LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° F 24-80.969 F-D
N° 00159
ODVS
11 FÉVRIER 2025
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 11 FÉVRIER 2025
Mme [I] [B], MM. [Y] [V] et [Z] [V] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Metz, chambre correctionnelle, en date du 13 octobre 2023, qui, dans la procédure suivie contre eux des chefs de, pour la première, vol, abus de confiance et falsification de chèques et usage, pour le deuxième, abus de confiance et recel, pour le troisième, recel, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [Y] [V], les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de MM. [W] et [G] [E], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. [T] [E] et ses fils, MM. [W] et [G] [E], ont déposé plainte contre Mme [I] [B], compagne du premier, dénonçant divers détournements commis au préjudice de celui-ci alors qu'il était affaibli par la maladie.
3. Mme [B] et ses deux fils, MM. [Z] et [Y] [V], ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés.
4. Le tribunal a relaxé les prévenus de l'ensemble des chefs poursuivis et a débouté [T] [E], MM. [W] et [G] [E], parties civiles, de leurs demandes.
5. Les parties civiles ont relevé appel de cette décision.
Déchéance des pourvois formés par Mme [B] et M. [Z] [V]
6. Mme [B] et M. [Z] [V] n'ont pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par leur avocat, un mémoire exposant leurs moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de les déclarer déchus de leurs pourvois par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [Y] [V], in solidum avec Mme [I] [B] et M. [Z] [V], à payer aux héritiers de [T] [E], MM. [W] et [G] [E], la somme de 215 667,49 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel, alors :
« 1°/ qu'il résulte des articles 2 et 497 du code de procédure pénale que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation doit résulter d'une faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite ; qu'en l'espèce, l'arrêt a constaté que le jugement frappé par un appel formé par les seules parties civiles a relaxé M. [Y] [V] des fins de la poursuite, en l'espèce « d'avoir le 24 juillet 2014 et le 25 juillet 2014, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription, recelé, en dissimulant détenant ou transmettant des bons au porteur pour un montant de 79 069 euros sachant que ces biens provenaient d'un vol commis par Mme [I] [B], au préjudice de M. [T] [E] » et que le jugement a en outre relaxé Mme [I] [B] des fins de la poursuite du chef de vol desdits bons au porteur ; que l'arrêt a ensuite procédé à des constatations relatives aux relations entre les membres des familles [V] et [E], à « l'engagement de dépenses importantes par émissions de chèques signés en blanc et retraits en espèces » qui ne caractérisaient pas « une gestion prudente des économies d'une personne retraitée et à la santé particulièrement obérée », et à ce que Mme [I] [B] « a négligé de procéder à des actes de gestion indispensables à la préservation du confort de vie et à la conservation du patrimoine de son ex-compagnon », pour en déduire que « Mme [I] [B] et ses fils [Z] et [Y] [V] ont commis des fautes civiles ayant conduit à dépouiller [T] [E] d'importants pans de son patrimoine en usant de manoeuvres, en jouant sur des affirmations fausses afin de créer un sentiment de crainte de l'avenir chez un homme déjà très diminué physiquement et sur le plan cognitif, et sans par ailleurs veiller à la conservation de ses intérêts » ; que la cour d'appel n'a pas constaté l'existence d'une faute coïncidant avec celle qui aurait pu justifier une condamnation pénale sur le fondement du recel, cependant que le dommage dont la partie civile, appelante du jugement de relaxe, pouvait obtenir réparation de la part de la personne relaxée, ne pouvait résulter que de la faute civile démontrée à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite, soit le recel de bons au porteur d'un montant de 79 069 euros ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 2, 497, 593 du code de procédure pénale et 321-1 du code pénal :
8. Il se déduit des deux premiers de ces textes que le dommage dont la partie civile, seule appelante d'un jugement de relaxe, peut obtenir réparation de la personne relaxée résulte de la faute civile démontrée à partir et dans les limites des faits objet de la poursuite.
9. Selon le dernier, le recel est le fait de dissimuler, détenir, transmettre une chose, en sachant qu'elle provient d'un crime ou d'un délit ou d'en bénéficier par tout moyen, en connaissance de cause.
10. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour dire M. [Y] [V] auteur d'une faute civile à partir et dans les limites de la poursuite des chefs de recel, l'arrêt attaqué énonce, en se référant expressément aux faits tels qu'exposés par le jugement entrepris, que des bons au porteur appartenant à [T] [E] ont été mis en paiement par le prévenu, qui a déclaré les avoir reçus de Mme [B] trois années auparavant.
12. Les juges relèvent que l'intéressé a reconnu avoir manqué de prudence en procédant à cette opération peu de temps après avoir assisté à une dispute au cours de laquelle son beau-père avait reproché à sa mère d'avoir détourné des fonds à son profit.
13. Ils retiennent que si [T] [E] a consenti à une époque certaines libéralités à Mme [B], les relations entre les intéressés se sont dégradées à compter des années 2006 et 2007, en raison de la volonté de cette dernière d'obtenir diverses gratifications pour elle-même et ses deux fils.
14. Les juges relèvent que lors du dépôt de sa plainte, [T] [E], dont l'état de vulnérabilité est établi par les pièces médicales versées à la procédure, a expliqué avoir été trompé par Mme [B] pour l'inciter à retirer d'importantes sommes en espèces qui ont, tout comme ses bons au porteur, disparu sans laisser de traces.
15. Ils constatent que Mme [B], à qui l'intéressé n'avait pourtant jamais consenti de procuration, avait à l'époque des faits le contrôle effectif des comptes bancaires de [T] [E] et qu'elle a, d'une part, engagé de très importantes dépenses incompatibles avec la gestion prudente des économies d'une personne âgée à la santé dégradée, d'autre part, négligé d'accomplir des actes de gestion indispensables à la préservation du confort de vie et à la conservation du patrimoine de l'intéressé.
16. Les juges en déduisent que Mme [B], MM. [Z] et [Y] [V] ont commis des fautes civiles les ayant conduit à dépouiller [T] [E] d'importants pans de son patrimoine.
17. En se déterminant ainsi, sans mieux établir que M. [Y] [V] avait bénéficié des bons au porteur concernés en connaissance de ce qu'ils provenaient d'un délit, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
18. La cassation est par conséquent encourue de ce chef, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
19. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant condamné M. [Y] [V], in solidum avec Mme [B] et M. [Z] [V], à payer la somme de 215 667,49 euros à MM. [W] et [G] [E], pris en leur qualité d'héritiers de [T] [E], en réparation du préjudice matériel. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par Mme [B] et M. [Z] [V] :
CONSTATE la déchéance des pourvois ;
Sur le pourvoi formé par M. [Y] [V] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Metz, en date du 13 octobre 2023, mais en ses seules dispositions ayant condamné M. [Y] [V], in solidum avec Mme [B] et M. [Z] [V], à payer la somme de 215 667,49 euros à MM. [W] et [G] [E], pris en leur qualité d'héritiers de [T] [E], en réparation du préjudice matériel, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Nancy, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Metz et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille vingt-cinq.