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07/01/2025 | FRANCE | N°C2500009

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 07 janvier 2025, C2500009


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :


N° P 24-82.908 F-D


N° 00009




LR
7 JANVIER 2025




CASSATION PARTIELLE




,
















R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________




AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 JANVIER 2025






M. [K] [Y] a formé

un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 28 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, direction d'un group...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

N° P 24-82.908 F-D

N° 00009

LR
7 JANVIER 2025

CASSATION PARTIELLE

,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 7 JANVIER 2025

M. [K] [Y] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 28 mars 2024, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, direction d'un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants, infractions aux législations sur les stupéfiants et sur les armes et associations de malfaiteurs, en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure.

Par ordonnance du 5 août 2024, le président de la chambre criminelle a prescrit l'examen immédiat du pourvoi.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de Mme Thomas, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [K] [Y], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Thomas, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en examen des chefs susvisés le 12 décembre 2022, M. [K] [Y] a déposé une requête en annulation d'actes et de pièces de la procédure le 12 juin 2023.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

3. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce de la procédure et a en particulier rejeté la demande d'annulation du soit-transmis du procureur de la République de Lille, alors :

« 1°/ d'une part que la poursuite, sous la forme d'une enquête préliminaire ou de flagrance ou par l'ouverture d'une nouvelle information judiciaire, d'investigations relatives à des faits faisant déjà l'objet de la saisine d'un juge d'instruction, est irrégulière comme procédant d'un excès de pouvoir ; que l'ensemble des actes réalisés en violation du principe de la compétence exclusive du juge d'instruction relativement aux faits objets de sa saisine doivent être annulés ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir que les faits qui lui étaient reprochés dans le cadre de la procédure nancéenne avaient été mis à jour par l'infiltration du service de messagerie cryptée [1] par les gendarmes du C3N et avaient été commis au moins pour partie avant le 18 mai 2020 et entraient donc dans le champ de la saisine du juge d'instruction de la JIRS de Lille ; qu'en affirmant, pour rejeter le moyen d'annulation présenté de ce chef, que « le réquisitoire introductif du 26 novembre 2020 qui délimite la saisine du juge d'instruction de la JIRS de Nancy ne vise pas des faits compris dans le réquisitoire introductif du 28 mai 2020 qui délimite celle du juge d'instruction de Lille » dès lors que « la compétence des deux juges d'instruction est territorialement délimitée s'agissant des faits d'importation en bande organisée, trafic de stupéfiants et trafic d'armes, visés dans les deux réquisitoires, à [Localité 3] et le ressort de la JIRS de Lille d'une part et Toul, la Meurthe et Moselle et le ressort de la JIRS de Nancy d'autre part », quand le réquisitoire introductif lillois visait indistinctement des faits « commis sur le territoire national », la Chambre de l'instruction, qui a dénaturé les termes de ce réquisitoire, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 80, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part que la poursuite, sous la forme d'une enquête préliminaire ou de flagrance ou par l'ouverture d'une nouvelle information judiciaire, d'investigations relatives à des faits faisant déjà l'objet de la saisine d'un juge d'instruction, est irrégulière comme procédant d'un excès de pouvoir ; que l'ensemble des actes réalisés en violation du principe de la compétence exclusive du juge d'instruction relativement aux faits objets de sa saisine doivent être annulés ; qu'au cas d'espèce, l'exposant faisait valoir que les faits qui lui étaient reprochés dans le cadre de la procédure nancéenne avaient été mis à jour par l'infiltration du service de messagerie cryptée [1] par les gendarmes du C3N et avaient été commis au moins pour partie avant le 18 mai 2020 et entraient donc dans le champ de la saisine du juge d'instruction de la JIRS de Lille ; qu'en affirmant, pour rejeter le moyen d'annulation présenté de ce chef, que « le réquisitoire introductif du 26 novembre 2020 qui délimite la saisine du juge d'instruction de la JIRS de Nancy ne vise pas des faits compris dans le réquisitoire introductif du 28 mai 2020 qui délimite celle du juge d'instruction de Lille » dès lors que « la compétence des deux juges d'instruction est territorialement délimitée s'agissant des faits d'importation en bande organisée, trafic de stupéfiants et trafic d'armes, visés dans les deux réquisitoires, à [Localité 3] et le ressort de la JIRS de Lille d'une part et Toul, la Meurthe et Moselle et le ressort de la JIRS de Nancy d'autre part », quand il résultait des propres constatations de la Chambre de l'instruction que le réquisitoire introductif lillois visait indistinctement des faits « commis sur le territoire national », la Chambre de l'instruction, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et a statué par des motifs inopérants et impropres à établir que les faits reprochés à l'exposant n'entrent pas dans la saisine du magistrat lillois, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 80, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, en ce qu'il concerne la période postérieure au 28 mai 2020

