LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° A 23-84.088 F-D
N° 01461
LR
4 DÉCEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 DÉCEMBRE 2024
MM. [J] et [B] [X] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, chambre 5-1, en date du 25 mai 2023, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 20 janvier 2021, pourvoi n° 19-86.172), dans la procédure suivie contre eux des chefs, pour le premier, d'escroquerie, pour le second, d'escroquerie, abus de faiblesse, faux et usage et falsification de chèques, a prononcé sur les intérêts civils.
Les pourvois sont joints en raison de la connexité.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [B] [X], la SCP Foussard et Froger, avocat de M. [J] [X], et la SCP Spinosi, avocat de M. [R] [C], Mme [Z] [K] et la société [1], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Mme [Z] [K] a déposé plainte contre MM. [J] et [B] [X], le second étant le fils du premier, cogérants de la [2] (la [2]), qu'elle avait chargée de la construction d'une villa pour le compte de la société civile immobilière [1], dont elle était cogérante avec son fils, M. [R] [C].
3. La plaignante a exposé qu'en raison de difficultés personnelles et de santé importantes, elle avait confié la gestion administrative de la société [1] et celle de ses comptes bancaires personnels à M. [J] [X], homme de confiance de sa famille depuis de nombreuses années, mais qu'elle avait par la suite découvert divers mouvements bancaires suspects et incohérences de facturation intervenus à son insu au préjudice de la société [1], dans le contexte de la construction de la villa.
4. A l'issue d'une enquête préliminaire, MM. [J] et [B] [X] ont été cités devant le tribunal correctionnel des chefs, pour le premier, d'escroquerie, pour le second, d'escroquerie, abus de faiblesse, faux et usage et falsification de chèques.
5. Le tribunal a relaxé M. [B] [X] du chef d'escroquerie, déclaré les deux prévenus coupables du surplus des faits poursuivis et prononcé sur les intérêts civils.
6. Mme [K], M. [C], la société [1], parties civiles, MM. [J] et [B] [X] et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
Examen des moyens
Sur les premier, troisième et cinquième moyens proposés pour M. [J] [X]
7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le deuxième moyen proposé pour M. [B] [X] et le quatrième moyen proposé pour M. [J] [X]
Enoncé des moyens
8. Le deuxième moyen proposé pour M. [B] [X] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [B] [X], personnellement, à verser à la société [1] la somme de 75 821,87 euros en réparation de son préjudice matériel résultant de la contrefaçon ou falsification de chèques et de l'émission de chèques contrefaits ou falsifiés et, solidairement avec M. [J] [X], à verser à la société [1] la somme de 390 844,64 euros en réparation de son préjudice matériel résultant des refacturations et surfacturations, alors « que la preuve est libre en matière pénale et le juge doit examiner tous les éléments de preuve qui lui sont soumis ; qu'il ne peut écarter un rapport d'expertise produit aux débats par une partie, au seul motif qu'il n'a pas été dressé contradictoirement et il lui appartient d'en apprécier la valeur probante ; qu'en refusant d'examiner le rapport d'expertise établi par M. [I] à la demande de MM. [X] au seul motif inopérant que cette expertise avait été réalisée de manière contradictoire, la cour d'appel a violé l'article 427 du code de procédure pénale ».
9. Le quatrième moyen proposé pour M. [J] [X] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a, confirmant le jugement, déclaré M. [J] [X] solidairement responsable avec M. [B] [X] du préjudice subi par les parties civiles, à l'exception du préjudice matériel subi par la société [1] relativement à l'émission de chèques contrefaits ou falsifiés ; puis infirmant le jugement et statuant à nouveau, a déclaré MM. [J] et [B] [X] solidairement responsables des préjudices subis par les parties civiles et de les avoir condamnés solidairement à leur verser des sommes en réparation de leurs préjudices, alors « que, la preuve est libre en matière pénale ; que le juge doit examiner tous les éléments de preuve qui lui sont soumis ; que le juge doit apprécier la valeur probante du rapport d'expertise produit aux débats par une partie sans pouvoir l'écarter du seul fait qu'il n'a pas été dressé contradictoirement ; qu'en refusant d'examiner le rapport d'expertise établi par M. [I] à la demande de MMs [J] et [B] [X] au seul motif inopérant que cette expertise avait été réalisée de manière non contradictoire, la cour d'appel a méconnu l'article 427 du code de procédure pénale ensemble les 591 et 593 du code de procédure pénale, et l'article 1240 nouveau du Code civil. »
Réponse de la Cour
10. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 427 du code de procédure pénale :
11. Il résulte de ce texte que le juge doit prendre en considération, après les avoir soumises à la discussion contradictoire, les preuves qui lui sont apportées au cours des débats.
12. Pour évaluer le montant du préjudice matériel de la société [1], l'arrêt attaqué énonce que les prévenus ne sauraient se prévaloir du rapport d'expertise privée qu'ils produisent pour contester l'évaluation proposée par les parties civiles, ladite expertise ayant été réalisée sans que ces dernières ne soient convoquées.
13. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de soumettre à la discussion contradictoire des parties et d'apprécier l'élément de preuve produit par les prévenus, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.
14. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Et sur les premier et troisième moyens proposés pour M. [B] [X] et le deuxième moyen proposé pour M. [J] [X]
Enoncé des moyens
15. Le premier moyen proposé pour M. [B] [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné ce dernier, personnellement, à verser à la société [1] la somme de 75 821,87 euros en réparation de son préjudice matériel résultant de la contrefaçon ou falsification de chèques et de l'émission de chèques contrefaits ou falsifiés et, solidairement avec M. [J] [X], à verser à la société [1] la somme de 390 844,64 euros en réparation de son préjudice matériel résultant des refacturations et surfacturations, alors « que tout arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; que M. [X] faisait valoir dans les conclusions déposées devant la cour d'appel que les quatre chèques portant les n° 142, 143, 144 et 154 représentant un montant total de 75 821,87 euros avaient été intégrés à tort par M. [V] dans le calcul du préjudice subi par la SCI [1] au titre des surfacturations dans l'expertise produite par cette dernière (conclusions, pp. 9 et 10) ; qu'en se bornant à reprendre le chiffrage proposé par M. [V] sans répondre aux chefs péremptoires des conclusions de M. [X] justifiant du doublon quant aux sommes correspondant à ces quatre chèques, la cour d'appel n'a pas légalement justifié son arrêt au regard de l'article 593 du code de procédure pénale. »
16. Le troisième moyen proposé pour M. [B] [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné l'intéressé, personnellement, à verser à la société [1] la somme de 75 821,87 euros en réparation de son préjudice matériel résultant de la contrefaçon ou falsification de chèques et de l'émission de chèques contrefaits ou falsifiés et, solidairement avec M. [J] [X], à verser à la société [1] la somme de 390 844,64 euros en réparation de son préjudice matériel résultant des refacturations et surfacturations, alors :
« 2°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que M. [B] [X] faisait valoir dans les conclusions déposées devant la cour d'appel que les quatre chèques portant les n° 142, 143, 144 et 154 représentant un montant total de 75 821,87 euros avaient été intégrés à tort par M. [V] dans le calcul du préjudice subi par la SCI [1] dans l'expertise produite par cette dernière (conclusions, pp. 9 et 10) ; qu'en condamnant ce dernier à verser à la SCI [1], d'une part et solidairement avec M. [J] [X], une somme de 390 844,64 euros incluant au titre des « surfacturations » les sommes correspondantes à ces quatre chèques et, d'autre part, une somme de 75 821,87 euros au titre de la contrefaçon ou falsification de chèques et de l'émission de chèques falsifiés sans répondre aux chefs péremptoires des conclusions de M. [B] [X] justifiant du doublon quant aux sommes correspondant à ces quatre chèques et, la cour d'appel n'a pas légalement justifié son arrêt au regard des articles 1240 du code civil et 593 du code de procédure pénale. »
17. Le deuxième moyen proposé pour M. [J] [X] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, déclaré MM. [J] et [B] [X] solidairement responsables des préjudices subis par les parties civiles et de les avoir condamnés solidairement à verser à la société [1] la somme de 390 844,64 euros en réparation de son préjudice matériel issus des refacturations et surfacturations, à verser à Mme [K] la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice moral et à M. [C] la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, alors :
« 3°/ que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier sa décision ; que le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motifs ; que dans ses conclusions, M. [J] [X] soutenait qu'un certain nombre de factures et paiements n'avaient pas été pris en compte par l'expert M. [V] et que la prise en compte de celles-ci établissait l'absence de surfacturation ; qu'à aucun moment la cour d'appel n'a répondu à ce moyen péremptoire du mémoire de M. [J] [X] et qu'en ne répondant pas à ce moyen essentiel pour l'issue des débats, les juges du fond ont entaché leur décision d'un défaut de réponse à conclusions et partant ont méconnu les articles 591 et 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
18. Les moyens sont réunis.
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
19. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
20. Pour condamner solidairement les prévenus à payer à la société [1] la somme de 390 844,64 euros, l'arrêt attaqué énonce que selon le rapport d'expertise amiable produit par les parties civiles, la [2] a émis des factures à hauteur de 895 791,96 euros pour des travaux effectivement réalisés représentant la somme de 526 590 euros, soit une facturation indue de 369 201,96 euros à laquelle il convient d'ajouter 21 642,68 euros réglés directement par la société [1] à un fournisseur.
21. En se déterminant ainsi, sans mieux répondre, d'une part, aux conclusions de M. [B] [X] faisant valoir que la comptabilisation par le rapport d'expertise amiable, au titre des surfacturations, de quatre chèques représentant un total de 75 821,87 euros déjà pris en compte au titre des faits de falsifications de chèques et usage conduisait à une double indemnisation d'un même préjudice, d'autre part, aux conclusions de M. [J] [X] soutenant que l'expert avait omis une partie des factures et paiements concernés, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
22. La cassation est par conséquent à nouveau encourue, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions ayant condamné solidairement MM. [B] et [J] [X] à payer 390 844,64 euros à la société [1] en réparation de son préjudice matériel résultant des refacturations et surfacturations. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 25 mai 2023, mais en ses seules dispositions ayant condamné solidairement MM. [B] et [J] [X] à payer 390 844,64 euros à la société [1] en réparation de son préjudice matériel résultant des refacturations et surfacturations, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.