, a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
6°/ qu'en s'abstenant d'examiner si la reconnaissance de la discrimination par le procès-verbal de l'inspection du travail, qu'elle avait retenue comme laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale, était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
7°/ que la cour d'appel qui, après avoir constaté que M. [R], au nombre des faits laissant supposer l'existence d'une discrimination syndicale, établissait sa privation d'activité professionnelle et le refus de l'employeur de le rétablir dans ses fonctions ainsi que sa mise à l'écart, s'est ensuite fondée, pour dire que l'employeur justifiait que les décisions prises étaient étrangères à toute discrimination syndicale et débouter, en conséquence, l'exposant de ses demandes, sur les circonstances inopérantes selon lesquelles il avait, à plusieurs reprises, en 2010, refusé des propositions de postes, il n'avait pas sollicité la rupture de son contrat de travail pour manquement de son employeur à lui fournir une activité professionnelle, et il consacrait une grande partie de son temps de travail à l'exercice de ses mandats syndicaux, circonstances qui ne permettaient pas de justifier le fait que l'exposant, en 2011, ne s'était pas vu proposer le moindre poste de travail, cependant qu'il n'avait eu de cesse de demander à l'employeur de le rétablir dans ses fonctions conformément à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 octobre 2009, ni même son absence d'affectation à un poste de travail à compter de 2013, cependant qu'il n'avait cessé de réclamer des nouvelles de l'étude de son poste, qu'il avait fait part de son souhait de partager son activité entre 50 % de travail et 50 % d'activités syndicales, et que depuis la fusion Sopra Steria en 2015, il se limitait, selon ses rapports d'activité officiels mensuels, à environ 50 % en moyenne d'imputation en mandats et 50 % en attente d'affectation sans que l'employeur, en l'absence de force majeure, ne lui propose la moindre affectation, a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du code du travail ;
8°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que la cour d'appel en énonçant, pour débouter l'exposant de ses demandes, que l'absence de réunions en 2022 pour évoquer son repositionnement tenait au fait que M. [M] souhaitait recevoir M. [R] seul tandis que le salarié souhaitait être accompagné, menant à une situation de blocage, lorsque l'employeur, dans ses écritures d'appel, reconnaissait qu'une réunion entre M. [R] et le directeur général avait bien eu lieu le 31 août 2022, de sorte qu'aucune situation de blocage ne pouvait être imputée à l'exposant, a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
9. L'arrêt retient que l'employeur avait offert au salarié un poste compatible avec la disponibilité que lui laissait l'exercice de ses mandats syndicaux et représentatifs, que le salarié ne respectait pas les procédures de remboursement de frais, que ses refus de postes n'étaient pas justifiés dès lors qu'il n'était pas établi que les tâches confiées ne correspondaient pas à son contrat de travail, à ses qualifications et aux décisions de justice intervenues, et qu'il avait refusé un bilan de compétences ainsi qu'une formation.
10. Appréciant l'ensemble des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, sans méconnaître les termes du litige, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation et qui a déduit de ses énonciations et constatations que si, parmi les éléments présentés par le salarié, certains laissaient supposer l'existence d'une discrimination, ceux-ci étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, n'encourt pas les griefs du moyen.