4. Pour rejeter le moyen de nullité pris de la méconnaissance du principe de l'irrévocabilité de la saisine du juge d'instruction de Lille entachant le soit-transmis du procureur de la République de Lille du 13 novembre 2020 et le réquisitoire introductif du procureur de la République de Nancy du 26 novembre 2020, l'arrêt attaqué énonce que ce réquisitoire, qui délimite la saisine du juge d'instruction de Nancy, ne vise pas des faits compris dans le réquisitoire qui délimite celle du juge d'instruction de Lille.

5. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

6. En effet, si des faits nouveaux sont commis en matière de trafic de produits stupéfiants ou d'association de malfaiteurs dans le prolongement de faits entrant dans la saisine d'un juge d'instruction, et s'il est admis que de tels faits peuvent entrer dans cette saisine, le procureur de la République, qui exerce l'action publique, conserve néanmoins toute latitude pour décider de les poursuivre indépendamment des faits initiaux.

7. En l'espèce, par soit-transmis du 28 mai 2020, dès le jour de sa saisine, le juge d'instruction de Lille a donné pour instructions expresses au service enquêteur, saisi à l'origine pour enquête par le procureur de la République de Lille, de transmettre à celui-ci les pièces donnant lieu à la découverte de faits nouveaux à compter de l'ouverture de son information, refusant de la sorte par avance d'envisager les faits qui pourraient être révélés postérieurement à sa saisine comme en constituant le prolongement.

8. Ainsi, le procureur de la République de Lille, connaissance prise de l'existence de tels faits nouveaux, a, exerçant son pouvoir de direction de l'action publique, transmis ceux-ci au procureur de la République territorialement compétent, sans encourir le grief de non-respect du périmètre de la saisine du juge d'instruction lillois.

9. Le grief doit, en conséquence, être écarté.

Sur le moyen, en ce qu'il concerne les faits commis entre le 13 avril 2020 et le 28 mai 2020

10. Pour rejeter encore le moyen, l'arrêt attaqué ajoute que, s'agissant des faits d'importation en bande organisée, trafic de stupéfiants et trafic d'armes visés dans les deux réquisitoires, la compétence des deux juges d'instruction est territorialement délimitée, à Roubaix et sur le ressort de la juridiction inter-régionale spécialisée (JIRS) de Lille, d'une part, à Toul, en Meurthe-et-Moselle et sur le ressort de la JIRS de Nancy, d'autre part.

11. Les juges ajoutent que, si les deux juges d'instruction sont saisis de faits commis sur le territoire national et aux Pays-Bas, les deux réquisitoires précisent qu'ils doivent avoir été commis de manière indivisible avec ceux perpétrés respectivement dans le ressort de chacune des deux JIRS.

12. C'est à tort, selon des motifs inopérants, que la chambre de l'instruction a retenu que l'indivisibilité existant entre tout ou partie des faits objet de la saisine de chaque juge d'instruction était de nature à exclure que les faits compris dans la saisine du juge d'instruction de Nancy puissent entrer dans celle du juge d'instruction de Lille, alors que ce dernier était saisi de faits commis sur l'ensemble du territoire national et que, ainsi que le corrobore son soit-transmis du 28 mai 2020 susvisé, ce magistrat était saisi des faits d'importation de stupéfiants en bande organisée, trafic de stupéfiants et trafic d'armes commis sur le territoire national jusqu'au 28 mai 2020, incluant les faits commis dans le ressort de compétence de la JIRS de Nancy.

13. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure, en ce que la saisine simultanée des deux juges d'instruction pour les faits relevant de la période antérieure au 28 mai 2020 ne résulte que du réquisitoire introductif du procureur de la République de Nancy, que ce réquisitoire répond, en la forme, aux conditions de son existence légale et ne saurait être annulé, et qu'une telle situation se résout par la mise en oeuvre de procédures autres que celle de l'annulation des actes et pièces de la procédure d'information ouverte en second lieu.

14. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce de la procédure et a en particulier rejeté la demande d'annulation des feuillets intitulés « annexe ¿ pièce n° TRANS-196 » du procès-verbal n° 70279/00123/2020, supportant la prétendue retranscription des échanges entre deux utilisateurs du système [1], alors « que l'acte non signé est inexistant ; qu'au cas d'espèce, l'exposant sollicitait que soit constatée l'inexistence des feuillets intitulés « annexe¿pièce n° TRANS-196 » du procès-verbal n° 70279/00123/2020, dépourvus de toute signature ; qu'en affirmant à l'inverse qu'aucune conséquence n'était susceptible d'être tirée de l'absence de signature des actes de transcription de la mesure de captation de donnée litigieuse, la Chambre de l'instruction a violé les articles préliminaire, 429, 430, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

16. Pour rejeter le moyen de nullité des feuillets non signés annexés à un procès-verbal et comportant la transcription de conversations, l'arrêt attaqué énonce que l'absence de certification conforme de ces transcriptions ou l'absence de signature d'annexes ne peut entacher d'irrégularité ces dernières, mais seulement avoir une incidence sur leur force probante, et qu'il ne peut s'en déduire que ces transcriptions sont inexistantes.

17. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

18. En effet, s'agissant de pièces issues d'une autre procédure, ne pouvant être les pièces originales, la chambre de l'instruction a exactement retenu que, d'une part, l'absence de signature de ces copies n'entraînait pas leur nullité, d'autre part, la valeur probante de ces annexes était laissée à l'appréciation des juges.

19. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Sur le cinquième moyen

Enoncé du moyen

20. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce de la procédure et a en particulier rejeté la demande d'annulation des ordonnances du juge des libertés et de la détention et du juge d'instruction lillois en date des 4 mars 2020, 31 mars 2020, 29 avril 2020, 28 mai 2020 et 10 juin 2020, alors :

« 1°/ qu'aucune disposition légale ne permet la modification, par des enquêteurs, d'un système informatique de traitement de données, seules étant autorisées, sous certaines conditions, des mesures d'accès, d'enregistrement, de conservation et de transmission de données ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [Y] faisait valoir que les ordonnances du juge des libertés et de la détention et du juge d'instruction lillois en date des 4 mars 2020, 31 mars 2020, 29 avril 2020, 28 mai 2020 et 10 juin 2020 autorisaient non seulement la captation de données, mais également la modification de la structure du système de traitement de ces données, et que ces opérations n'étaient pas permises par la loi ; qu'en affirmant l'inverse, la Chambre de l'instruction, qui a statué par des motifs inopérants et impropres à établir la régularité des opérations de blocage, de déroutage et de redirection litigieuses, lesquelles ne constituaient pas de simple modalités de mise en oeuvre des opérations de captation de données légalement autorisées, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 706-102-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part que toute mesure attentatoire à la vie privée doit être spécialement autorisée par un juge, qui doit, pour en apprécier la nécessité, fixer les contours de son périmètre et de sa durée ; qu'en affirmant, pour rejeter le moyen d'annulation tiré de leur absence de limitation dans le temps, que dès lors qu'elles ne constituaient que des modalités de mise en oeuvre des mesures de captation de données, les opérations de blocage, de déroutage et de redirection litigieuses n'avaient pas à être limitées dans le temps, la Chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 706-102-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

21. Pour rejeter le moyen de nullité pris de l'irrégularité des ordonnances autorisant la captation de données informatiques, l'arrêt attaqué énonce que les opérations ont consisté à contourner le système de protection de l'infrastructure [1] en identifiant des mots de passe permettant l'accès aux fichiers mais n'ont pas touché aux données elles-mêmes qui étaient lisibles en clair dans ceux-ci.

