LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 9 janvier 2025
Cassation partielle
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 27 F-D
Pourvoi n° V 21-25.770
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JANVIER 2025
La société [2], société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° V 21-25.770 contre l'arrêt rendu le 10 novembre 2021 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) de Normandie, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de l'URSSAF de Haute-Normandie, défenderesse à la cassation.
L'URSSAF de Normandie, venant aux droits de l'URSSAF de Haute-Normandie, a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Leblanc, conseiller, les observations de la SCP Alain Bénabent, avocat de la société [2], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de l'URSSAF de Normandie, venant aux droits de l'URSSAF de Haute-Normandie, et l'avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 novembre 2024 où étaient présents Mme Martinel, président, M. Leblanc, conseiller rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 10 novembre 2021), à la suite de contrôles portant sur les années 2007 à 2013, l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Haute-Normandie, aux droits de laquelle vient l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales de Normandie (l'URSSAF), a adressé à la société [2] (la société) plusieurs lettres d'observations suivies, les 14 juin 2012, 25 septembre 2012 et 2 octobre 2014 de trois mises en demeure.
2. La société a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi incident de l'URSSAF, qui est préalable
Enoncé du moyen
3. L'URSSAF fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception de péremption d'instance, alors :
« 1°/ que selon les dispositions de l'article 386 du code de procédure civile, applicables dans le contentieux de la sécurité sociale dès le 1er janvier 2019, l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans ; que ni l'oralité de la procédure ni le fait que la convocation de l'adversaire soit le seul fait du greffe ne privent les parties de la direction de la procédure et de la faculté d'accomplir des diligences de nature à faire progresser l'instance, notamment de demander la fixation de l'audience ; qu'en l'espèce, il est constant et non contesté que la société [2] a interjeté appel le 10 avril 2018 du jugement rendu le 19 mars 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen et qu'elle n'a accompli aucune diligence de nature à faire progresser l'instance entre 1er janvier 2019 et le 4 janvier 2021 ; qu'en jugeant que la péremption d'instance demandée par l'Urssaf n'était pas acquise aux prétextes qu'en procédure orale, les parties n'ont aucune obligation de conclure et que la direction de la procédure leur échappe puisque la convocation est le seul fait du greffe, la cour d'appel a violé les articles 386, 388 et 390 du code de procédure civile ;
2°/ que la péremption d'instance est de droit lorsque ses conditions d'application sont réunies ; qu'en l'espèce, il est constant et non contesté que la société [2] a interjeté appel le 10 avril 2018 du jugement rendu le 19 mars 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen et qu'elle n'a accompli aucune diligence de nature à faire progresser l'instance entre 1er janvier 2019 et le 4 janvier 2021 ; qu'en jugeant que la péremption d'instance demandée par l'Urssaf n'était pas acquise au prétexte qu'il ne pouvait être reproché aux parties de n'avoir pas, à tout le moins, sollicité la fixation de l'affaire compte tenu de leur connaissance de l'encombrement du rôle de la cour et de ses délais d'audiencement en matière sociale, la cour d'appel a violé les articles 386, 388 et 390 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 386 du code de procédure civile, l'instance est périmée lorsqu'aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.
5. Selon l'article R. 142-11 du code de la sécurité sociale, dans les litiges relevant du contentieux de la sécurité sociale défini à l'article L. 142-1 du même code, la procédure d'appel est sans représentation obligatoire.
6. Selon l'article 946 du code de procédure civile, la procédure sans représentation obligatoire est orale.
7. Par deux arrêts (2e Civ., 10 octobre 2024, pourvois n° 22-12.882 et 22-20.384, publiés), la Cour de cassation juge qu'en procédure orale, à moins que les parties ne soient tenues d'accomplir une diligence particulière mise à leur charge par la juridiction, la direction de la procédure leur échappe. Elles n'ont, dès lors, plus de diligences à accomplir en vue de l'audience à laquelle elles sont convoquées par le greffe.
8. En particulier, il ne saurait leur être imposé de solliciter la fixation de l'affaire à une audience à la seule fin d'interrompre le cours de la péremption, laquelle ne peut leur être opposée pour ce motif.
9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt, qui ne mentionne pas qu'une diligence particulière avait été mise à la charge des parties par la juridiction, se trouve légalement justifié.
Sur le premier moyen et le second moyen du pourvoi principal de la société, pris en sa seconde branche
10. En application de l'article 1014,alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen du pourvoi principal de la société, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à l'URSSAF diverses sommes au titre du redressement relatif à la déduction forfaitaire spécifique, alors qu'« il résulte de la lettre de l'ACOSS du 20 janvier 2011 dont la cour d'appel a reconnu l'applicabilité en l'espèce qu'ouvrent droit à la déduction forfaitaire spécifique les personnels affectés aux services annexes réservés aux joueurs tels que les services de bar ou restauration sans que soit exigée la condition d'affectation exclusive desdits personnels à ces services annexes ; que la cour d'appel a, par ailleurs, constaté qu'en l'espèce le personnel de restauration était affecté à deux restaurants qui avaient une cuisine commune mais dont un seul était exclusivement réservé aux joueurs ; qu'il en résultait que le personnel de restauration exerçait au moins pour partie son activité dans les salles de jeux et services annexes ouvrant droit au jeu de la déduction forfaitaire spécifique ; qu'en refusant néanmoins d'appliquer la déduction forfaitaire spécifique parce que le personnel n'aurait pas été affecté exclusivement au restaurant réservé aux joueurs, la cour d'appel a statué par un motif inopérant en violation de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et de l'arrêté du 20 décembre 2002 modifié par l'arrêté du 25 juillet 2005 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale tels qu'interprétés par la lettre de l'ACOSS du 20 janvier 2011. »
Réponse de la Cour
12. Il résulte de la combinaison des articles L. 242-1 du code de la sécurité sociale et 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 25 juillet 2005, que les personnels de casinos pour lesquels est autorisée une déduction forfaitaire spécifique sont ceux supportant des frais de représentation et de veillée ou de double résidence, exerçant une activité professionnelle consacrée à l'activité de jeu et aux services annexes destinés aux joueurs, et affectés exclusivement dans les salles du casino dédiées aux jeux de hasard.
