LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 133 FS-B
Pourvoi n° Y 23-21.250
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 5 FÉVRIER 2025
1°/ La société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 4],
2°/ la société La Poste, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° Y 23-21.250 contre le jugement rendu le 22 août 2023 par le conseil de prud'hommes de Perpignan (section commerce), dans le litige les opposant :
1°/ à Mme [E] [N], domiciliée [Adresse 2],
2°/ au syndicat CGT-FAPT 66, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bérard, conseiller, les observations de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de la société La Poste, de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [N] et du syndicat CGT-FAPT 66, la plaidoirie de Me Boré pour la société La Poste, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 janvier 2025 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Bérard, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, M. Dieu, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (conseil de prud'hommes de Perpignan, 22 août 2023) et les productions, Mme [N] a été engagée en qualité d'agent courrier par la société La Poste (La Poste) le 16 septembre 1997.
2. Elle a subi des retenues sur salaire pour participation à des mouvements de grève, au titre des journées des samedi 5 et dimanche 6 février 2022, ainsi que des journées des samedi 23 et dimanche 24 juillet 2022.
3. Contestant les retenues sur salaires opérées au titre des deux dimanches suivant les jours de grève, la salariée et le syndicat CGT-FAPT 66 ont saisi la juridiction prud'homale le 7 septembre 2022, afin de condamner La Poste à payer certaines sommes, à la salariée, à titre de rappel de salaires et de dommages-intérêts pour résistance abusive et, au syndicat, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. La Poste fait grief au jugement de constater qu'elle a opéré une retenue abusive sur le salaire dû à la salariée pour faits de grève du 6 février et du 24 juillet 2022 et de la condamner à verser diverses sommes, à la salariée à titre de rappel de salaires et de dommages-intérêts pour résistance abusive et préjudice moral liés à une sanction pécuniaire illicite et au syndicat CGT-FAPT 66 à titre de dommages-intérêts pour atteinte aux intérêts de la communauté des salariés défendus par le syndicat, alors :
« 1°/ que l'absence de service fait par suite de cessation concertée du travail par les personnels d'une entreprise de droit privé chargée de la gestion un service public entraîne pour chaque journée une retenue du traitement ou du salaire et de ses compléments autres que les suppléments pour charges de famille ; qu'en cas d'absence de service fait pendant plusieurs jours consécutifs, le décompte des retenues à opérer sur le salaire mensuel s'élève à autant de trentièmes qu'il y a de journées comprises du premier jour inclus au dernier jour inclus où cette absence de service fait a été constatée, soit jusqu'au retour effectif du salarié, même si, durant certaines de ces journées, il n'avait, pour quelque cause que ce soit, aucun service à accomplir, sans qu'importe, en l'absence de reprise effective du travail, une éventuelle manifestation de sa volonté de limiter la durée de sa participation ; qu'en l'espèce, il ressort des conclusions concordantes des parties, visées par le jugement attaqué et auxquelles il est expressément renvoyé par le conseil de prud'hommes, que Mme [N] a pris part à un mouvement de grève les samedis 5 février et 23 juillet 2022 et n'a repris son service que les lundis suivants ; qu'en condamnant cependant La Poste à lui verser la rémunération des dimanches précédant la reprise effective du travail, durant lesquels aucun service n'avait été accompli par la salariée le conseil de prud'hommes, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 2512-1, L. 2512-5 du code du travail, 2 de la loi n° 82-889 du 19 octobre 1982 ;
2°/ que les règles issues de l'article L. 2512-5 du code du travail complété par l'article 2 de la loi n° 82-889 du 19 octobre 1982 relative aux retenues pour absence de service fait par les personnels de l'Etat, des collectivités locales et des services publics, s'appliquent de manière générale aux retenues effectuées sur les rémunérations des personnels des établissements privés chargés d'un service public sauf lorsqu'un texte spécifique prévoit un autre mode de calcul de ces retenues pour un service public particulier, en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel n° 87-230 du 28 juillet 1987 ; qu'en l'espèce, pour condamner La Poste à verser à Mme [N] la rémunération des dimanches non travaillés précédant la reprise effective de son service après la grève, le conseil de prud'hommes a retenu que ''suivant le jugement de départage du conseil de prud'hommes de Rennes, du 24 mai 2022 [...] : « la rémunération des salariés grévistes ne doit subir [qu'] un abattement proportionnel à la durée de l'arrêt de travail pour cause de grève. La retenue opérée sur le salaire pour cause de grève doit être strictement proportionnelle à la durée