Sur le sixième moyen
Enoncé du moyen
11. Le salarié et le syndicat font grief à l'arrêt de débouter le syndicat de sa demande tendant à la condamnation de la société, pour les faits d'entrave en 2019, 2020 et 2021 à l'exercice du droit d'alerte concernant la situation de son secrétaire général, au paiement d'une somme à titre de dommages-intérêts, alors :
« 1°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en soulevant d'office, pour débouter le syndicat de sa demande, les moyens tirés de ce que le syndicat, intervenant accessoirement à l'action diligentée par M. [R], ne pouvait invoquer qu'un manquement concernant le droit d'alerte émis par ce dernier et la société ayant répondu à l'alerte émise par ce représentant et fait une proposition, ne s'était pas rendue coupable d'une entrave au mandat de M. [R] en qualité de membre du CSE, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ qu'en cas d'entrave par l'employeur à l'exercice du droit syndical, le syndicat professionnel est en droit d'obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice atteignant l'intérêt collectif de la profession qu'il représente ; qu'en se bornant, pour débouter le syndicat de sa demande, à énoncer que le syndicat, intervenant accessoirement à l'action diligentée par M. [R], ne pouvait invoquer qu'un manquement concernant le droit d'alerte émis par ce dernier et la société ayant répondu à l'alerte émise par ce représentant et fait une proposition, ne s'était pas rendue coupable d'une entrave au mandat de M. [R] en qualité de membre du CSE, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'entrave au mandat de Mme [J], délégué du personnel ''dont le droit d'alerte concernant la situation de M. [R] en septembre 2019 a été ignoré volontairement par la direction'', l'entrave au mandat de cette dernière de représentant de proximité de [Localité 4] et également membre du CSE, ainsi que l'entrave aux mandats de MM. [R] et [U], membres du CSE ''dont le droit d'alerte concernant la situation de M. [R] en 2020 et 2021 a été ignoré volontairement par la direction'', ne justifiaient pas de faire droit à la demande du syndicat exposant en paiement de dommages-intérêts, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 2132-3 et 2312-59 du code du travail. »
Réponse de la Cour
12. Ayant retenu que la société ne s'était pas rendue coupable d'une entrave au mandat du salarié en qualité de membre du comité social et économique, de sorte que la demande de dommages-intérêts présentée par le syndicat au titre du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession devait être rejetée, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche inopérante et qui n'encourt pas le grief visé à la première branche du moyen, a légalement justifié sa décision.
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
13. Le salarié et le syndicat font grief à l'arrêt de débouter le salarié de sa demande en paiement d'une certaine somme au titre des salaires liés au nombre de jours travaillés au-delà du forfait, en deniers ou quittances, et des congés payés afférents, et de débouter le syndicat de sa demande tendant à voir la société condamnée à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour violation des dispositions légales et conventionnelles relatives à la durée du travail notamment le forfait en jours en raison de l'atteinte disproportionnée aux intérêts collectifs de la profession défendue par le syndicat, alors :
« 1°/ que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en soulevant d'office, pour débouter M. [R] de sa demande, les moyens tirés, d'une part de ce qu'il ne sollicitait pas le paiement d'heures supplémentaires mais le paiement de jours travaillés au-delà du forfait en jours qu'il estimait pourtant lui être inopposable, et d'autre part, de ce que les dépassements du nombre de jours travaillés prévus au forfait en jours concernaient non pas son activité professionnelle mais le temps consacré à l'exercice de ses mandats syndicaux sans qu'il justifie que le dépassement de ses heures de délégation tenait à des circonstances exceptionnelles, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que le juge est lié par l'objet du litige, tel qu'il résulte des conclusions déposées par les parties ; qu'en l'espèce où M. [R] ne demandait pas au juge de constater l'inopposabilité à son endroit de la convention de forfait en jours dont il bénéficiait et le paiement subséquent d'heures supplémentaires, mais le paiement des jours travaillés au-delà de la durée annuelle prévue par la convention de forfait en jours, selon les stipulations explicites de son contrat de travail et de l'accord Syntec de 2004, la cour d'appel, en énonçant que cette convention était inopposable à M. [R] qui pouvait demander le paiement d'heures supplémentaires, ce qu'il ne faisait pas puisqu'il sollicitait le paiement de jours travaillés au-delà du forfait en jours qu'il estimait pourtant lui être inopposable, a modifié l'objet du litige et ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 4 et 16 du code de procédure civile :
14. Selon le premier de ces textes, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
15. Selon le second, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
16. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement des jours travaillés au-delà du forfait en jours, l'arrêt retient que, dès lors que la société, qui n'a pas conclu sur cette demande, ne justifie ni de l'existence d'un accord sur le forfait en jours prévoyant des règles de suivi de la charge de travail du salarié ni de la réalisation d'un entretien annuel avec le salarié sur sa charge de travail, la convention de forfait en jours est inopposable au salarié qui peut ainsi demander paiement d'heures supplémentaires, que, toutefois, d'une part, le salarié ne demande pas le paiement d'heures supplémentaires mais celui des jours travaillés au-delà du forfait en jours qu'il estime pourtant lui être inopposable, d'autre part, les dépassements du nombre de jours travaillés prévus au forfait en jours ne concernent pas l'activité professionnelle du salarié, mais le temps consacré à l'exercice de ses mandats syndicaux et que le salarié ne justifie pas que le dépassement de ses heures de délégation tenait à des circonstances exceptionnelles.
