LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 6 février 2025
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 78 F-D
Pourvoi n° B 23-20.678
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 FÉVRIER 2025
1°/ La société [Z] [S], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ M. [W] [G] [B], domicilié [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° B 23-20.678 contre l'arrêt rendu le 4 juillet 2023 par la cour d'appel de Fort-de-France (chambre civile), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [L] [C], domicilié [Adresse 1],
2°/ à M. [P] [C],
3°/ à Mme [U] [C], prise en sa qualité de curatrice de Monsieur [P] [C],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
M. [P] [C] et Mme [U] [C], ès qualités, ont formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Les demandeurs au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, cinq moyens de cassation.
Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Davoine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société [Z] [S], et de M. [B], de Me Descorps-Declère, avocat de M. [L] [C], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [P] [C] et de Mme [C], ès qualités, et l'avis de Mme Morel-Coujard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Davoine, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Fort-de-France, 4 juillet 2023) et les productions, par acte du 1er novembre 2007, MM. [L] et [P] [C], coïndivisaires chacun à hauteur de la moitié, ont donné à bail à ferme à [Z] [S] une parcelle.
2. Au décès de [Z] [S], le bail a continué au profit de Mme [S], son épouse, et les terres ont été exploitées par l'exploitation à responsabilité limitée [Z] [S] (l'EARL) dont Mme [S] était gérante.
3. Le 16 octobre 2018, Mme [S] et l'EARL ont donné congé à M. [L] [C] à effet au 30 octobre 2019, au motif que Mme [S] avait atteint l'âge de la retraite.
4. Par courrier du 1er juillet 2019, M. [B], nouveau gérant de l'EARL, a avisé MM. [L] et [P] [C] du retrait du congé donné par Mme [S], et indiqué se prévaloir d'un renouvellement du bail du 1er novembre 2007.
5. Le 8 octobre 2020, M. [L] [C] a saisi un tribunal paritaire des baux ruraux en constatation de la qualité d'occupant sans droit ni titre de l'EARL et de M. [B], son gérant, expulsion de ceux-ci et en paiement.
6. M. [P] [C], assisté de sa curatrice, Mme [U] [C], est intervenu volontairement à l'instance et s'est opposé aux demandes formées par M. [L] [C].
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens du pourvoi principal
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche, du pourvoi incident
Enoncé du moyen
8. M. [P] [C] et Mme [U] [C], ès qualités, font grief à l'arrêt de dire M. [L] [C] recevable en son action, alors « que si un indivisaire peut prendre seul les mesures nécessaires à la conservation de la chose indivise, c'est à la condition de ne pas compromettre sérieusement le droit des autres indivisaires ; qu'en jugeant recevable l'action de M. [L] [C] tendant à la reconnaissance de la validité du congé donné par Mme [T] [S] et à l'expulsion de la société [Z] [S] aux motifs qu'il s'agissait d'une mesure conservatoire que le copropriétaire indivis pouvait entreprendre seul sans rechercher si cette action ne conduisait pas à trancher, sur le fond, l'existence du droit au bail de la société [Z] [S] et à priver M. [P] [C], coindivisaire à qui le congé n'avait pas été dûment notifié, du bénéfice du bail rural et des loyers qu'il générait, la cour d'appel a violé l'article 815-2, alinéa 1er, du code civil et l'article 1er du 1er protocole de la Convention européenne des droits de l'Homme. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 815-2, alinéa 1er, du code civil :
9. Aux termes de ce texte, tout indivisaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation des biens indivis même si elles ne présentent pas un caractère d'urgence.
10. Pour dire M. [L] [C] recevable en son action, l'arrêt retient que l'action engagée par un propriétaire indivis tendant à l'expulsion d'occupants sans droit ni titre et au paiement d'une indemnité d'occupation, qui a pour objet la conservation des droits des coïndivisaires, entre dans la catégorie des actes conservatoires que tout indivisaire peut accomplir seul, sans avoir à justifier d'un péril imminent.
11. En statuant ainsi, alors que l'action de M. [L] [C], qui tendait, sous couvert de l'expulsion d'occupants sans droit ni titre, à mettre fin à un bail rural préexistant dont le maintien était revendiqué par M. [P] [C], coïndivisaire, n'entrait pas dans la catégorie des actes conservatoires, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois principal et incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais sauf en ce qu'il rejette la demande de nullité du jugement du 27 janvier 2022 , l'arrêt rendu le 4 juillet 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France, autrement composée ;
Condamne M. [L] [C] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [L] [C] et le condamne à payer à la société [Z] [S] et M. [B] la somme globale de 3 000 euros d'une part, et à M. [P] [C] et Mme [U] [C], en sa qualité de curatrice de M. [P] [C], la somme globale de 3 000 euros d'autre part ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six février deux mille vingt-cinq.