LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 26 février 2025
Cassation partielle
M. MOLLARD, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 98 F-D
Pourvoi n° N 23-21.539
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 26 FÉVRIER 2025
La société Kms oméga, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Appareils Vettiner, a formé le pourvoi n° N 23-21.539 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2023 par la cour d'appel de Lyon (3e chambre A), dans le litige l'opposant à la Société commerciale de télécommunication (SCT), société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bessaud, conseiller référendaire, les observations de la SCP Le Griel, avocat de la société Kms oméga, de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la Société commerciale de télécommunication (SCT), après débats en l'audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents M. Mollard, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Bessaud, conseiller référendaire rapporteur, Mme Poillot-Peruzzetto, conseiller, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 22 juin 2023), le 23 décembre 2015, la Société commerciale de télécommunication (la SCT) a signé avec Mme [D], employée en qualité d'assistante administrative des ventes au sein de la société par actions simplifiée Appareils Vettiner, un contrat de prestations de télécommunication à destination de cette société. La SCT a émis des factures pour un montant total de 2 950,62 euros TTC, que la société Appareils Vettiner n'a pas réglées.
2. A la suite de la résiliation du contrat par la société Appareils Vettiner, aux droits de laquelle vient la société Kms oméga, la SCT l'a assignée en paiement des factures et indemnités de résiliation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. La société Kms oméga fait grief à l'arrêt de condamner la société Appareils Vettiner à payer à la SCT les sommes de 2 950,62 euros au titre des factures impayées et 1 000 euros au titre de la clause pénale, alors « que la reconnaissance d'un mandat apparent requiert que la croyance aux pouvoirs d'un prétendu mandataire soit légitime, ce qui suppose que les circonstances l'autorisaient à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ; qu'en l'espèce, la société Appareils Vettiner avait rappelé qu'en vertu de l'article L. 227-6 du code de commerce, les sociétés par actions simplifiées, sauf délégation spéciale, statutaire ou conventionnelle, ne peuvent être engagées auprès des tiers que par leur président ; qu'elle avait soutenu, sans être contredite, n'avoir jamais donné aucune sorte de mandat à Mme [D] pour conclure en son nom des contrats avec des tiers, en particulier avec la SCT ; que cette dernière, étant elle-même une société par actions simplifiée, ne pouvait ignorer les règles de représentation auxquelles les deux sociétés étaient soumises, ce qui lui imposait de vérifier si Mme [D] était titulaire d'une délégation de pouvoir ; qu'en jugeant dès lors, pour écarter la nullité du contrat litigieux, que la SCT pouvait légitimement croire en la capacité de Mme [D] à engager la société Appareils Vettiner et pouvait se prévaloir de la théorie du mandat apparent, sans qu'elle ait eu à rechercher si l'intéressée disposait de la capacité juridique d'engager la société, la cour d'appel a violé les articles 1985 et 1998 du code civil, ensemble l'article L. 227-6 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
4. Le fait qu'une société par actions simplifiée ne soit, sauf délégation de pouvoir, représentée à l'égard des tiers que par son président n'est pas de nature à priver le tiers de la possibilité d'invoquer l'existence d'un mandat apparent.
5. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.
Mais sur ce moyen, pris en sa quatrième branche
Enoncé du moyen
6. La société Kms oméga fait le même grief à l'arrêt, alors « que la reconnaissance d'un mandat apparent requiert que la croyance aux pouvoirs d'un prétendu mandataire soit légitime, ce qui suppose que les circonstances l'autorisaient à ne pas vérifier lesdits pouvoirs ; que, pour justifier encore la croyance légitime de la SCT en la capacité de Mme [D] à engager la société Appareils Vettiner et qu'elle puisse se prévaloir de la théorie du mandat apparent et rejeter dès lors l'annulation sollicitée du contrat litigieux, la cour d'appel a retenu que Mme [D] avait pu lui remettre un RIB, des documents et une ancienne facture, et que son employeur n'expliquait d'ailleurs pas pourquoi Mme [D], qui était en période d'essai, avait pu avoir accès au tampon humide, aux coordonnées bancaires et aux factures de la société ; que, cependant, ni l'usage d'un tampon, ni la communication de documents ne signifiaient que Mme [D] ait eu la faculté de contracter au lieu et place de son employeur, c'est-à-dire de créer à sa charge des obligations durables, notamment financières ; que, par ailleurs, le défaut d'explication attribué à la société Appareils Vettiner tendait à établir, tout au contraire de ce qui a été retenu, que Mme [D] avait agi, non pas en tant que mandataire de son employeur, mais à son insu ; qu'en se déterminant dès lors au regard de telles circonstances, impropres à caractériser la croyance légitime de la SCT en un mandat apparent de Mme [D], la cour d'appel a violé les articles 1985 et 1998 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1985 du code civil :
7. Il résulte de ce texte qu'une personne ne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent que lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs.
