LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
JL10
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 décembre 2024
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1310 F-D
Pourvoi n° Z 23-19.664
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 DÉCEMBRE 2024
M. [Z] [L], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Z 23-19.664 contre l'arrêt rendu le 23 juin 2023 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale, section A), dans le litige l'opposant à l'Association coopérative des patrons boulangers et pâtissiers de [Localité 3], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lacquemant, conseiller, les observations écrites de la SCP Françoise Fabiani-François Pinatel, avocat de M. [L], de la SCP Boucard-Maman, avocat de l'Association coopérative des patrons boulangers et pâtissiers de [Localité 3], après débats en l'audience publique du 19 novembre 2024 où étaient présentes Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lacquemant, conseiller rapporteur, Mme Nirdé-Dorail, conseiller, et Mme Aubac, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 23 juin 2023), M. [L] a été engagé en qualité de manutentionnaire le 1er avril 2003 par la société Association coopérative des patrons boulangers et pâtissiers de [Localité 3]. Il exerçait en dernier lieu les fonctions de technico-commercial et percevait une rémunération comportant une part variable.
2. A la suite d'une réorganisation de ses secteurs d'activité à l'automne 2018 puis en mars 2019, le salarié, estimant subir une baisse de rémunération, a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 31 août 2020.
3. Il a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail doit produire les effets d'une démission, de le débouter de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail et de le condamner à payer à l'employeur une somme à titre d'indemnité compensatrice de préavis, alors « que l'ancienneté des manquements imputables à l'employeur ne suffit pas à rendre la prise d'acte de la rupture du contrat de travail injustifiée ni à démontrer que ces manquements ne faisaient pas obstacle à la poursuite du contrat de travail ; qu'en l'espèce, pour dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de l'exposant devait produire les effets d'une démission, après avoir énoncé, en substance, que la réorganisation des secteurs de prospection caractérisait une modification du contrat de travail dès lors qu'elle impactait la rémunération du salarié, que cette modification avait été imposée à ce dernier sans son accord, et que les manquements ainsi reprochés à l'employeur sont sérieux, la cour d'appel a relevé que ces manquements sont pour la plupart anciens et, par conséquent, n'ont pas empêché la poursuite du contrat de travail ; qu'en se déterminant ainsi, en se référant exclusivement à l'ancienneté des manquements pour en déduire qu'ils n'étaient pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail, quand il lui appartenait de rechercher, indépendamment de l'ancienneté des manquements, si ceux-ci n'étaient pas suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 1231-1 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1231-1 du code du travail et 1184 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
5. Il résulte de ces textes que lorsque le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail.
6. Pour dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission, l'arrêt constate que la baisse de la rémunération subie par le salarié en 2019, après la réorganisation des secteurs d'activité ayant conduit au retrait de vingt-quatre clients le 24 septembre 2018 et d'un autre client au mois de mars 2019, n'est pas contestable, que le salarié a sollicité en 2018 et 2019, des explications sur les conséquences de cette réorganisation sur sa rémunération et manifesté son désaccord puis qu'il a été en congé parental du 17 janvier au 31 août 2020. L'arrêt, faisant droit à la demande du salarié, condamne l'employeur à lui verser des sommes à titre de rappel de salaire pour la période d'octobre 2018 à janvier 2020.
7. L'arrêt relève enfin que le contrat de travail s'est poursuivi à la suite des faits survenus en septembre 2018 et mars 2019 et en déduit que les manquements de l'employeur, s'ils sont sérieux, sont anciens et n'ont par conséquent pas empêché la poursuite du contrat de travail.
8. En se déterminant ainsi, en se référant uniquement à l'ancienneté des manquements et sans rechercher si ceux-ci n'étaient pas suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il juge que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission, déboute M. [L] de ses demandes de dommages-intérêts, d'indemnité de préavis et congés payés afférents et d'indemnité de licenciement et le condamne à payer à la société Association coopérative des patrons boulangers et pâtissiers de [Localité 3] la somme de 7 630,71 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Association coopérative des patrons boulangers et pâtissiers de [Localité 3] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Association coopérative des patrons boulangers et pâtissiers de [Localité 3] et la condamne à payer à M. [L] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.