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26/02/2025 | FRANCE | N°52500158

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 26 février 2025, 52500158


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :


SOC.


ZB1






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 26 février 2025








Cassation partielle
sans renvoi




Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président






Arrêt n° 158 F-D


Pourvoi n° Q 22-18.179








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2025


M. [F] [Z], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 22-18.179 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2022 pa...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

SOC.

ZB1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 février 2025

Cassation partielle
sans renvoi

Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président

Arrêt n° 158 F-D

Pourvoi n° Q 22-18.179

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2025

M. [F] [Z], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Q 22-18.179 contre l'arrêt rendu le 20 mai 2022 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Automobiles générales martiniquaises, (Autos GM), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La société Automobiles générales martiniquaises a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [Z], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Automobiles générales martiniquaises, après débats en l'audience publique du 21 janvier 2025 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Douxami, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 20 mai 2022) et les productions, M. [Z] a été engagé, en qualité de directeur de site, le 19 juillet 2010 par la société Automobiles générales martiniquaises (la société).

2. Le 22 décembre 2017, le salarié a informé son employeur de sa démission, avec une fin effective de contrat au 22 mars 2018.

3. Le 12 janvier 2018, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable en vue d'une rupture du préavis laquelle lui a été notifiée, par lettre du 1er février 2018, pour faute lourde.

4. Le 13 novembre 2018, l'employeur a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnation du salarié à lui payer des dommages-intérêts, en raison d'un manquement à l'obligation de loyauté professionnelle, et une somme au titre du préavis non-effectué. Reconventionnellement, le salarié a demandé que l'employeur soit condamné à lui payer des dommages-intérêts pour rupture anticipée du préavis sans cause réelle et sérieuse ainsi qu'un rappel de rémunération variable.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches, et les deuxième et troisième moyens du pourvoi incident

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire bien fondée la rupture du préavis de sa démission par la société Autos GM du fait d'une faute grave, de le condamner à payer à cette société une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de l'exécution déloyale du contrat de travail, au mépris de la clause de discrétion et de non-concurrence incluse dans son contrat de travail, de le débouter de toutes ses demandes et de le condamner à payer une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que le salarié a droit, même au temps et au lieu du travail, au respect de l'intimité de sa vie privée, laquelle implique le secret des correspondances ; qu'il faisait valoir que l'employeur usait de moyens de preuve illicites en ce que ses accusations reposaient sur des échanges de courriers provenant de sa messagerie personnelle ; qu'en retenant qu'il était établi que le salarié envoyait et recevait de très nombreux courriels pour préparer et négocier le rachat de la société de vente de véhicules concurrents à ceux vendus par la société Autos GM, laquelle justifiait de l'envoi par le salarié à ses partenaires d'informations confidentielles, sans préciser l'origine des correspondances produites par l'employeur sur lesquelles elle se fondait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 9 du code civil, 9 du code de procédure et L. 1121-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

8. La production en justice par l'employeur de courriels, dont il n'était pas contesté qu'ils provenaient de la messagerie personnelle du salarié, constituait une atteinte à la vie privée du salarié.

9. Cependant, la cour d'appel a constaté que, pour établir le grief de déloyauté à raison de pourparlers en vue de la création d'une société concurrente et de la divulgation d'informations confidentielles de l'entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes, l'employeur s'était borné à produire les messages échangés par l'intéressé avec ses partenaires pour préparer et négocier le rachat d'une société de ventes de véhicules de même standing que ceux vendus par son employeur et leur faire parvenir des informations confidentielles.

10. En l'état de ces constatations, la cour d'appel a fait ressortir que cette production d'éléments portant atteinte à la vie privée du salarié était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de l'employeur à la préservation de ses intérêts et la confidentialité de ses affaires.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