8. Pour juger que la STC pouvait légitimement croire en la capacité de Mme [D] à engager la société Appareils Vettiner et pouvait donc se prévaloir de la théorie du mandat apparent, l'arrêt retient que Mme [D] a signé l'autorisation de prélèvement, a été en capacité de remettre au représentant de la SCT un relevé d'identité bancaire ainsi qu'une ancienne facture et a apposé le tampon humide de la société Appareils Vettiner sur les différents documents présentés. Il ajoute que la société Appareils Vettiner n'apporte aucune explication quant au fait que sa préposée, présentée comme étant en période d'essai, ait eu la possibilité d'accéder à ces éléments sensibles.
9. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser les circonstances autorisant la SCT à ne pas vérifier les pouvoirs de Mme [D], la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur ce second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. La société KMS oméga fait encore le même grief à l'arrêt alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents soumis à son examen ; qu'en l'espèce, pour justifier sa demande d'annulation pour dol du contrat qu'il lui était attribué d'avoir conclu, la société Appareils Vettiner avait notamment soutenu que ce contrat, dans les feuillets roses qui avaient été remis à Mme [D] le 23 décembre 2015 par la SCT, ne comportaient aucune indication sur la durée du contrat, et que ce n'est qu'à la fin du mois de février 2016, après que la SCT avait déjà facturé ses services, que lui avaient été communiqués les feuillets bleus de ce contrat, lesquels, cette fois, comportaient une durée contractuelle de soixante-trois mois ; que, pour écarter ce moyen la cour d'appel a retenu que les conditions générales laissées à disposition de la société Appareils Vettiner, puisque se trouvant au dos du feuillet rose, permettent de déterminer la durée de cet engagement sans aucune difficulté pour une durée de soixante-trois mois, cette clause numéro six intitulée 'Entrée en vigueur, durée, renouvellement préavis' étant dépourvue d'ambiguïté" ; qu'en se déterminant ainsi, quand, d'une part, aucune mention de durée ne figurait dans les conditions générales figurant sur les feuillets roses et que, d'autre part, la clause numéro six de ces conditions se rapportait à la mise à disposition du matériel", sans mention de durée, la cour d'appel a violé le principe susvisé. »
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
11. Pour écarter le dol tiré du défaut de remise de l'intégralité des documents contractuels, invoqué par la société Appareils Vettiner, et la condamner à payer à la SCT certaines sommes au titre des factures impayées et de la clause pénale, l'arrêt, après avoir retenu que les conditions générales et particulières se trouvent au dos des différents bulletins de souscription qui ont tous été mis en possession de la société Appareils Vettiner après le départ de la SCT, retient encore que les conditions générales se trouvant au dos du feuillet rose, permettent de déterminer la durée de l'engagement sans aucune difficulté pour une durée de soixante-trois mois, la clause numéro six, intitulée « Entrée en vigueur, durée, renouvellement préavis », étant dépourvue d'ambiguïté.
12. En statuant ainsi, alors que les conditions générales des services figurant sur le feuillet rose, dont la clause numéro six était intitulée, non pas « Entrée en vigueur, durée, renouvellement préavis » mais « Mise à disposition du matériel », ne contenaient aucune durée d'engagement du contractant, la cour d'appel, qui a dénaturé cette pièce, a violé le principe susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Kms oméga, venant aux droits de la société Appareils Vettiner, à payer à la Société commerciale de télécommunication les sommes de 2 950,62 euros au titre des factures impayées et 1000 euros au titre de la clause pénale, et en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles, l'arrêt rendu le 22 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée ;
Condamne la Société commerciale de télécommunication aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la Société commerciale de télécommunication et la condamne à payer à la société Kms oméga, venant aux droits de la société Appareils Vettiner, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt-cinq.