LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 18 décembre 2024
Cassation partielle
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 717 F-D
Pourvoi n° C 23-15.688
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 DÉCEMBRE 2024
1°/ M. [K] [F],
2°/ Mme [P] [J],
tous deux domiciliés [Adresse 2],
ont formé le pourvoi n° C 23-15.688 contre l'arrêt rendu le 10 mai 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige les opposant à la société Crédit immobilier de France développement (CIFD), société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Peyregne-Wable, conseiller, les observations de la SCP Duhamel, avocat de M. [F] et de Mme [J], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Crédit immobilier de France développement, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Peyregne-Wable, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 mai 2023), le 31 août 2007, M. [F] et Mme [J] (les emprunteurs) ont souscrit un prêt immobilier auprès de la société Crédit immobilier de France financière Rhône Ain, aux droits de laquelle est venue la société Crédit immobilier de France Rhône Alpes Auvergne, puis la société Crédit immobilier de France développement (la banque).
2. Les emprunteurs ayant cessé de payer les échéances du prêt, les 4 et 6 juillet 2012, la banque les a assignés en paiement après avoir prononcé la déchéance du terme.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
3. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à la banque une certaine somme, avec intérêts au taux conventionnel à compter du 16 juin 2010 et capitalisation de ceux-ci, et de rejeter leur demande de déchéance des intérêts conventionnels, alors « que le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par l'emprunteur constitue une défense au fond sur lequel la prescription est sans incidence dès lors qu'il tend à faire rejeter comme non justifiée la demande en paiement du prêteur ayant consenti un crédit immobilier ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la demande en déchéance du droit aux intérêts du prêteur présentée sur le fondement de l'article L. 312-33 du code de la consommation, par voie d'action ou de défense au fond, se prescrit dans le délai de cinq ans à compter du 19 juin 2023, pour en déduire que les consorts [F] et [J] étaient irrecevables pour être prescrits en leur demande, qu'en statuant ainsi, tandis que le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts était opposé par les emprunteurs à la demande en paiement du prêt immobilier présentée par le CIFD, de sorte qu'il constituait une défense au fond imprescriptible, la cour d'appel a violé les articles 64 et 71 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 64 et 71 du code de procédure civile :
4. Selon le premier de ces textes, constitue une demande reconventionnelle la demande par laquelle le défendeur originaire prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire. Aux termes du second, constitue une défense au fond tout moyen qui tend à faire rejeter comme non justifiée, après examen au fond du droit, la prétention de l'adversaire.
5. Il résulte de ces textes que le moyen tiré de la déchéance du droit aux intérêts opposé par le souscripteur d'un crédit à la consommation constitue une défense au fond. L'invocation d'une telle déchéance s'analyse toutefois en une demande reconventionnelle si elle tend à la restitution d'intérêts trop perçus.
6. Pour déclarer irrecevable comme prescrite la demande tendant à la déchéance de la banque de son droit aux intérêts conventionnels échus après la déchéance du terme, l'arrêt retient que cette demande présentée sur le fondement de l'article L. 312-33 du code de la consommation, par voie d'action ou de défense au fond, se prescrit dans le délai de cinq ans à compter du 19 juin 2023.
7. En statuant ainsi, alors que les demandeurs, en ce qu'ils concluaient au rejet de la demande en paiement des intérêts formée par la banque, invoquaient un moyen de défense au fond non soumis à la prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
8. Les emprunteurs font le même grief à l'arrêt, alors « que les dispositions du code de la consommation s'appliquent à un prêt immobilier dès lors que la banque a expressément entendu l'y soumettre ; qu'en l'espèce, l'offre de prêt immobilier du 2 août 2007 stipulait, aux termes de ses conditions générales et à l'article intitulé « champ d'application », que les présentes conditions générales ont pour objet de fixer les clauses et conditions générales dans lesquelles le prêteur consent les prêts immobiliers entrant dans le champ d'application des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation, pour son compte ou pour le compte d'autres établissements et indiquait expressément se conformer à d'autres dispositions du même code relatives à l'obligation d'envoi de l'offre de prêt à peine de déchéance du droit aux intérêts conventionnels, à l'acceptation de l'offre de prêt, au calcul du taux effectif global ainsi qu'à l'enregistrement au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP) ; que les emprunteurs faisaient ainsi valoir, dans leurs conclusions d'appel, que la banque avait volontairement et expressément soumis son offre de prêt aux dispositions du code de la consommation ; que la cour d'appel a pourtant jugé, par motifs réputés adoptés, que la banque était dans l'ignorance de l'inscription projetée et imminente de M. [F] au Registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur de meublés professionnel et dans l'ignorance des autres crédits souscrits concomitamment finançant à 100 % l'acquisition d'appartements en vue de leur location pour un montant total de 5.262.846 euros pour en déduire que la mention dans les offres de prêt de dispositions du code de la consommation était insuffisante à démontrer une volonté non équivoque de celle-ci de se soumettre au code de la consommation ; qu'en statuant par ces motifs impropres à remettre en cause l'applicabilité des dispositions du code de la consommation à l'offre de prêt souscrite par les emprunteurs, tandis qu'elle constatait que le crédit mentionnait les dispositions du code de la consommation, la cour d'appel a violé les articles L. 312-7 et L. 312-33 dudit code, dans leur rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1134 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et les articles L. 312-2, L. 312-3 et L. 312-33 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :
9. Pour dire que la mention dans l'offre de prêt de dispositions du code de la consommation est insuffisante à démontrer une volonté non équivoque de la banque de se soumettre au code de la consommation, l'arrêt retient que la situation des emprunteurs renvoie à une opération de prêts conclus à des fins professionnelles, les emprunteurs ne s'étant pas limités à la seule acquisition du lot financé par la banque mais entendant louer plusieurs biens dans le cadre d'une même activité professionnelle accessoire, et que la banque n'avait pas connaissance de l'ensemble des acquisitions immobilières similaires réalisées concomitamment auprès d'établissements financiers différents par les emprunteurs.
