LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 5 février 2025
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 67 F-B
Pourvoi n° G 23-12.588
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 5 FÉVRIER 2025
1°/ La société Carmo Branco Lda, société de droit portugais , dont le siège est [Adresse 3] (Portugal),
2°/ M. [P] [O] [I] [T] [G], agissant en qualité d'administrateur d'insolvabilité de la société Carmo Branco Lda, domicilié [Adresse 4] (Portugal),
ont formé le pourvoi n° G 23-12.588 contre l'arrêt rendu le 19 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 4), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Coty France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la société HFC Prestige International Opérations Switzerland, société de droit Suisse, dont le siège est [Adresse 1] (Suisse), venant aux droits de la société Coty Geneva Sarl Versoix,
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Coricon, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boucard-Capron-Maman, avocat de la société Carmo Branco Lda et de M. [I] [T] [G], de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat des sociétés Coty France et Hfc Prestige International Opérations Switzerland, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 10 décembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Coricon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 octobre 2022), la société de droit portugais Carmo Branco, établie au Portugal, était le distributeur local des produits cosmétiques et de parfumerie de marque « Bourjois » fabriqués et commercialisés par la société Bourjois, aux droits de laquelle vient la société Coty France, qui lui étaient livrés par la société Coty Geneva SA Versoix, devenue HFC Prestige International Operations Switzerland (la société HFC).
2. Par jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 janvier 2019, la société Carmo Branco a été condamnée à payer aux sociétés Coty France et HFC la somme de 156 934,16 euros au titre de factures impayées. La société Carmo Branco a interjeté appel.
3. Le 27 avril 2021, le tribunal de commerce de Sintra (Portugal) a prononcé la faillite de la société Carmo Branco et désigné M. [I] [T] [G] en qualité d' « administrador de insolvência », lequel est intervenu volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société Carmo Branco et M. [I] [T] [G], en qualité d' « administrador de insolvência » de cette société, font grief à l'arrêt de condamner la société Carmo Branco à payer aux sociétés Coty France et HFC la somme de 156 934,16 euros au titre des factures émises et restant impayées, alors « que les effets d'une procédure d'insolvabilité ouverte dans un État membre de l'Union sur une instance en cours dans un autre État membre sont régis exclusivement par la loi de l'État membre dans lequel l'instance est en cours ; qu'en droit interne français, le jugement ouvrant une procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice et cette règle constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause et dont le caractère d'ordre public impose au juge de la relever d'office ; qu'en condamnant la société Carmo Branco à payer la somme de 156 934,16 euros au titre de factures impayées, après avoir constaté que, par jugement du 27 avril 2021, donc postérieurement à l'introduction de la présente instance par actes des 25 et 31 mai 2016 et postérieurement à la déclaration par laquelle la société Carmo Branco a interjeté appel du jugement du 21 janvier 2019, le tribunal de commerce de Sintra, au Portugal, avait prononcé la faillite de la société Carmo Branco, la cour d'appel a violé l'article 18 du règlement (UE) n° 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité, ensemble l'article L. 622-21 du code de commerce. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 18 du règlement (UE) 2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité et les articles L. 622-21, I, et L. 622-22 du code de commerce :
6. Aux termes du premier de ces textes, les effets de la procédure d'insolvabilité sur une instance ou une procédure arbitrale en cours concernant un bien ou un droit qui fait partie de la masse de l'insolvabilité d'un débiteur sont régis exclusivement par la loi de l'État membre dans lequel l'instance est en cours ou dans lequel le tribunal arbitral a son siège.
7. Il résulte du deuxième que le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance est née avant le jugement d'ouverture et tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent. Selon le troisième, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance ; elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur ou le commissaire à l'exécution du plan dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant.
8. Après avoir relevé que la société Carmo Branco avait été condamnée à payer aux sociétés Coty France et HFC la somme de 156 934,16 euros au titre de factures impayées par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 21 janvier 2019 frappé d'appel et que, le 27 avril 2021, le tribunal de commerce de Sintra avait prononcé la faillite de cette société, la cour d'appel a confirmé cette condamnation.
9. En statuant ainsi, alors que la créance des sociétés Coty et HFC était née antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure de faillite de la société Carmo Branco de sorte que l'instance interrompue devant elle ne pouvait reprendre qu'après la déclaration de cette créance à la procédure d'insolvabilité selon les régles de droit portugais et tendre qu'à sa fixation au passif de cette procédure, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, pris en sa seconde branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Carmo Branco au paiement de la somme de 156 934,16 euros au titre des factures émises et restant impayées, l'arrêt rendu le 19 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne les sociétés Coty France et HFC Prestige International Operations Switzerland aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Coty France et HFC Prestige International Operations Switzerland et les condamne in solidum à payer à la société Carmo Branco et à M. [I] [T] [G] en qualité d' « administrador de insolvência » la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé en l'audience publique du cinq février deux mille vingt-cinq et signé par Mme Schmidt , conseiller doyen en ayant délibéré, en remplacement de M. Vigneau président, empêché, le conseiller référendaire rapporteur et le greffier de chambre, conformément aux dispositions des articles 452, 456 et 1021 du code de procédure civile.