de l'arrêt de travail pour ce motif car, à défaut, il s'agit d'une sanction pécuniaire déguisée » et que « pour motiver ces retenues de salaire, l'employeur reprend le principe édicté par l'arrêt [F] du Conseil d'État en date du 7 juillet 1978, qui fixe comme principe que le nombre de jours décomptés pour participation à une grève est équivalent à l'amplitude entre le premier jour de cessation du travail et le dernier jour non travaillé. Dès lors, toutes les journées comprises dans cette période sont décomptées, y compris celles qui n'étaient pas censées être travaillées (dimanche, jour de repos, jours fériés). Cependant, il est de constater que cette jurisprudence du Conseil d'État ne concerne que les fonctionnaires et ne peut donc pas être appliqué aux agents de la SA La Poste, comme Madame [E] [N] sous contrat de droit privé. Il est donc démontré par les pièces versées aux débats, que l'employeur la SA La Poste a illégalement opéré une retenue sur le salaire de Madame [E] [N] pour les journées du 6 février et du 24 juillet 2022 »'' ; qu'en se déterminant de la sorte sans constater l'existence d'un texte spécifique prévoyant un autre mode de calcul pour le service public postal, le conseil de prud'hommes a violé derechef les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
6. L'exercice du droit de grève suspend l'exécution du contrat de travail pendant toute la durée de l'arrêt de travail résultant de l'exercice de ce droit, en sorte que l'employeur est délivré de l'obligation de payer le salaire, peu important que, pendant cette période, le salarié n'ait eu normalement aucun service à assurer.
7. Selon les articles 1 et 2 de la loi n° 2010-123 du 9 février 2010 relative à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales, les personnels de cette entreprise sont soumis aux dispositions de l'article L. 2512-5 du code du travail qui dispose qu'en ce qui concerne les personnels mentionnés à l'article L. 2512-1 non soumis aux dispositions de l'article 1er de la loi n° 82-889 du 19 octobre 1982, l'absence de service fait par suite de cessation concertée du travail entraîne pour chaque journée une retenue du traitement ou du salaire et de ses compléments autres que les suppléments pour charges de famille.
8. Il s'en déduit que l'absence du salarié résultant d'un temps de repos postérieur à la fin d'un mouvement de grève ne constitue pas une absence de service fait par suite de la cessation concertée du travail et doit être rémunérée.
9. Le conseil de prud'hommes, devant lequel il n'était pas contesté que l'agent s'était associé à des mouvements de grève, précédés chacun d'un préavis pour une seule journée, le samedi, en a exactement déduit que les dimanches suivant ces journées, après que la grève avait pris fin, devaient être rémunérés.
10. Le moyen, inopérant en sa deuxième branche, n'est dès lors pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
11. La Poste fait le même grief au jugement, alors « que ne constitue ni une résistance abusive, ni un comportement fautif découlant d'une ''volonté de démoraliser les salariés afin de les dissuader de faire grève'' le fait, pour une personne morale gérant un service public, d'appliquer à ses salariés de droit privé les modalités de décompte des retenues pour fait de grève non strictement proportionnelles issues de la combinaison des articles L. 2512-1, L. 2512-5 du code du travail et 2 de la loi n°82-889 du 19 octobre 1982 validée par le Conseil constitutionnel, telle qu'interprétée par les juridictions administratives et judiciaires ; que pour condamner La Poste à verser des dommages-intérêts à Mme [N] et au syndicat CGT-FAPT, le conseil de prud'hommes a relevé, d'une part, s'agissant de la salariée, ''qu'en infligeant une retenue sur salaire de deux jours lorsqu'un salarié fait grève un jour, ...la SA La Poste s'est rendue coupable en manifestant une volonté de démoraliser les salariés afin de les dissuader de faire grève'', d'autre part, concernant le syndicat, ''que ...non seulement La Poste porte atteinte aux salariés, mais elle tente clairement d'entraver le droit constitutionnel de grève'', quand il ressortait de ses propres constatations que la juridiction administrative avait validé cette pratique pour le calcul de la rémunération des agents de droit public, de sorte qu'elle n'avait commis aucun abus, ni manifesté une volonté d'entraver le droit de grève en l'étendant à ses salariés, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil. »
Réponse de la Cour
12. Le conseil de prud'hommes a exactement retenu que l'entrave à l'exercice du droit de grève, résultant de la retenue illicite, avait, d'une part causé à la salariée un préjudice moral, d'autre part porté atteinte à la communauté de travail au sein de La Poste et qu'il y avait lieu de réparer le préjudice causé à l'intérêt collectif de la profession.
13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société La Poste aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société La Poste et la condamne à payer à Mme [N] et au syndicat CGT-FAPT 66 la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq.