LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CH9
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 12 février 2025
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 143 F-D
Pourvoi n° P 23-19.999
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de l'association [3].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 22 juin 2023.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 12 FÉVRIER 2025
L'association [3], dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° P 23-19.999 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2022 par la cour d'appel de Basse-Terre (chambre sociale),
dans le litige l'opposant à M. [H] [Z], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
En présence de :
Mme [M] [B], domiciliée [Adresse 1], désigné en qualité de mandataire judiciaire de l'association [3], par jugement du tribunal de Basse-Terre du 10 janvier 2024.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de l'association [3], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [Z], après débats en l'audience publique du 15 janvier 2025 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 5 décembre 2022), M. [Z] a été engagé en qualité d'éducateur sportif par l'association [3] suivant « contrat d'avenir » à durée déterminée à compter du 2 mai 2017.
2. Par lettre du 2 septembre 2017, le salarié a informé l'employeur de sa volonté de démissionner en raison du défaut de paiement de ses salaires depuis le mois de juin.
3. Le 18 septembre 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en paiement de dommages-intérêts au titre de la rupture anticipée du contrat de travail et de son exécution.
4. Par jugement du 10 janvier 2024, un tribunal judiciaire a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de l'employeur et a désigné Mme [B] en qualité de mandataire judiciaire, le président de l'association conservant qualité pour représenter celle-ci.
Examen des moyens
Sur les premier, quatrième et troisième moyens, celui-ci pris en sa première branche
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, alors « que l'employeur ne saurait être condamné à régler une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé faute pour le juge de caractériser son intention de se soustraire à ses obligations ; que pour condamner l'association [3] à régler à M. [Z] la somme de 8 861,61 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé la cour d'appel s'est contentée de relever que, le salarié ayant réclamé la délivrance de ses fiches de paie, l'employeur s'il précisait que les fiches de paie avaient été remises au salarié en même temps que les documents de fin de contrat, n'en justifiait pas par les pièces versées aux débats ni en se prévalant de ce que les charges étaient toujours prélevées par la caisse générale de sécurité sociale ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si l'employeur avait agi intentionnellement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du Code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail :
7. Aux termes du premier de ces textes, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
8. Selon le second, en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
9. Pour condamner l'employeur à payer une indemnité pour travail dissimulé, l'arrêt retient que le salarié a sollicité la délivrance de ses fiches de paie par courriel du 7septembre 2017 puis par une mise en demeure de son conseil datée du 29 août 2018 et que si l'employeur précise que les fiches de paie lui ont été remises en même temps que les documents de fin de contrat, il n'en justifie pas par les pièces versées aux débats ni en se prévalant de ce que les charges sont toujours prélevées par la caisse générale de sécurité sociale.
10. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser l'élément intentionnel de l'absence de remise par l'employeur au salarié des bulletins de paie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.
Et sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
11. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre d'indemnité de fin de contrat de travail à durée déterminée, alors « qu' en tout état de cause l'indemnité de fin de contrat n'est pas due lorsque le contrat de travail à durée déterminée a été conclu pour permettre l'acquisition d'un complément de formation professionnelle ; que le contrat d'avenir à durée déterminée conclu le 2 mai 2017 par l'association [3] et M. [Z] relevait de cette catégorie de contrats de travail et ne pouvait donc pas donner lieu au versement d'une quelconque prime de précarité ; qu'en jugeant pourtant que M. [Z] était fondé à solliciter le bénéfice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8 du code du travail la cour d'appel a violé cette disposition ainsi que les articles L. 1242-3 et L. 1243- 10 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
12. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau, l'employeur n'ayant jamais contesté devant les juges du fond la demande en paiement de l'indemnité de fin de contrat en l'absence d'argumentation relative à la catégorie dont relevait le contrat de travail.
13. Cependant, l'employeur a, dans ses conclusions en appel, sollicité le rejet de cette demande. Enfin, le moyen est de pur droit.
14. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 1243-10 1°, L. 1242-3 1°dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2020-1674 du 27 décembre 2020, L. 5134-110, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1491 du 25 octobre 2017, L. 5134-112, alinéa 1, L. 5134-24 et L. 5134-69 du code du travail :
15. Selon le premier de ces textes, l'indemnité de fin de contrat n'est pas due lorsque le contrat est conclu au titre du 3° de l'article L. 1242-2 ou de l'article L. 1242-3, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
16. Selon le deuxième, un contrat de travail à durée déterminée peut être conclu au titre de dispositions légales destinées à favoriser le recrutement de certaines catégories de personnes sans emploi.
17. Aux termes du troisième, I. - L'emploi d'avenir a pour objet de faciliter l'insertion professionnelle et l'accès à la qualification des jeunes sans emploi âgés de seize à vingt-cinq ans au moment de la signature du contrat de travail soit sans qualification, soit peu qualifiés et rencontrant des difficultés particulières d'accès à l'emploi, par leur recrutement dans des activités présentant un caractère d'utilité sociale ou environnementale ou ayant un fort potentiel de création d'emplois. Les personnes bénéficiant de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé et remplissant ces mêmes conditions peuvent accéder à un emploi d'avenir lorsqu'elles sont âgées de moins de trente ans.
II. - L'emploi d'avenir est destiné en priorité aux jeunes mentionnés au I qui résident soit dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville ou les zones de revitalisation rurale au sens de l'article 1465 A du code général des impôts, soit dans les départements d'outre-mer, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, soit dans les territoires dans lesquels les jeunes connaissent des difficultés particulières d'accès à l'emploi.
18. Selon le cinquième, l'emploi d'avenir est conclu sous la forme, selon le cas, d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi ou d'un contrat initiative-emploi. Les dispositions relatives à ces contrats s'appliquent à l'emploi d'avenir, sous réserve des dispositions spécifiques prévues par la présente section.
19. Selon le sixième, le contrat de travail, associé à une aide à l'insertion professionnelle attribuée au titre d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi, est un contrat de travail de droit privé, soit à durée déterminée, conclu en application de l'article L. 1242-3, soit à durée indéterminée. Il porte sur des emplois visant à satisfaire des besoins collectifs non satisfaits.
20. Selon le dernier, le contrat initiative-emploi est un contrat de travail de droit privé à durée indéterminée ou à durée déterminée conclu en application de l'article L. 1242-3.
21. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'emploi d'avenir, conclu sous la forme d'un contrat à durée déterminée au titre de l'article L. 1242-3 du code du travail, n'ouvre pas droit à une indemnité de fin de contrat sauf dispositions conventionnelles plus favorables.
22. Pour condamner l'employeur au paiement d'une indemnité de fin de contrat, l'arrêt retient que dès lors que la rupture anticipée du contrat à durée déterminée est imputable aux manquements graves de l'employeur à ses obligations, le salarié est fondé à solliciter le bénéfice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8 du code du travail, qui est la conséquence de la rupture anticipée de son contrat de travail et doit s'élever à 10 % de la rémunération totale brute versée au salarié.
23. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait relevé que le salarié bénéficiait d'un « contrat d'avenir » à durée déterminée, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, au besoin d'office, si ce contrat s'analysait en un contrat « emploi d'avenir » qui n'ouvrait pas droit à une indemnité de fin de contrat, n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
24. La cassation prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'association [3], représentée par son président, à payer à M. [Z] les sommes de 8 861,62 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et de 5 328,97 euros à titre d'indemnité de fin du contrat de travail à durée déterminée, l'arrêt rendu le 5 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;
Condamne M. [Z] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du douze février deux mille vingt-cinq.