12. La société fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande visant à ce que soit retenue la faute lourde du salarié, alors « que la faute lourde est caractérisée par l'intention de nuire à l'employeur, laquelle implique la volonté du salarié de lui porter préjudice dans la commission du fait fautif ; qu'en l'espèce, l'employeur faisait valoir, preuves à l'appui, que le salarié avait, avec la complicité d'un ancien salarié de la société, disposant de hautes responsabilités, initié des opérations de rachat d'une concession automobile directement concurrente et organisé tout le système de financement et le montage juridique, quand il était pourtant toujours en poste dans la société et qu'il en demeurait le directeur de site, en charge du développement des ventes et du chiffre d'affaires, du contrôle de gestion et de la rentabilité, de l'optimisation des résultats et du renforcement de son image et de sa position sur le marché, usant de diverses manoeuvres pour dissimuler son identité, et de sa position dans l'entreprise pour communiquer à ses associés de nombreuses données confidentielles, tout en niant systématiquement toute implication à chaque interrogation de son employeur, et qu'il avait effacé les données de son téléphone professionnel suite à sa remise à l'employeur ; que la cour d'appel a retenu que les agissements de M. [Z] relatifs à son activité de création d'une société concurrente en vue du rachat de la société BCAM, titulaires des cartes BMW et Mini, étaient établis, que l'engagement du salarié avec d'autres partenaires, dont M. [Y], ancien salarié de la société Autos GM en procès avec cette dernière, pour créer la société AAAM et racheter la société BCAM avait été très actif, qu'il avait en effet envoyé et reçu de très nombreux courriels pour préparer et négocier le rachat de la société de vente de véhicules directement concurrents à ceux vendus par la société Autos GM (véhicule de même standing), que sa connaissance du marché, de par ses fonctions au sein de la société Autos GM, était pour lui un atout indéniable et plus encore l'accès qui était le sien à des informations confidentielles émanant d'un concurrent direct à la société dont il participait à la création, qu'il avait adressé à ses partenaires des informations confidentielles de la société Autos GM, que le projet de création de la société AAAM avançait et le rachat de la société BCAM se précisait au moment où il affirmait à son employeur qu'il ne participait à aucun projet de ce type, que son épouse avait été actionnaire de la société créée tant qu'il ne pouvait directement en prendre des parts, qu'il avait effacé les informations contenues dans son téléphone professionnel après sa remise à son employeur à l'issue de l'entretien du 19 janvier 2018 et que, destinataire d'un inventaire des stocks de VO, fin juin 2017, il avait transmis ce document confidentiel à M. [Y] ; qu'en jugeant pourtant que ces faits n'établissaient pas l'intention du salarié de nuire à son employeur, c'est-à-dire de lui porter préjudice, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5, et L. 1234-9 du code du travail. »

Réponse de la Cour

13. L'arrêt relève que le salarié a fait preuve d'un engagement très actif dans un projet de création d'une société, en vue du rachat d'une société directement concurrence à celle de son employeur et vendant des véhicules de même standing, en association avec un ancien salarié de son employeur, alors en procès avec celui-ci. Il ajoute que la bonne connaissance du marché par le salarié était un atout indéniable mais plus encore son accès à des informations confidentielles, émanant d'un concurrent direct, qu'il a transmises à ses partenaires et que le salarié a dissimulé cette création à son employeur en lui affirmant qu'il ne participait pas à ce projet, son épouse ayant été actionnaire de la société créée tant qu'il ne pouvait directement en prendre des parts. Enfin, l'arrêt retient, d'une part, que le salarié a aussi fait preuve de déloyauté en effaçant les informations contenues dans son téléphone professionnel et, d'autre part, qu'il est établi qu'il a transmis un document confidentiel, en l'espèce l'inventaire des stocks de véhicule d'occasion, fin juin 2017 à l'un de ses associés dans la société concurrente.

14. De ces énonciations et constatations, dont il ne ressortait pas que le projet de création de société avait été mis en oeuvre avant la rupture du contrat ou que le salarié avait débauché des salariés de l'entreprise, la cour d'appel a pu déduire que si le comportement du salarié était incompatible avec son maintien dans la société, même jusqu'au terme de son préavis, il n'était en revanche pas démontré que ces agissements avaient pour but de nuire à son employeur.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

16. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu le principe selon lequel la responsabilité pécuniaire d'un salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde :

17. Pour condamner le salarié à payer à la société une somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient qu'il est démontré que le salarié a, par son comportement, nui à la confiance nécessaire existant entre son employeur et son salarié, au surplus cadre dirigeant. Ce dernier se doit d'agir de manière exemplaire et en toute transparence dans le souci de la bonne marche de l'entreprise qui l'emploie.

18. En statuant ainsi, alors qu'elle décidait, par un chef de dispositif que le rejet du premier moyen du pourvoi incident rend définitif, que la rupture du préavis était fondée sur une faute grave, la cour d'appel, qui n'a pas retenu l'existence de faits, distincts de ceux visés par la lettre de rupture, du 1er février 2018, susceptibles de caractériser une faute lourde, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois tant principal qu'incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [Z] à verser à la société Autos GM la somme de 200 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de l'exécution déloyale du contrat de travail, l'arrêt rendu le 20 mai 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi de ce chef ;

Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 52500158
Date de la décision : 26/02/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Fort de France, 20 mai 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 26 fév. 2025, pourvoi n°52500158


Composition du Tribunal
Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:52500158
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