LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
MB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 décembre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 792 F-D
Pourvoi n° J 22-10.331
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 18 DÉCEMBRE 2024
1°/ M. [I] [U], domicilié [Adresse 4],
2°/ M. [D] [B], domicilié [Adresse 5],
3°/ la société Knight & [U] management (KPM), société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],
4°/ la société GS BD, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 6],
ont formé le pourvoi n° J 22-10.331 contre l'arrêt rendu le 28 septembre 2021 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Inforama Limited, dont le siège est [Adresse 7] (Royaume-Uni),
2°/ à Mme [G] [R], domiciliée [Adresse 3],
3°/ à la société Inforama Limited, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Professional Service Consulting,
4°/ à la société IT & M, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
défenderesses à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lefeuvre, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de MM. [U] et [B], des sociétés Knight & [U] management (KPM) et GS BD, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat des sociétés Inforama Limited et Inforama Limited, venant aux droits de la société Professional Consulting, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société IT & M, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Lefeuvre, conseiller référendaire rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Sezer, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 28 septembre 2021), le 29 avril 2013, MM. [U] et [B] et la société IT&M, actionnaires de la société Professionnal Service Consulting (la société PSC), ont conclu un pacte d'actionnaires stipulant notamment une promesse de MM. [U] et [B] de céder leurs actions à la société IT&M en cas de rupture de leur lien d'affaires.
2. Concomitamment à la cession, les sociétés PSC et IT&M ont conclu deux contrats de prestations de services avec MM. [U] et [B], comportant une possibilité de substitution au profit des sociétés Knight & [U] Management (la société KPM) et GS BD, dirigées respectivement par chacun d'eux.
3. Le 25 novembre 2013, à la suite de la résiliation de ces contrats, la société IT&M a levé l'option d'achat des actions de la société PSC détenues par MM. [U] et [B], mais ces derniers ont refusé de signer les ordres de mouvements de titres.
4. Le 3 février 2014, MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD ont assigné la société PSC en responsabilité devant un tribunal de commerce.
5. Le 11 septembre 2014, il a été procédé à la transcription, dans les registres de la société PSC, de la cession des actions PSC à la société IT&M.
6. Le 29 décembre 2014, la société IT&M a cédé l'intégralité des actions de la société PSC à la société de droit anglais Inforama Limited (la société Inforama), la société PSC étant absorbée par cette société par une transmission universelle de patrimoine et, à la suite de sa dissolution, radiée du registre du commerce et des sociétés.
7. Par des lettres recommandées avec demande d'avis de réception du 7 avril 2015 puis par un acte d'huissier de justice du 9 avril 2015, MM. [U] et [B] ont formé, devant le même tribunal, opposition à la dissolution de la société PSC.
8. Les deux instances ont été jointes.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen et le quatrième moyen, pris en sa première branche
9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
10. MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur opposition à la transmission universelle du patrimoine de la société PSC à la société Inforama et à la dissolution de la société PSC, alors :
« 1°/ qu'aucune forme n'est prévue pour former opposition à la transmission universelle de patrimoine d'une société en une seule main en cas de dissolution ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable l'opposition à la transmission universelle de patrimoine de la société PSC à la société Inforama formée par MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD, la cour d'appel a jugé que l'assignation délivrée le 9 avril 2015 était tardive comme postérieure à l'expiration du délai d'opposition des créanciers ayant débuté le 10 mars 2015 et expirant le 8 avril 2015 à 24 heures ; qu'en statuant ainsi alors que MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD avaient adressé au tribunal de commerce de Nanterre des lettres recommandées avec accusé de réception, aux fins d'opposition, le 7 avril 2015, la cour d'appel a violé les articles 1844-5, alinéa 3, du code civil et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que la saisine, même irrégulière, d'une juridiction interrompt le délai d'action ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable l'opposition de MM. [U] et [B] et des sociétés KPM et GS BD à la transmission universelle de patrimoine, la cour d'appel a estimé que la lettre recommandée avec avis de réception aux fins d'opposition n'avait pas interrompu le délai pour agir, si bien que l'assignation du 9 avril 2015, postérieure au délai d'opposition de trente jours, était tardive ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles 1844-5, 2241 du code civil et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que la fraude corrompt tout ; qu'en l'espèce, MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD ont fait valoir que le délai d'opposition de trente jours n'avait pas pu valablement courir dès lors que tous les actes de transmission universelle de patrimoine avaient été passés hors délai, en méconnaissance des droits des créanciers ; qu'en déclarant irrecevable leur opposition à la transmission universelle de patrimoine de la société PSC à la société Inforama sans répondre à ce moyen pertinent, tout en ayant relevé que les différentes formalités d'enregistrement et de publicité des actes de dissolution dont elle constatait qu'elles avaient effectivement été réalisées avec retard étaient prévues aux fins d'information voire de protection des tiers, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
11. Selon l'article 1844-5, alinéa 3, du code civil, la dissolution consécutive à la réunion de toutes les parts sociales en une seule main entraîne la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique, sans qu'il y ait lieu à liquidation. Les créanciers peuvent faire opposition à la dissolution dans le délai de trente jours à compter de la publication de celle-ci. Une décision de justice rejette l'opposition ou ordonne soit le remboursement des créances, soit la constitution de garanties si la société en offre et si elles sont jugées suffisantes.
