LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 janvier 2025
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 2 FS-D
Pourvoi n° K 23-14.246
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de M. [W]
admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 28 avril 2023
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JANVIER 2025
1°/ M. [L] [K],
2°/ Mme [X] [Y], épouse [K],
tous deux domiciliés, [Adresse 1],
3°/ Mme [F] [K], domiciliée [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° K 23-14.246 contre l'arrêt rendu le 25 novembre 2022 par la cour d'appel de Saint-Denis (chambre civile, tribunal de grande instance), dans le litige les opposant à M. [U] [W], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de Me Haas, avocat de M. et Mme [K], et de Mme [F] [K], de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat de M. [W], et l'avis de Mme Compagnie, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, Mmes Grandjean, Grall, M. Bosse-Platière, Mmes Pic, Oppelt, conseillers, Mme Schmitt, M. Baraké, Mmes Gallet, Davoine, MM. Pons, Choquet, conseillers référendaires, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 25 novembre 2022), le 13 août 2014, M. et Mme [K], propriétaires de terrains cadastrés section AW n° [Cadastre 4] et [Cadastre 5], donnés à bail commercial à M. [W] (le locataire), qui y exploitait une activité de vente de véhicules d'occasion, ont fait donation à leur fille, Mme [F] [K], de la parcelle cadastrée section AW n° [Cadastre 5], sur laquelle elle a construit sa maison d'habitation.
2. Le locataire a assigné M. et Mme [K] et leur fille (les consorts [K]), pour obtenir, à titre principal, la cessation du trouble de jouissance par la libération des lieux loués de toute occupation et en dommages-intérêts et, à titre subsidiaire, la résolution du bail aux torts des bailleurs.
3. A titre reconventionnel, les consorts [K] ont sollicité la résiliation judiciaire du bail et le paiement des loyers.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
4. Les consorts [K] font grief à l'arrêt de dire que Mme [F] [K] devra cesser le trouble de jouissance en libérant de toute occupation la parcelle cadastrée section AW n° [Cadastre 5] et de rejeter leurs demandes, alors « que les délibérations des juges sont secrètes ; que l'arrêt indique, après avoir mentionné que le nom des juges ayant délibéré : « Greffier lors du délibéré : Madame [J] [T] « » ; que, dès lors qu'il résulte de cette mention que le greffier a assisté au délibéré des magistrats, l'arrêt a été rendu en violation des articles 447, 448 et 458 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
5. L'arrêt mentionne que le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour d'appel composée du président et de deux conseillers, qui en ont délibéré, ce qui suffit à établir que le greffier n'a pas assisté au délibéré, la mention « greffier, lors du délibéré » indiquant le nom du greffier présent lors du prononcé du délibéré.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche
7. Les consorts [K] font grief à l'arrêt de dire que Mme [F] [K] devra cesser le trouble de jouissance en libérant de toute occupation la parcelle cadastrée section AW n° [Cadastre 5], sous astreinte, alors « que toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ; qu'en ordonnant, sous astreinte, à Mme [F] [K], à faire cesser le trouble de jouissance en libérant la parcelle AW [Cadastre 5] de toute occupation, ce qui impliquait qu'elle procède à la démolition de sa maison d'habitation, sans rechercher si, au regard des données de l'espèce et, notamment du fait que le preneur qui avait définitivement cessé son activité, ne subissait aucun trouble de jouissance, cette mesure était proportionnée au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile de Mme [K], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
8. Le locataire conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit.
9. Cependant, le pourvoi critiquant par un défaut de base légale l'insuffisance des constatations de l'arrêt, le moyen ne saurait être considéré comme nouveau.
10. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
11. Selon ce texte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile.
12. Pour ordonner la libération de toute occupation de la parcelle cadastrée section AW n° [Cadastre 5], l'arrêt retient que Mme [F] [K] a manqué à son obligation de délivrance en construisant sa maison sur une partie des terrains donnés à bail et que le locataire est en droit d'obtenir la cessation de son trouble de jouissance.
13. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé en substance, si la libération sollicitée de la parcelle ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale et au domicile de Mme [F] [K], au regard des troubles et préjudices subis par le locataire et de la possibilité de prononcer d'autres mesures pour sanctionner l'inexécution contractuelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
14. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif ordonnant la libération de la parcelle louée entraîne la cassation du chef de dispositif rejetant le surplus des demandes des parties qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis, autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf janvier deux mille vingt-cinq.