13. L'arrêt relève que le casino comprend deux restaurants qui ont une cuisine commune mais dont un seul est réservé aux joueurs et que le personnel de restauration est affecté aux deux restaurants.
14. De ces constatations, la cour d'appel a exactement déduit que ce personnel de restauration n'étant pas affecté exclusivement dans les salles du casinos dédiées aux jeux de hasard, la déduction forfaitaire spécifique ne lui était pas applicable et que les redressements opérés à ce titre devaient être validés.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le second moyen du pourvoi incident de l'URSSAF
Enoncé du moyen
16. L'URSSAF fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement ayant validé le redressement notifié le 24 juillet 2014, de lui enjoindre uniquement de procéder à un nouveau calcul des majorations dues au titre du redressement notifié le 30 mars 2012 concernant M. [E], de recalculer les cotisations dues au titre de l'indemnité transactionnelle versée à Mme [G] et de procéder à un nouveau calcul des majorations de retard dues au titre du redressement du 24 juillet 2014 concernant M. [E] et Mme [G], alors :
« 1°/ qu'une contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'après avoir relevé dans ses motifs qu'il y avait lieu de confirmer le jugement ayant validé les redressements relatifs à la déduction forfaitaire spécifique portant sur les périodes de janvier 2011 à décembre 2013, c'est-à-dire les redressements relatifs à la déduction forfaitaire spécifique résultant de la lettre d'observations du 24 juillet 2014, la cour d'appel, dans son dispositif, a infirmé le jugement ayant validé le redressement notifié par la lettre d'observations du 24 juillet 2014 puis uniquement enjoint à l'Urssaf de procéder à un nouveau calcul des majorations dues au titre du redressement notifié par lettre d'observations du 30 mars 2012, de recalculer les cotisations dues au titre de l'indemnité transactionnelle versée à Mme [G] et de procéder à un nouveau calcul des majorations de retard totales dues au titre du redressement notifié par lettre d'observations du 24 juillet 2014 pour tenir compte du montant de 689 euros retenu au titre du redressement concernant M. [E] et de la régularisation qui sera effectuée au titre de la situation de Mme [G], sans condamner la société à payer à l'Urssaf les cotisations dues au titre de la déduction forfaitaire spécifique sur la période de 2011 à 2013 notifiées par la lettre d'observations du 24 juillet 2014 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a entaché son arrêt d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2°/ qu'une contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs ; qu'après avoir relevé dans ses motifs, concernant le redressement notifié par lettre d'observations du 24 juillet 2014, que le montant des cotisations dues au titre du redressement relatif à M. [E] sur la période de janvier à juillet 2012 s'élevait à 4 984 euros et que les majorations de retard s'élevaient à 689 euros, la cour d'appel, dans son dispositif, a infirmé le jugement ayant validé le redressement notifié par lettre d'observations du 24 juillet 2014 puis uniquement enjoint à l'Urssaf de procéder à un nouveau calcul des majorations dues au titre du redressement notifié par lettre d'observations du 30 mars 2012, de recalculer les cotisations dues au titre de l'indemnité transactionnelle versée à Mme [G] et de procéder à un nouveau calcul des majorations de retard totales dues au titre du redressement notifié par lettre d'observations du 24 juillet 2014 pour tenir compte du montant de 689 euros retenu au titre du redressement concernant M. [E] et de la régularisation qui sera effectuée au titre de la situation de Mme [G], sans condamner la société à payer à l'Urssaf la somme de 4 984 euros de cotisations au titre du redressement de M. [E] ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a entaché son arrêt d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
17. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à un défaut de motifs.
18. Après avoir énoncé, dans ses motifs, qu'il y avait lieu de confirmer le jugement ayant validé les redressements relatifs à la déduction forfaitaire spécifique portant sur les périodes de janvier 2011 à décembre 2013 et dit que le montant des cotisations dues au titre du redressement relatif à M. [E] sur la période de janvier à juillet 2012 s'élevait à 4 984 euros, outre 689 euros de majorations de retard, l'arrêt infirme, dans son dispositif, le jugement en tant qu'il valide ces chefs redressement faisant l'objet de la lettre du 24 juillet 2014.
19. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a entaché sa décision d'une contradiction entre ses motifs et son dispositif, a méconnu les exigences du texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il infirme le jugement du 19 mars 2018 du tribunal des affaires de sécurité sociale de Rouen en ses dispositions relatives aux redressements portant sur les déductions forfaitaires spécifiques et à celui concernant M. [E], l'arrêt rendu le 10 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne la société [2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [2] et la condamne à payer à l'URSSAF de Normandie, venant aux droits de l'URSSAF de Haute-Normandie, la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf janvier deux mille vingt-cinq.