17. En statuant ainsi, la cour d'appel qui a, d'une part, modifié les termes du litige, le salarié n'ayant pas demandé que la convention de forfait en jours lui soit inopposable, et, d'autre part, relevé d'office le moyen tiré de ce que les dépassements du nombre de jours travaillés prévus au forfait en jours ne concernaient pas l'activité professionnelle du salarié, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations, a violé les textes susvisés.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
18. Le salarié et le syndicat font grief à l'arrêt de débouter le syndicat de sa demande en condamnation de la société, pour les faits de harcèlement moral caractérisés postérieurement à l'arrêt du 20 octobre 2009 à ce jour, à payer au syndicat une somme à titre de dommages-intérêts en raison de l'atteinte disproportionnée aux intérêts collectifs de la profession défendue par le syndicat, alors « que le juge ne peut procéder par voie de considérations générales et abstraites et doit préciser l'origine et la nature des renseignements qui ont servi à motiver sa décision ; qu'en se bornant, pour débouter le syndicat Avenir Sopra Steria de sa demande, à affirmer péremptoirement, après avoir reconnu le harcèlement moral subi par M. [R], représentant du personnel élu sur la liste du syndicat Avenir Sopra Steria et représentant syndical de ce syndicat, que le harcèlement moral ne porte pas atteinte à l'intérêt collectif de la profession défendu par le syndicat, qui n'intervient à la procédure qu'à titre accessoire, sans motiver sa décision de ce chef et expliquer les raisons pour lesquelles elle décidait d'écarter l'existence d'un préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession représentée par le syndicat par le harcèlement moral subi par son représentant syndical, la cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
19. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse aux conclusions constitue un défaut de motifs.
20. Pour débouter le syndicat de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession du fait du harcèlement moral subi par le salarié, la cour d'appel retient que, si le harcèlement moral a été reconnu, ce dernier affecte le salarié à titre personnel et ne porte pas atteinte à l'intérêt collectif de la profession défendu par le syndicat.
21. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions du syndicat et du salarié qui soutenaient que ce dernier subissait une agressivité injustifiée lors des réunions des instances du comité social et économique et lors des négociations auxquelles il participait dans le cadre de l'exercice de ses fonctions représentatives, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande en paiement des jours travaillés au-delà du forfait en jours emporte celle du chef de dispositif déboutant le syndicat de sa demande de dommages-intérêts au titre de l'atteinte portée à l'intérêt collectif de la profession du fait du non-respect des règles relatives au forfait en jours, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
23. La cassation des chefs de dispositif déboutant le salarié de sa demande en paiement des jours travaillés au-delà du forfait en jours et déboutant le syndicat de ses demandes de dommages-intérêts au titre de l'atteinte portée à l'intérêt collectif du fait du harcèlement moral et du non-respect des règles relatives au forfait en jours n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
REJETTE le pourvoi incident ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [R] de sa demande au titre des salaires liés au nombre de jours travaillés au-delà du forfait et d'indemnité de congés payés afférents et en ce qu'il déboute le syndicat Avenir Sopra Steria de ses demandes de dommages-intérêts au titre de l'atteinte portée à l'intérêt collectif du fait du harcèlement moral du salarié et du non-respect des règles relatives au forfait en jours, l'arrêt rendu le 30 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Sopra Steria Group aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Sopra Steria Group et la condamne à payer à M. [R] et au syndicat Avenir Sopra Steria la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt-cinq.