La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/02/2025 | FRANCE | N°C2500109

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 04 février 2025, C2500109


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° W 23-85.556 F-D


N° 00109




SL2
4 FÉVRIER 2025




REJET




M. BONNAL président,














R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 FÉVRIER 2025






Mme [L] [G], partie

civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, chambre correctionnelle, en date du 5 septembre 2023, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de Mme [F] [K] du chef de diffamation publique env...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° W 23-85.556 F-D

N° 00109

SL2
4 FÉVRIER 2025

REJET

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 FÉVRIER 2025

Mme [L] [G], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre, chambre correctionnelle, en date du 5 septembre 2023, qui l'a déboutée de ses demandes après relaxe de Mme [F] [K] du chef de diffamation publique envers un particulier et de M. [C] [E] du chef de complicité de ce délit.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat de Mme [L] [G], les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de Mme [F] [K], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 janvier 2025 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Lavaud, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 9 octobre 2017, Mme [L] [G] a porté plainte et s'est constituée partie civile des chefs de diffamation publique envers un particulier et de complicité de ce délit en raison des propos publiés dans un article de la revue « Inter entreprises », en septembre 2017, dont Mme [F] [K] est la directrice de publication, intitulé « les lapins sacrifiés sur l'hôtel du profit » : « [1] fait partie de ces coopératives qui présentaient un passif au moment de la fusion dont les comptes sont devenus positifs en une nuit. Celui de [1] s'élevait à 70 000 euros. "Les comptes ont été trafiqués par [L] [G] avec la complicité du centre de gestion", déclare [C] [E], président de la [1] et administrateur de [2] à cette époque. »

3. Le juge d'instruction a renvoyé Mme [K] devant le tribunal correctionnel du chef de diffamation publique envers un particulier, en qualité de directrice de la publication, et M. [E], du chef de complicité de ce délit.

4. Le tribunal correctionnel a condamné les prévenus de ces chefs à 3 000 euros d'amende avec sursis, chacun, et a prononcé sur les intérêts civils.

5. Les prévenus, puis le ministère public, ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur le second moyen

6. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a infirmé le jugement entrepris et relaxé M. [E] et Mme [K] des fins de la poursuite en retenant leur bonne foi, alors :

« 1°/ que de première part, en accordant le bénéfice de la bonne foi à Monsieur [E] en se bornant à indiquer qu' « il apparaît dès lors, au vu des éléments comptables certifiés par la commissaire aux comptes pour 2012 et de ceux connus et exposés par M. [E] en conseil d'administration pour le premier semestre 2013, du rôle joué par Mme [G] pour l'établissement des comptes 2013, que les propos incriminés de M. [E], qui sont dénués d'animosité personnelle et de défaut de prudence, reposent sur une base factuelle suffisante » (arrêt attaqué, p. 6), la cour d'appel, qui n'a pas énuméré et analysé précisément, comme elle y était pourtant tenue et comme cela lui était expressément demandé, chacune des pièces produites par le prévenu au soutien de l'exception de bonne foi, afin d'apprécier, au vu de ces pièces et de celles produites par la partie civile pour combattre cette exception, la suffisance de la base factuelle, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que de deuxième part, en accordant le bénéfice de la bonne foi à Madame [K], en sa qualité de directeur de la publication, aux motifs que « la bonne foi retenue a l'auteur des propos publiés dans un organe de presse bénéficie au directeur de la publication » (arrêt attaqué, p. 6), tandis que la reprise, par le journaliste, des propos tenus par un tiers, ne fait pas disparaître l'obligation à laquelle il est tenu d'effectuer des vérifications sérieuses pour s'assurer que ceux-ci reflètent la réalité des faits, ce d'autant plus en l'absence de tout respect du contradictoire, et sachant que plus l'allégation est sérieuse, plus la base factuelle doit être solide, la cour d'appel n'a pas davantage légalement justifié sa décision au regard des articles précités ;

3°/ que de troisième part, les imputations diffamatoires sont réputées de droit faites avec intention de nuire, de sorte qu'il appartient à l'auteur de telles imputations de rapporter la preuve de sa bonne foi ; que même dans le cadre d'un débat d'intérêt général, la bonne foi n'est admise qu'en présence d'une base factuelle suffisante, d'autant plus sévèrement appréciée que l'accusation est grave ; qu'en s'abstenant de relever l'existence d'un quelconque élément de nature à conférer une base factuelle à l'imputation diffamatoire faite à la partie civile de s'être rendue coupable du délit de falsification de comptes, condition essentielle pour faire prévaloir la liberté d'expression sur le droit au respect de la réputation d'autrui et accorder aux prévenus le bénéfice de la bonne foi, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser la bonne foi des prévenus, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme et 29, alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que de quatrième part, en imputant notamment à la partie civile une infraction pénale, en l'espèce comme cela résulte des énonciations mêmes de l'arrêt attaqué, des falsifications de comptes, tout en reconnaissant le bénéfice de la bonne foi aux prévenus qui n'avaient pourtant usé d'aucune marque de prudence à l'encontre de la partie civile qui faisait l'objet de cette accusation grave, sans être atténuée par une formulation au conditionnel ou laissant entendre qu'il existe un doute sur leur véracité, de sorte que les propos dépassaient les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel n'a pas davantage justifié sa décision au regard des articles précités ;

