La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/02/2025 | FRANCE | N°C2500111

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 04 février 2025, C2500111


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° G 23-86.625 F-D


N° 00111




SL2
4 FÉVRIER 2025




REJET




M. BONNAL président,












R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 FÉVRIER 2025




La société [4] anciennement [3] a

formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 12 octobre 2023, qui, pour travail dissimulé et emploi d'un étranger sans titre de séjour, l'a condamnée à 375 000 euros...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° G 23-86.625 F-D

N° 00111

SL2
4 FÉVRIER 2025

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 FÉVRIER 2025

La société [4] anciennement [3] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Nîmes, chambre correctionnelle, en date du 12 octobre 2023, qui, pour travail dissimulé et emploi d'un étranger sans titre de séjour, l'a condamnée à 375 000 euros d'amende, une interdiction professionnelle définitive, a ordonné la publication de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils.

Des mémoires, en demande et en défense, ainsi que des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de M. Michon, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société [4] anciennement [3], les observations de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du [2] et de la [1], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Michon, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite de six procédures diligentées par l'inspection du travail, la société de droit espagnol [3], devenue [4], et divers exploitants agricoles ont été cités devant le tribunal correctionnel des chefs rappelés ci-dessus.

3. Par jugement du 1er avril 2022, le tribunal a, notamment, déclaré la société demanderesse coupable et a prononcé sur les peines.

4. La société [4] et le ministère public ont relevé appel du jugement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses sixième et septième branches, et le troisième moyen

5. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le deuxième moyen, pris en ses première à cinquième branches

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [4] coupable d'exécution par personne morale d'un travail dissimulé commis à l'égard de plusieurs personnes courant février 2017 et jusqu'au 25 juin 2019 et d'emploi par personne morale d'un étranger non muni d'une autorisation de travail salarié du 1er février 2017 au 25 juin 2019 et a, en conséquence, prononcé des peines et a statué sur les intérêts civils, alors :

« 1°/ que seuls sont punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis ; que l'article L. 8221-3, 3° du code du travail a été ajouté par l'article 99 de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, entré en vigueur le 7 septembre 2018 ; qu'avant l'entrée en vigueur de ces dispositions, l'infraction de travail dissimulé par l'employeur se prévalant des dispositions applicables au détachement lorsque celui-ci exerce dans l'Etat sur le territoire duquel il est établi des activités relevant uniquement de la gestion interne ou administrative, ou lorsque son activité est réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue, n'était pas réprimée et n'était pas punie des peines applicables au délit du travail dissimulé ; qu'en condamnant néanmoins la société [4] pour cette infraction, pour la période de février 2017 au 7 septembre 2018, la cour d'appel a violé l'article 112-1 du code pénal ;

2°/ qu'il appartient au juge répressif d'écarter l'application d'un texte d'incrimination de droit interne lorsque ce dernier méconnaît une disposition du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou un texte pris pour l'application de celui-ci ; que l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) consacre le principe selon lequel les Etats membres doivent garantir la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union ; que cette liberté fondamentale comprend le droit pour un prestataire établi dans un Etat membre de détacher des travailleurs dans un autre Etat membre aux fins d'y prester un service ; que la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014, concernant le détachement de travailleurs, précise les règles en vigueur dans le pays d'accueil qui doivent s'appliquer aux travailleurs détachés et prévoit que la détermination du caractère véritable du détachement doit être réalisée en examinant si une entreprise exerce réellement des activités substantielles dans son état d'établissement en examinant, notamment, le lieu où est implanté le siège, où la société paye des impôts, le lieu de recrutement, le droit applicable aux contrats de travail conclus ; qu'en recherchant si la société avait une activité « habituelle, stable et continue » sur le territoire national, à savoir en France, c'est-à-dire en appliquant le critère de droit interne prévu à l'article L 8221-3 3° issu de la loi du 5 septembre 2018, et non une « activité substantielle » dans l'Etat d'établissement (Espagne), tandis qu'elle devait écarter l'application des dispositions de droit interne dès lors qu'elles méconnaissaient le droit européen, la cour d'appel a violé l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, l'article 4 de la directive précitée et par fausse application l'article L 8221-3 3° du code du travail, et les articles 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que, subsidiairement, la cour d'appel ne pouvait se borner à énoncer que la société [4] ne pouvait « invoquer les dispositions et normes européennes » et devait motiver sa décision au regard des conclusions dont elle était saisie ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a, en toute hypothèse, méconnu l'article 593 code procédure civile ;

