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26/02/2025 | FRANCE | N°12500109

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 26 février 2025, 12500109


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 1


MY1






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 26 février 2025








Rejet




Mme CHAMPALAUNE, président






Arrêt n° 109 FS-B


Pourvoi n° U 23-21.522








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________






ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 FÉVRIER 2025


M. [F] [R], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° U 23-21.522 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (cha...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

MY1

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 26 février 2025

Rejet

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 109 FS-B

Pourvoi n° U 23-21.522

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 26 FÉVRIER 2025

M. [F] [R], domicilié [Adresse 3], a formé le pourvoi n° U 23-21.522 contre l'arrêt rendu le 6 juillet 2023 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-1), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [Y] [M], domiciliée [Adresse 2],

2°/ à M. [S] [U], domicilié [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [R], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [M], de M. [U], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Jessel, Mornet, Mmes Kerner-Menay, Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes Dumas, Kass-Danno, conseillers référendaires et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 juillet 2023), Mme [M] et M. [U], enseignants-chercheurs, ont organisé un colloque intitulé « la personnalité juridique de l'animal (II) ¿ Les animaux liés à un fonds » et demandé à M. [R], professeur agrégé, de participer à ce colloque et d'en faire la synthèse en vue de la publication d'un ouvrage.

2. Une convention d'édition a été conclue entre un éditeur et la Fondation Brigitte Bardot, précisant que Mme [M] et M. [U], directeurs de l'ouvrage, coordonneraient les travaux issus du colloque sous leur responsabilité scientifique et constitueraient le comité de lecture.

3. Mme [M] et M. [U] ayant informé M. [R] que son intervention ne serait pas publiée dans l'ouvrage à venir parce qu'elle ne correspondait pas à la synthèse demandée et que les propos tenus lors de cette intervention étaient inexacts et formulés avec une intention de nuire à leurs travaux, M. [R] les a assignés afin qu'ils soient condamnés sous astreinte à la transmettre à l'éditeur en vue de sa publication et, subsidiairement, à réparer son préjudice consécutif à leur refus.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième, sixième et septième branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

5. M. [R] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en dommages et intérêts, alors « que la règle selon laquelle les contrats doivent être exécutés de bonne foi permet de sanctionner l'usage déloyal d'une prérogative contractuelle ; que la mise en oeuvre d'une telle prérogative ne répondant pas aux exigences de la bonne foi constitue une faute contractuelle dont un tiers peut se prévaloir sur le fondement délictuel lorsqu'elle lui cause un préjudice ; qu'en jugeant qu'il "n'existe aucune faute contractuelle qu'aurait commise [Y] [M] et [S] [U] a` l'égard de l'éditeur" aux motifs que Mme [M] et M. [U], "désignés par l'éditeur comme Directeurs de l'Ouvrage, coordonnateurs des travaux issus du colloque sous leur responsabilité scientifique et membres du comité de lecture", avaient "la responsabilité de la ligne éditoriale qu'ils souhaitaient donner a l'ouvrage", sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la mise en oeuvre de cette prérogative contractuelle ne procédait pas d'un usage déloyal, attentatoire à la liberté d'opinion et d'expression de M. [R], en ce qu'elle était motivée par la volonté de sanctionner les propos non abusifs tenus par M. [R] lors de son intervention orale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1240 et 1200 du code civil, ensemble les articles 1103 et 1104 du même code, l'article L. 952-2 du code de l'éducation et l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ».

Réponse de la Cour

6. Si un tiers à un contrat peut invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel qui lui a causé un dommage, il lui appartient d'établir l'existence d'un tel manquement et le dommage qui en est résulté.

7. Il s'en déduit qu'en l'absence de caractérisation d'un manquement contractuel de Mme [M] et M. [U] à l'égard de l'éditeur, la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