10. En statuant ainsi, alors que l'offre de prêt de la banque faisait expressément référence à l'application des articles L. 312-1 et suivants du code de la consommation et qu'il n'est pas interdit aux parties de soumettre volontairement l'opération qu'elles concluent aux dispositions du code de la consommation relatives au prêt immobilier, même si cette opération n'entre pas dans leur champ d'application, la cour d'appel a violé les textes précités.
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
11. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de dire que les intérêts échus pour au moins une année entière porteront eux-mêmes intérêts, alors « que la règle édictée par l'article L. 312-23 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-351 du 25 mars 2016, selon laquelle aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 312-21 et L. 312-22 du même code ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation ou de défaillance prévue par ces articles, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par l'article 1154 du code civil, devenu 1343-2 du même code ; qu'en ordonnant pourtant la capitalisation des intérêts selon les modalités prévues par l'article 1154 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 312-23 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, et l'article 1154 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
12. La règle édictée par le premier de ces textes, selon lequel aucune indemnité ni aucun coût autres que ceux qui sont mentionnés aux articles L. 312-21 et L. 312-22 du code de la consommation ne peuvent être mis à la charge de l'emprunteur dans les cas de remboursement par anticipation d'un prêt immobilier ou de défaillance prévus par ces articles, fait obstacle à l'application de la capitalisation des intérêts prévue par le second texte susvisé.
13. L'arrêt ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 16 juin 2010 au titre du prêt immobilier.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
15. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de dommages et intérêts formée contre la banque, alors « que les capacités financières et les risques de l'endettement nés de l'octroi d'un prêt doivent s'apprécier au jour de la conclusion du prêt au regard de la totalité des charges exposées par les emprunteurs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que le patrimoine des emprunteurs était notamment constitué du cabinet médical de Mme [J], propriété de la SCI Trousseau, et évalué à 182 939 euros ; qu'après avoir constaté que ce bien faisait l'objet d'un prêt immobilier de la Société Générale pour des échéances de 1 468 euros par mois, la cour d'appel a jugé que le tableau d'amortissement du prêt immobilier souscrit par la société civile immobilière n'était pas en soi de nature à infirmer l'évaluation des parts de ladite société déclarée par [P] [J] » ; qu'en statuant ainsi, tandis que les capacités financières des emprunteurs étaient nécessairement grevées par l'emprunt souscrit par la SCI Trousseau, de sorte qu'il convenait de prendre en compte les mensualités de ce prêt au titre des charges exposées ou à tout le moins de diminuer de ce passif la valeur totale des parts sociales de la SCI Trousseau, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
16. Il résulte de ce texte que, pour apprécier les capacités financières et le risque d'endettement d'un emprunteur non averti, doivent être pris en considération ses biens et revenus.
17. Pour rejeter la demande de dommages et intérêts des emprunteurs au titre du manquement de la banque à son devoir de mise en garde, l'arrêt retient que le tableau d'amortissement du prêt immobilier souscrit par la société civile immobilière dont Mme [J] est associée n'est pas de nature à infirmer l'évaluation des parts de la société déclarée par celle-ci et que la preuve d'une disproportion de l'engagement des emprunteurs au regard de leurs capacités financières et du risque de l'endettement né de l'octroi du crédit n'est pas rapportée.
18. En se déterminant ainsi, sans rechercher si les capacités financières des emprunteurs n'étaient pas grevées par l'emprunt en cause, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de sursis à statuer de M. [F] et Mme [J], l'arrêt rendu le 10 mai 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société Crédit immobilier de France développement aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Crédit immobilier de France développement et la condamne à payer à M. [F] et Mme [J] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille vingt-quatre.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre