LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 12 décembre 2024
Cassation
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1202 F-B
Pourvoi n° Y 22-11.816
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 12 DÉCEMBRE 2024
M. [B] [M], domicilié [Adresse 1] (Vietnam) a formé le pourvoi n° 22-11.816 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2021 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 3-4), dans le litige l'opposant :
1°/ à la société TQN Solar, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], anciennement dénommée société JMB Solar,
2°/ à M. [R], domicilié [Adresse 3] (Chine),
défendeurs à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Vendryes, conseiller, les observations de la SCP Gouz-Fitoussi, avocat de M. [M], de la SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société TQN Solar, anciennement dénommée JMB Solar, et l'avis de M. Adida-Canac, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Vendryes, conseiller rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Désistement partiel
1. Il est donné acte à M. [M] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [R].
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 novembre 2021), la société JMB Solar (la société) a attrait M. [M] et M. [R], tant en leur qualité personnelle qu'en leur qualité de président et directeur général de la société Upsolar Europe, devant un tribunal de commerce à l'occasion d'un litige relatif à la fourniture de modules photovoltaïques.
3. Par déclaration du 28 avril 2021, M. [M] a interjeté appel du jugement de ce tribunal ayant rejeté son exception d'incompétence et, sur autorisation donnée par ordonnance du 7 mai 2021 d'une présidente de chambre, sur délégation du premier président de la cour d'appel, il a assigné la société et M. [R] pour le jour fixé.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
4. M. [M] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son appel, alors « que les juges ne peuvent porter une atteinte excessive au droit à l'exercice d'un recours ; qu'en considérant que l'appel de M. [M] était irrecevable au seul motif que la copie de l'ordonnance l'autorisant à assigner à jour fixe annexée à l'assignation à jour fixe signifiée aux parties était dépourvue de la signature, sans constater aucune autre différence quant au contenu de cette décision, sa motivation et sa date, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, portant une atteinte disproportionnée au droit des exposants à l'exercice d'un recours, et violant l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. La société TQN Solar conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est nouveau et mélangé de fait et de droit.
6. Cependant, le moyen invoque une atteinte à la substance même du droit d'accès au juge et n'appelle la prise en considération d'aucun élément de fait qui ne résulterait pas des constatations de l'arrêt.
7. Le moyen est, dès lors, recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 85, alinéa 2, et 920, alinéas 1er et 2, du code de procédure civile :
8. Selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. Le droit d'accès à un tribunal n'est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l'accès ouvert à un justiciable d'une manière ou à un point tels que le droit s'en trouve atteint dans sa substance même.
9. Il résulte du deuxième que l'appel dirigé contre la décision d'une juridiction de premier degré, statuant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe, lorsque les parties sont tenues de constituer avocat et que l'ordonnance du premier président n'a alors pour objet que de fixer le jour auquel l'affaire sera appelée par priorité.
10. Aux termes du troisième, l'appelant assigne la partie adverse pour le jour fixé. Copies de la requête, de l'ordonnance du premier président, et un exemplaire de la déclaration d'appel visé par le greffier ou une copie de la déclaration d'appel dans le cas mentionné au troisième alinéa de l'article 919, sont joints à l'assignation.
11. Il en résulte que, saisie d'une fin de non-recevoir soulevée par l'intimé tirée de ce que la copie de l'ordonnance jointe à l'assignation n'est pas signée, la cour d'appel est tenue de vérifier sa concordance par rapport à l'exemplaire de cette ordonnance signée et datée qui doit figurer au dossier de la procédure en vertu de l'article 918 du code de procédure civile. C'est seulement à défaut d'intégrité de la copie de l'ordonnance jointe à l'assignation, que la sanction de l'irrecevabilité est encourue et toute autre interprétation relèverait d'un formalisme excessif.
12. Ainsi, retenant qu'en matière d'appel d'un jugement d'orientation qui doit être formé selon la procédure à jour fixe, il incombe à l'appelant , représenté par un avocat, de joindre à l'assignation à jour fixe une copie intègre de l'ordonnance du premier président, par rapport à l'ordonnance figurant aux pièces de la procédure, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre un arrêt ayant vérifié et constaté que les deux copies de l'ordonnance n'étaient pas les mêmes (2e Civ., 20 mai 2021, n° 19-19.259, publié).
13. Pour déclarer irrecevable l'appel de M. [M] , l'arrêt retient que la copie de l'ordonnance jointe à l'assignation à jour fixe signifiée le 3 juin 2021 est dépourvue de toute signature, ce qui ne permet pas de vérifier la régularité de la procédure par comparaison avec l¿ordonnance signée figurant au dossier de la cour.
14. En statuant ainsi, en prononçant l'irrecevabilité de l'appel au seul vu de la copie de l'ordonnance non signée, alors qu'elle devait vérifier sa concordance par rapport à l'exemplaire figurant au dossier de la procédure, notamment quant à son contenu et à la mention de la date de l'audience, la cour d'appel, faisant preuve d'un formalisme excessif, a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.
Condamne la société TQN Solar aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société TQN Solar et la condamne à payer à M. [M] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du douze décembre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Thomas, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.