22. Les juges ajoutent que les ordonnances n'avaient pas à fixer la durée de l'autorisation accordée aux fins de modifier, auprès de la société [2], les règles de routage réseau afin de rediriger les flux de données de l'infrastructure du client [1] vers le dispositif de captation, cette opération étant une modalité de réalisation de la captation précédemment autorisée et sa durée s'alignant sur celle fixée pour cette mesure.

23. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a fait l'exacte application des textes visés au moyen.

24. En effet, ni l'article 706-102-1 du code de procédure pénale ni aucune autre disposition de procédure pénale ne prévoit que le dispositif de captation de données informatiques mis en oeuvre réponde à des exigences techniques particulières et que ses modalités d'exécution fassent l'objet d'une limitation dans le temps fixée distinctement de celle autorisée pour la mesure de captation elle-même.

25. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

26. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce de la procédure et a en particulier rejeté la demande d'annulation des captations à raison de la violation du droit de l'Union européenne, alors :

« 1°/ d'une part que le fait de détourner l'objet d'une mesure de captation afin de permettre la surveillance indiscriminée de l'ensemble des utilisateurs d'un service de communication en ligne et l'exploitation de la totalité des communications émises et reçues par ces utilisateurs ne saurait être regardée comme une ingérence « proportionnée » au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme ; qu'au cas d'espèce, la défense établissait que les opérations de captation mises en oeuvre dans le cadre de la procédure « [1] », ayant permis l'interception indiscriminée de la totalité des communications de l'ensemble des utilisateurs du réseau éponyme, soit plus de trente mille personnes, pour un total de plus de cent millions de messages et mille giga-octets de données captées, consistaient en réalité en une mesure de surveillance de masse visant à accéder aux conversations de l'ensemble des utilisateurs du service de messagerie électronique « [1] », peu importe leur éventuelle implication dans une activité délictuelle et n'étaient par conséquent ni nécessaires ni proportionnées (v. notamment : mémoire additif, p. 8 et s.) ; qu'en se bornant, pour rejeter la demande d'annulation de ce chef, à affirmer que le dispositif ne présentant pas de « contrariété avec le droit de l'Union européenne », sans répondre au moyen d'inconventionnalité tiré des dispositions de l'article 8 la Convention européenne des droits de l'Homme et de la jurisprudence de la Cour éponyme, la Chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 8 de la Convention précitée, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part qu'en n'appréciant pas in concreto si les mesures mises en oeuvre respectaient, compte tenu de leur ampleur, les critères de légalité et de proportionnalité, la Chambre de l'instruction s'est déterminée par des motifs inopérants et impropres à répondre à la critique formulée par la défense et tirée de la méconnaissance par les enquêteurs et le juge d'instruction des critères de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme lors de la mise en oeuvre des mesures de captation litigieuses, et n'a pas légalement justifié sa décision au regard des dispositions conventionnelles précitées, ensemble les articles 706-95 et suivants, 706-102-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

3°/ enfin que les dispositions des articles 706-95 et suivants, 706-102-1 ne permettent que la mise en oeuvre de mesures ciblées, destinée à capter les données de personnes identifiées en raison de l'apport potentiel de cette captation à la manifestation de la vérité ; qu'elles ne permettent pas la captation et l'interception massive de la totalité des données et correspondances d'un groupe entier de personnes, en vue d'opérer un tri a posteriori ; qu'en refusant toutefois d'annuler les mesures litigieuses, la Chambre de l'instruction a violé les articles 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union, préliminaire, 706-95 et suivants, 706-102-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

27. Pour rejeter le moyen pris de l'irrégularité d'une captation indiscriminée des données informatiques de tous les utilisateurs du système [1], l'arrêt attaqué énonce que le requérant s'appuie sur des références jurisprudentielles qui portent sur le régime applicable aux données de trafic et de localisation, non sur celui applicable aux données numériques issues de captations prévues aux articles 706-102-1 et suivants du code de procédure pénale.

28. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard du moyen pris d'une violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

29. L'arrêt n'encourt cependant pas la censure, dès lors que, ainsi que la Cour de cassation, qui a le contrôle des pièces de la procédure, est en mesure de le constater, les captations de données critiquées ont été autorisées en précisant systématiquement, ainsi que l'exige l'article 706-102-3 du code de procédure pénale, la description détaillée des systèmes de traitement automatisé de données visés, en l'occurrence un ou divers serveurs désignés par leurs adresses IP ainsi que les terminaux et périphériques reliés par leur fonctionnement à ces serveurs, le champ de la mesure de captation se trouvant ainsi circonscrit.

30. Par ailleurs, les griefs qui soutiennent que les opérations d'interception, de captation et d'exploitation de toutes les données ayant transité par le réseau crypté [1] seraient constitutives d'une surveillance de masse d'une population est inopérant, dès lors que ces mesures n'ont été ordonnées et mises en oeuvre qu'à l'encontre d'utilisateurs d'un moyen de cryptologie non déclaré conformément aux dispositions de l'article 30 III de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, et utilisé aux fins d'activités illicites afin d'en garantir la clandestinité.

31. Le moyen doit, dès lors, être écarté.

Mais sur les premier et deuxième moyens

Enoncé des moyens

32. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté la demande d'annulation des ordonnances de captation numérique prises par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Lille, alors « que devant la Chambre de l'instruction, Monsieur [Y] sollicitait l'annulation des ordonnances de captation numérique prises par le juge des libertés et de la détention du Tribunal judiciaire de Lille du fait de l'absence au dossier des « procès-verbaux de mise en place des dispositifs techniques » de captation (mémoire additif, p. 7 et p. 12) ; qu'en examinant la régularité de ces ordonnances au seul regard de l'absence d'attestation de sincérité (arrêt, p. 47), sans répondre au moyen tiré de l'absence au dossier des procès-verbaux de mise en place des dispositifs de captation, la Chambre de l'instruction a violé les articles 706-102-1, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

33. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à annulation d'une pièce de la procédure et a en particulier rejeté la demande d'annulation des pièces faisant état de la procédure souche pour absence de versement de l'intégralité de cette procédure, alors :

« 1°/ d'une part que la personne mise en examen est recevable et fondée à solliciter l'annulation des actes et pièces issus de la procédure souche lorsqu'un refus définitif a été opposé à sa demande de versement au dossier des éléments essentiels au contrôle de la régularité de cette procédure souche, et en particulier des actes de pose des dispositifs spécialement autorisés dans le cadre de cette procédure ; qu'il appartient à la Chambre de l'instruction, saisie d'une telle demande, soit d'ordonner elle-même un supplément d'information aux fins de faire verser en procédure les éléments manquants, soit de constater l'impossibilité de procéder effectivement au contrôle de la régularité des actes de la procédure souche et de prononcer l'annulation de tous les éléments issus de cette procédure ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [Y] faisait valoir que sa demande de versement au dossier de l'entière procédure souche dite « [1] » avait fait l'objet d'un rejet définitif par deux ordonnances du juge d'instruction et du président de la Chambre de l'instruction en date des 9 mai 2023 et 19 juin 2023 et qu'en particulier n'avaient pas été versés au dossier les procès-verbaux de pose des dispositifs de captation de données autorisés dans le cadre de la procédure souche, de sorte que des éléments essentiels au contrôle de la régularité de la procédure étaient toujours inaccessibles pour la défense (mémoire additif, p. 7) ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen d'annulation tiré de cette absence de versement, que « le versement au dossier d'instruction [des différentes ordonnances ayant autorisé, dans le cadre de la procédure souche, la mise en oeuvre d'un dispositif de captation de données] permet à la chambre de l'instruction de s'assurer de la régularité et de la loyauté des transcriptions ainsi que de l'absence d'atteinte aux droits fondamentaux d'[K] [Y] », quand la présence au dossier des ordonnances d'autorisation ne permettait pas de contrôler la régularité de la mise en oeuvre des mesures de captation et en particulier de la pose du dispositif litigieux, la Chambre de l'instruction a violé les articles 6, §3, b), de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 706-102-1, 706-95-14, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