12. Aux termes de l'article 2241, alinéa 1er, du même code, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion.
13. Selon l'article 854 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, la demande en justice, devant le tribunal de commerce, est formée par assignation, par la remise au greffe d'une requête conjointe ou par la présentation volontaire des parties devant le tribunal.
14. En premier lieu, il résulte de la combinaison de ces textes qu'en l'absence de disposition spécifique sur les formes que doit revêtir l'opposition à la dissolution d'une société commerciale, celle-ci ne peut résulter que de la saisine du tribunal de commerce par voie d'assignation, de requête conjointe ou de présentation volontaire des parties.
15. C'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que la lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée le 7 avril 2015 par MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD au greffe du tribunal de commerce de Nanterre aux fins d'opposition, qui ne valait pas citation et ne saisissait donc pas cette juridiction, n'avait pas interrompu le délai pour agir.
16. L'exigence d'une assignation, d'une requête conjointe ou d'une présentation volontaire des parties pour former opposition et le défaut corrélatif d'effet interruptif de prescription de l'envoi au greffe de la juridiction d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, qui ont pour objet de contraindre l'opposant à recourir à un mode de saisine ayant date certaine, répondent à l'objectif légitime de sécurité juridique et de bonne administration de la justice. Ils sont nécessaires pour parvenir à ces objectifs et, n'imposant pas aux parties un formalisme excessif, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de celles-ci au procès équitable garanti par l'article 6, § 1, de la Convention.
17. En second lieu, ayant constaté que la dissolution de la société PSC, à la suite de la réunion de toutes les parts sociales composant son capital en une seule main, avait été publiée dans un journal habilité à recevoir les annonces légales le 9 mars 2015, ce dont elle a exactement déduit que le délai des créanciers pour former opposition avait expiré le 8 avril 2015 à 24 heures, la cour d'appel a retenu que l'assignation délivrée le 9 avril 2015 aux fins de suspension des opérations de dissolution de la société PSC l'avait été tardivement.
18. De ces constatations et appréciations, dont il résulte que MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD étaient en mesure de former opposition dans le délai prévu à l'article 1844-5, alinéa 3, du code civil, la cour d'appel, qui a répondu aux conclusions invoquées à la troisième branche, a exactement déduit, sans violer les dispositions de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que l'opposition à la transmission universelle de patrimoine de la société PSC à la société Inforama formée par MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD était irrecevable.
19. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
20. MM. [U] et [B] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes tendant à annuler les actes unilatéraux établis par la société IT&M ou par la société PSC portant cession/constatation de cession des actions de la société PSC dont ils sont propriétaires, à juger en tant que de besoin qu'ils détiennent chacun 367 500 actions et qu'en conséquence, la société IT&M ne peut revendiquer être propriétaire de 100 % du capital de la société PSC, à juger en conséquence que l'acte de cession par la société IT&M à la société Inforama du 29 décembre 2014 n'a pu porter sur 100 % du capital de la société PSC et qu'il est donc nul, alors « que la cassation d'une décision entraîne l'annulation par voie de conséquence de toute décision qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire ; qu'en l'espèce, la cassation de l'arrêt du 28 septembre 2021 de la cour d'appel de Versailles (n° RG 20/01416) entraînera par voie de conséquence, en application de l'article 625 du code de procédure civile, celle de l'arrêt attaqué dès lors que, pour refuser d'examiner les moyens et demandes formées par MM. [U] et [B], la cour a retenu que dans l'instance RG 20/01416, elle a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de MM. [U] et [B] tendant à l'annulation des cessions au profit de la société IT&M de leurs actions de la société PSC. »
Réponse de la Cour
21. Le rejet du pourvoi n° 22-10.329 rend ce moyen sans portée.
Sur le quatrième moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
22. MM. [U] et [B] et les sociétés KPM et GS BD font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes relatives à la dissolution sans liquidation de la société PSC au profit de la société Inforama et à la remise en état de la société PSC, alors « que la fraude corrompt tout ; qu'en l'espèce, MM. [U] et [B] et les sociétés KPM GS BD ont fait valoir que la dissolution sans liquidation par une transmission universelle du patrimoine de la société PSC à la société Inforama était nulle pour avoir été réalisée par un faux actionnaire unique, la levée d'option d'achat des actions détenues par MM. [U] et [B] au profit de la société IT&M faite unilatéralement le 25 novembre 2013 n'ayant pu intervenir faute d'accord et de respect des dispositions légales et contractuelles pour l'exercer ; qu'en rejetant les demandes relatives à la liquidation sans dissolution de la société PSC au profit de la société Inforama et à la remise antérieure de la société PSC, sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
23. La cour d'appel a répondu au moyen en relevant, par un motif vainement critiqué par le troisième moyen, que, par un arrêt rendu le même jour que l'arrêt attaqué, elle avait déclaré irrecevables comme étant prescrites, les demandes de MM. [U] et [B] tendant à l'annulation des cessions de leurs actions de la société PSC à la société IT&M, ce dont elle a déduit qu'il n'y avait pas lieu d'examiner les moyens et de statuer sur les demandes d'infirmation et de confirmation du jugement en ce qu'il avait dit nulles les cessions à la société IT&M des actions détenues par MM. [U] et [B].
24. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. [U] et [B] et les sociétés Knight & [U] Management et GS BD aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par MM. [U] et [B] et les sociétés Knight & [U] Management et GS BD et les condamne à payer à la société IT&M la somme globale de 3 000 euros et aux sociétés Informa Limited et Informa Limited, venant aux droits de la société Professionnal Service Consulting, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.