LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 février 2025
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 165 F-D
Pourvoi n° A 23-18.975
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2025
M. [L] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° A 23-18.975 contre l'arrêt rendu le 12 mai 2023 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 2), dans le litige l'opposant à la société Bernard Pages, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Redon, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de M. [J], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Bernard Pages, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Redon, conseiller référendaire rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 12 mai 2023), M. [J] a été engagé en qualité de responsable produits à compter du 6 septembre 2010 par la société Baures. Par la suite, il a été engagé en qualité de directeur commercial métiers du génie climatique et sanitaire à compter du 1er octobre 2014 par la société Bernard Pages, faisant partie du même groupe.
2. Par lettre du 22 octobre 2018, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable. Il a été licencié par lettre du 20 novembre 2018.
3. Contestant son licenciement et sollicitant le paiement d'heures supplémentaires, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen des moyens
Sur le deuxième et le troisième moyens
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de condamnation de l'employeur à lui verser des sommes à titre de rappel de salaire pour la période du 1er janvier 2016 au 20 octobre 2018 et des congés payés afférents et de condamnation de l'employeur à lui verser une somme nette de CSG-CRDS à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors « qu' en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que l'employeur est tenu d'établir un système permettant de mesurer la durée du temps de travail effectué par un salarié ; que pour débouter l'exposant de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, la cour d'appel a retenu, par motifs propres, qu'elle ne pouvait retenir le forfait que M. [J] invoquait pour les horaires excédant les plages d'ouverture de l'agence, non plus que les horaires fixes qu'il visait sans tenir compte des congés payés dont il avait bénéficié et qui par leur régularité étaient incompatibles avec ses fonctions et plages variables expressément stipulées au contrat et que le décompte final exclusif de toutes les périodes d'absences était incohérent ; qu'elle a encore retenu, par motifs adoptés, que M. [J] ne démontrait pas la matérialité des heures effectuées ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a fait peser exclusivement sur le salarié la charge de la preuve des heures supplémentaires effectuées, et a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
6. Aux termes de ce texte, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
7. Il en résulte qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
8. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires, la cour d'appel relève que selon le contrat de travail, le salarié était rémunéré pour l'horaire collectif mensualisé de 151,67 heures, et qu'elle ne peut retenir le forfait que le salarié invoque pour les horaires excédant les plages d'ouverture de l'agence, qu'elle ne peut davantage retenir les horaires fixes qu'il vise, sans même tenir compte des congés payés dont il a bénéficié et qui par leur régularité sont incompatibles avec ses fonctions et les plages variables expressément stipulées au contrat, et que le décompte final exclusif de toutes les périodes d'absences est incohérent.
9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
Et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
10. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors « que la cassation du chef par lequel la cour d'appel a débouté l'exposant de sa demande au titre des heures supplémentaires emportera, par voie de conséquence, cassation du chef par lequel elle l'a débouté de sa demande au titre du travail dissimulé, qui était fondée sur les heures supplémentaires non rémunérées qu'il avait effectuées, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
11. La cassation à intervenir sur le premier moyen pris en sa première branche entraîne par voie de conséquence la cassation de l'arrêt en ce qu'il déboute le salarié de sa demande au titre du travail dissimulé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute le salarié de ses demandes formées au titre des heures supplémentaires et de l'indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt rendu le 12 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne la société Bernard Pages aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Bernard Pages et la condamne à payer à M. [J] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt-cinq.