2°/ d'autre part que la personne mise en examen est recevable et fondée à solliciter l'annulation des actes et pièces issus de la procédure souche lorsqu'un refus définitif a été opposé à sa demande de versement au dossier des éléments essentiels au contrôle de la régularité de cette procédure souche, et en particulier des actes de pose des dispositifs spécialement autorisés dans le cadre de cette procédure ; qu'il appartient à la Chambre de l'instruction, saisie d'une telle demande, soit d'ordonner elle-même un supplément d'information aux fins de faire verser en procédure les éléments manquants, soit de constater l'impossibilité de procéder effectivement au contrôle de la régularité des actes de la procédure souche et de prononcer l'annulation de tous les éléments issus de cette procédure ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [Y] faisait valoir que sa demande de versement au dossier de l'entière procédure souche dite « [1] » avait fait l'objet d'un rejet définitif par deux ordonnances du juge d'instruction et du président de la Chambre de l'instruction en date des 9 mai 2023 et 19 juin 2023 et qu'en particulier n'avaient pas été versés au dossier les procès-verbaux de pose des dispositifs de captation de données autorisés dans le cadre de la procédure souche, de sorte que des éléments essentiels au contrôle de la régularité de la procédure étaient toujours inaccessibles pour la défense (mémoire additif, p. 7) ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen d'annulation tiré de cette absence de versement, que « la demande de nullité de Me [I] pour le compte d'[K] [Y] a pour objet de contourner le rejet opposé par le juge d'instruction et confirmé par le président de la chambre de l'instruction soit une décision judiciaire devenue définitive », quand la présentation et le rejet de la demande de versement constituaient une condition pour solliciter l'annulation de la procédure du fait de l'absence au dossier des procès-verbaux de pose, la Chambre de l'instruction a violé les articles 6, §3, b), de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 706-102-1, 706-95-14, 591 et 593 du Code de procédure pénale ;

3°/ enfin que la personne mise en examen est recevable et fondée à solliciter l'annulation des actes et pièces issus de la procédure souche lorsqu'un refus définitif a été opposé à sa demande de versement au dossier des éléments essentiels au contrôle de la régularité de cette procédure souche, et en particulier des actes de pose des dispositifs spécialement autorisés dans le cadre de cette procédure ; qu'il appartient à la Chambre de l'instruction, saisie d'une telle demande, soit d'ordonner elle-même un supplément d'information aux fins de faire verser en procédure les éléments manquants, soit de constater l'impossibilité de procéder effectivement au contrôle de la régularité des actes de la procédure souche et de prononcer l'annulation de tous les éléments issus de cette procédure ; qu'au cas d'espèce, Monsieur [Y] faisait valoir que sa demande de versement au dossier de l'entière procédure souche dite « [1] » avait fait l'objet d'un rejet définitif par deux ordonnances du juge d'instruction et du président de la Chambre de l'instruction en date des 9 mai 2023 et 19 juin 2023 et qu'en particulier n'avaient pas été versés au dossier les procès-verbaux de pose des dispositifs de captation de données autorisés dans le cadre de la procédure souche, de sorte que des éléments essentiels au contrôle de la régularité de la procédure étaient toujours inaccessibles pour la défense (mémoire additif, p. 7) ; qu'en retenant, pour rejeter le moyen d'annulation tiré de cette absence de versement, qu'il appartient à [K] [Y] de solliciter le juge d'instruction pour que la pièce INV-173 qui aurait dû effectivement être versée à la procédure pour mettre fin à ce qui ressemble à une simple omission », quand il ne pouvait être imposé à Monsieur [Y], qui avait déjà formé une demande de versement qui avait été rejetée, de faire une nouvelle demande pour pouvoir solliciter l'annulation de la procédure à raison de l'absence au dossier des actes de pose des dispositifs de captation de données, la Chambre de l'instruction a violé les articles 6, §3, b), de la Convention européenne des droits de l'Homme, préliminaire, 706-102-1, 706-95-14, 591 et 593 du Code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