4°/ que, à supposer que le droit interne ait été applicable, ce qui est contesté, l'infraction de travail dissimulé sanctionnée par l'article L. 8221-3 du code du travail n'est caractérisée que si la personne morale dispose de structures pérennes sur le sol national ; qu'en l'espèce, pour juger que la société [4] avait commis l'infraction de travail dissimulé, la cour d'appel a retenu qu'elle avait une activité habituelle stable et continue, car elle avait développé une partie importante de son chiffre d'affaires en France, qu'une de ses filiales avait développé un service de mini bus, qu'elle réservait l'hébergement de ses salariés dans des campings et que des chefs d'équipes étaient chargés de renseigner le nombre d'heures effectué par les salariés ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas relevé l'existence d'infrastructures pérennes, en particulier de locaux, en France, de sorte qu'elle ne pouvait retenir l'infraction de travail dissimulé prévue par l'article L 8221-3 du code du travail ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a dès lors méconnu ce texte et l'article 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que, en tout état de cause, la société [4] faisait valoir que les infractions de travail dissimulé pour défaut d'inscription au registre du commerce et des sociétés (L 8221-3 1° du code du travail) et pour défaut de déclaration sociale et fiscale (L 8221-3 2° du code du travail) ne pouvaient résulter de l'exercice, sur le territoire national, d'une activité habituelle, stable et continue, qui faisait partie de l'élément légal de l'infraction de travail dissimulé pour fraude au détachement prévue, uniquement par l'article L 8221-3 3° du même code ; qu'en retenant, pour entrer en voie de condamnation, que la société [4] avait une activité stable continue et permanente et qu'elle n'avait cependant jamais été inscrite à aucun registre et n'avait jamais fait déclaration en France, sans répondre à ces conclusions, la cour d'appel a violé l'article 593 du code de procédure pénale.»

Réponse de la Cour

7. Pour dire établi le délit de travail dissimulé par dissimulation d'activité, l'arrêt attaqué énonce notamment, par motifs propres et adoptés, que la société prévenue, qui n'a jamais été déclarée en France, y a développé une activité pérenne particulièrement lucrative puisqu'elle représentait entre 72 % et 77 % de son chiffre d'affaires entre 2016 et 2019, et qu'il est impossible de développer un tel chiffre d'affaires sans avoir, dans l'Etat concerné, une structure qui permette d'assurer une logistique commerciale et financière, qui assure le transport et l'hébergement des salariés, encadrés comme ils l'étaient par des chefs d'équipe présents en permanence sur les chantiers, outre une téléphonie assurant le relais.

8. Les juges ajoutent que la société embauchait des ouvriers, essentiellement de nationalité équatorienne, qui ne disposaient d'aucune compétence professionnelle spécifique, qui n'effectuaient pas un jour de travail en Espagne et qui étaient envoyés sur les exploitations agricoles françaises sitôt le contrat de travail signé.

9. Ils en déduisent que le siège espagnol de la société ne fait que masquer un détournement de la procédure française sur le détachement de travailleurs salariés, la société exerçant une activité permanente en France et recrutant des salariés spécialement destinés à être envoyés dans ce pays pour y travailler, sans créer d'établissement en France, contournant la législation du travail française, le travail dissimulé par dissimulation d'activité s'entendant, avant comme après le 7 septembre 2018, comme l'exercice d'une activité stable sans procéder aux déclarations nécessaires.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.

11. En premier lieu, le fait, pour une personne physique ou morale, d'exercer, en violation des règles sur le détachement, une activité stable sur le territoire national sans procéder aux déclarations requises constituait, avant même l'entrée en vigueur, le 7 septembre 2018, de l'article L. 8221-3, 3°, du code du travail, issu de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, le délit de travail dissimulé, ledit article n'ayant eu pour objet, selon les travaux préparatoires de ladite loi, que de clarifier l'état du droit antérieur.

12. En deuxième lieu, ni l'article L. 1262-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, ni l'article L. 8221-3, 3°, précité, en ce qu'ils prévoient qu'un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque son activité est réalisée sur le territoire national de façon habituelle, stable et continue ne sont contraires à l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et à l'article 4 de la directive n° 2014/67/UE du 15 mai 2014, relative à l'exécution de la directive n° 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services pour la détermination du caractère véritable du détachement.

13. En effet, l'article 4 précité de la directive n° 2014/67/UE prévoit qu'afin de déterminer si une entreprise exerce réellement des activités substantielles, autres que celles relevant uniquement de la gestion interne ou administrative, les autorités compétentes procèdent à une évaluation globale, portant sur une période prolongée, de tous les éléments de fait caractérisant les activités exercées par une entreprise dans l'État membre dans lequel elle est établie et, au besoin, dans l'État membre d'accueil.

14. En troisième lieu, la cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des faits et sans insuffisance ni contradiction, relevé que, d'une part, les salariés ne pouvaient être considérés comme régulièrement détachés, d'autre part, qu'en raison du caractère habituel, stable et continu de l'activité exercée en France, celle-ci devait donner lieu à un enregistrement auprès du registre du commerce et des sociétés et à des déclarations auprès des organismes sociaux et des services des impôts.

15. Dès lors, le moyen doit être écarté.

16. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme globale que la société [4] anciennement [3] devra payer au [2]
[2] et à la [1] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500111
Date de la décision : 04/02/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Nîmes, 12 octobre 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 04 fév. 2025, pourvoi n°C2500111


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500111
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award