9. M. [R] fait le même grief à l'arrêt, alors « que celui qui abuse de l'exercice d'une liberté engage sa responsabilité à l'égard de celui à qui il cause un préjudice ; qu'en jugeant que M. [R] "ne justifie [pas] d'un abus dans l'exercice de leur liberté de penser, d'opinion et de publication par les intimés" aux motifs inopérants que "[F] [R] a pu présenter son opinion en conclusion du colloque auprès du public, de la manière dont il le souhaitait, sans jamais être entravé dans son exercice oral de liberté de penser et d'opinion" et qu' "il était également libre de publier, sous la forme qu'il souhaitait, la synthèse de ces travaux en se prévalant de la divergence d'opinion qui l'oppose aux intimés dès lors qu'il n'est pas démontré d'une part que les actes de tous les colloques sont susceptibles de faire l'objet de publications intégrales et, d'autre part, que l'ouvrage, sans sa contribution écrite, n'a pas la cohérence éditoriale que souhaitaient lui donner les intimés", sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la décision d'exclure le rapport de synthèse de M. [R] de la publication des actes du colloque n'était pas motivée par la volonté de sanctionner l'exercice non abusif, par M. [R], de sa liberté d'opinion et d'expression, circonstance propre à caractériser un exercice fautif, par M. [U] et Mme [M], de leur liberté éditoriale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1240 du code civil, ensemble l'article L. 952-2 du code de l'éducation et l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ».

Réponse de la Cour

10. Selon l'article 10, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention), toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.

11. Conformément à l'article 10, paragraphe 2, de la Convention, la liberté d'expression peut être soumise à certaines restrictions ou sanctions prévues par la loi, lorsque celles-ci constituent des mesures nécessaires à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

12. Il s'en déduit que la liberté d'expression, qui englobe la liberté éditoriale, est un droit dont l'exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas spécialement déterminés par la loi (1re Civ., 10 avril 2013, pourvoi n° 12-10.177, Bull. 2013, I, n° 67 ; 1re Civ., 22 janvier 2014, pourvoi n° 12-35.264, Bull. 2014, I, n° 1 ; Ass. Plén., 17 novembre 2023, pourvoi n° 21-20.723, publié).

13. Aux termes de l'article L. 952-2 du code de l'éducation, les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité.
Cependant, ce texte ne constitue pas une loi, au sens de l'article 10, paragraphe 2, de la Convention, permettant de restreindre la liberté d'expression.

14. Il s'ensuit que, si le refus d'insérer une contribution dans un ouvrage publié à la suite d'un colloque est susceptible de heurter les traditions universitaires et les principes d'objectivité et de tolérance, il ne peut, à défaut d'un texte spécial, être considéré comme abusif.

15. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

16. M. [R] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en présence de deux droits ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de procéder à une mise en balance des intérêts en présence afin de rechercher un équilibre entre les droits en concours et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt le plus légitime ; qu'en jugeant que M. [R] "ne justifie d'aucun abus dans l'exercice de leur liberté de penser, d'opinion et de publication par les intimés", après avoir constaté que "le litige entre les parties relève en réalité du conflit entre la liberté d'opinion et de parole de chacune des parties, de surcroît enseignants-chercheurs, bénéficiant à ce titre d'une liberté d'expression reconnue à l'article L. 952 du code de l'éducation, et la liberté d'un directeur d'ouvrage et d'un comité de lecture quant au contenu éditorial d'une publication" et estimé que "l'exercice de ces différentes libertés est absolu, sauf l'abus qui en serait fait", et par motifs éventuellement adoptés que "l'indépendance des enseignants chercheurs est un principe fondamental reconnu par les lois de la République" et que "c'est en vertu de ce principe que Mme [M] et M. [U] ont pu décider de la non publication du rapport de synthèse élaboré par M. [R]", la cour d'appel, qui n'a pas opéré le contrôle de proportionnalité auquel il lui appartenait de procéder, entre la liberté d'expression et la liberté éditoriale en conflit, attributs de l'indépendance dont jouissaient tant Mme [M] et M. [U] que M. [R] en leur qualité d'enseignants-chercheurs, a violé l'article 1240 du code civil, ensemble l'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

17. En l'absence d'atteinte à la liberté d'expression de M. [R] résultant d'un refus de transmettre sa contribution à l'éditeur, la cour d'appel n'avait pas à procéder au contrôle de proportionnalité invoqué.

18. Le moyen est donc inopérant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [R] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 12500109
Date de la décision : 26/02/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Publié au bulletin

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix en Provence, 06 juillet 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 26 fév. 2025, pourvoi n°12500109


Composition du Tribunal
Président : Mme Champalaune
Avocat(s) : SARL Ortscheidt, SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh

Origine de la décision
Date de l'import : 04/03/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:12500109
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