34. Les moyens sont réunis.

Sur le premier moyen et le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches

Vu les articles 171, 706-95-14 et 706-102-1 du code de procédure pénale :

35. Il résulte de ces textes que le procès-verbal établi lors de la mise en place du dispositif ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation de données informatiques, doit figurer au dossier de la procédure. Son absence, malgré une demande de versement de pièces accueillie en ce sens et suivie d'une exécution demeurée partielle, ne permettant toujours pas de s'assurer de la régularité de la mesure critiquée, il entre dans l'office de la chambre de l'instruction, saisie d'une demande d'annulation d'une telle mesure, de faire verser à la procédure le procès-verbal manquant.

36. Pour rejeter le moyen de nullité des ordonnances autorisant la captation de données informatiques ainsi que le moyen de nullité des pièces de la procédure faisant état d'actes et de pièces issus d'une autre procédure, l'arrêt attaqué énonce que le versement, au dossier de la procédure, des ordonnances critiquées ainsi que de soit-transmis de comptes rendus de mesure adressés au juge des libertés et de la détention pour son information et son contrôle permet de s'assurer de la régularité et de la loyauté des transcriptions et de l'absence d'atteinte aux droits fondamentaux du requérant.

37. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

38. En effet, ne constatant pas que, postérieurement à la décision du 9 mai 2023 du juge d'instruction de versement à la procédure des « éléments permettant de contrôler la régularité de la captation ayant permis l'obtention des données [1] jointes au soit-transmis du procureur de la République de Lille du 13 novembre 2020 », les procès-verbaux de pose des dispositifs techniques avaient rejoint le dossier, ce dont elle devait déduire qu'il manquait au dossier des pièces nécessaires au contrôle de la régularité des actes critiqués, la chambre de l'instruction devait d'office, avant de se prononcer sur la régularité de ces mesures, ordonner, par un supplément d'information, la production au dossier de ces procès-verbaux.

39. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Vu les articles 201 et 205 du code de procédure pénale :

40. Selon ces textes, la chambre de l'instruction peut, par un supplément d'information, à la demande du procureur général, d'une des parties ou même d'office, ordonner tout acte d'information complémentaire qu'elle juge utile.

41. Pour refuser d'annuler les pièces de la procédure faisant état d'actes et de pièces issus d'une autre procédure, l'arrêt attaqué, après avoir constaté que la pièce INV-173 aurait dû être versée au dossier de la procédure en exécution de la décision du juge d'instruction du 9 mai 2023, énonce qu'il appartient au requérant de solliciter le juge d'instruction en ce sens afin de mettre fin à ce qui ressemble à une simple omission.

42. En statuant ainsi, la chambre de l'instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

43. En effet, constatant que la décision du 9 mai 2023 du juge d'instruction n'avait pas reçu exécution concernant la pièce INV-173, il lui appartenait, pour répondre à la requête en nullité dont elle était saisie, d'ordonner un supplément d'information aux fins d'obtenir la production au dossier de cette pièce.

44. La cassation est par conséquent encore encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, en date du 28 mars 2024, mais en ses seules dispositions ayant rejeté les moyens de nullité, pris de l'absence au dossier des procès-verbaux de mise en place des dispositifs techniques de captation de données informatiques et de la pièce INV-173, des ordonnances de captation de données informatiques et des pièces de la procédure faisant état d'actes et de pièces issus d'une autre procédure, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Metz, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du sept janvier deux mille vingt-cinq.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : C2500009
Date de la décision : 07/01/2025
Sens de l'arrêt : Cassation partielle

Références :

Décision attaquée : Chambre de l'instruction de la cour d'appel de Nancy, 28 mars 2024


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 07 jan. 2025, pourvoi n°C2500009


Composition du Tribunal
Président : M. Bonnal (président)
Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Sevaux et Mathonnet

Origine de la décision
Date de l'import : 21/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2025:C2500009
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