5°/ que de cinquième part, la cour d'appel, qui s'est contentée de se référer à certaines des pièces versées par les prévenus, pour justifier la base factuelle des imputations diffamatoires, n'a pas répondu au chef péremptoire des conclusions qui soulignaient que, comme l'avait retenu le tribunal correctionnel, les pièces produites ne faisaient aucunement état de manipulation ou falsification de comptes par Madame [G] (conclusions de partie civile, pp. 5 et suivantes), de sorte qu'elle n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

8. Pour infirmer le jugement et prononcer la relaxe des prévenus au bénéfice de la bonne foi, l'arrêt attaqué énonce que les propos incriminés tenus par M. [E], qui dénonçaient une falsification de comptes à laquelle se serait livrée Mme [G] pour que la société [1], qui présentait un passif au moment de la fusion, ait des comptes positifs en une nuit, concernent le sujet global des stratégies des sociétés coopératives d'élevage, de leur gestion et de leur pérennité et s'inscrivent dans un débat d'intérêt général en termes d'économie, de gouvernance de ces sociétés et d'autonomie alimentaire pour la Martinique.

9. Les juges ajoutent qu'il résulte des attestations et auditions de Mme [N] [T] et de M. [X] [T] que les opérations d'arrêté de comptes pour l'exercice 2013 de la société [1] ont été réalisées en urgence courant mai 2014 sous la direction de Mme [G] qui n'était pas la comptable ou une salariée de la [1] mais occupait le poste de responsable administrative et financière de [2] ; que Mme [G] était également présente lors de la réunion du conseil d'administration du 3 juin 2014 au cours de laquelle les comptes de l'exercice 2013 faisant apparaître un excédent après deux années de déficit ont été approuvés.

10. Ils observent encore que M. [E] a occupé entre 2012 et 2014 les fonctions de président du conseil d'administration de [1], ce qui lui donnait accès à l'ensemble des informations sur la réalité de la situation financière de cette société.

11. Ils relèvent en outre que les exercices 2011 et 2012 avaient été déficitaires, ce déficit ayant augmenté de manière significative puisqu'il avait doublé entre 2011 et 2012, et qu'il résulte également du procès-verbal du conseil d'administration du 30 septembre 2013 que M. [E] avait exprimé ses craintes d'une poursuite de la dégradation de la situation financière en raison notamment de l'insuffisance de l'activité de vente.

12. Ils en concluent que, au vu des éléments comptables certifiés par la commissaire aux comptes pour 2012 et de ceux connus et exposés par M. [E] en conseil d'administration pour le premier semestre 2013, ainsi que du rôle de Mme [G] dans l'établissement des comptes 2013, les propos incriminés de M. [E], qui sont dénués d'animosité personnelle et de défaut de prudence, reposent sur une base factuelle suffisante et que la bonne foi retenue au profit de ce dernier, auteur des propos publiés dans un organe de presse, bénéficie à Mme [K] en sa qualité de directrice de la publication.

13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a répondu aux chefs péremptoires des conclusions des parties, a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

14. En premier lieu, l'existence de la bonne foi ne saurait être subordonnée à la preuve de la vérité des faits.

15. En deuxième lieu, après avoir exactement retenu que les propos s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général concernant l'existence de pratiques condamnables au sein de la filière d'élevage à la Martinique, la cour d'appel, qui n'avait pas à énumérer chacune des pièces produites par le prévenu au soutien de l'exception de bonne foi, a, comme elle le devait, procédé à une analyse précise de celles-ci, retenant plus particulièrement le projet de fusion, les procès-verbaux du conseil d'administration de la [1] de septembre 2013 et de juin 2014, les éléments comptables certifiés pour 2012 et les attestations et auditions de Mme et M. [T], ainsi que celles produites par la partie civile pour combattre cette exception, et en a déduit, à juste titre, qu'elles constituaient une base factuelle suffisante aux propos poursuivis.

16. En troisième lieu, l'exception de bonne foi retenue au profit de l'auteur des propos bénéficie également au directeur de la publication.

17. En dernier lieu, il ne saurait être reproché aux prévenus un manque de prudence dans l'expression, ce critère devant être apprécié d'autant moins strictement que les propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante.

18. Ainsi, le moyen doit être écarté.

19. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

FIXE à 2 500 euros la somme que Mme [G] devra payer à Mme [F] [K] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500109
Date de la décision : 04/02/2025
Sens de l'arrêt : Rejet

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Basse Terre, 05 septembre 2023


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 04 fév. 2025, pourvoi n°C2500109


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Spinosi

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500109
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award