LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 décembre 2024
Cassation partielle
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 738 F-D
Pourvoi n° U 23-19.820
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 4 DÉCEMBRE 2024
M. [D] [U], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 23-19.820 contre l'arrêt rendu le 12 juin 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Waterpro, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Comte, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de M. [U], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Waterpro, après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Comte, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 12 juin 2023) et les productions, par contrat d'agence commerciale du 19 décembre 2018, la société Waterpro a confié à M. [U] la commercialisation de kits de piscine et d'équipements et accessoires figurant à son catalogue.
2. Par lettre du 30 septembre 2019, M. [U] a mis en demeure la société Waterpro de lui régler des commissions demeurées impayées.
3. Par lettre du 15 octobre 2019, considérant que les fautes et erreurs commises par M. [U] à l'occasion des chantiers [J], [L], [R] et [Localité 2] et l'emploi d'un mode erroné de calcul de ses commissions lors de leur facturation constituaient, par leur caractère répété et leur accumulation, une faute grave, la société Waterpro a résilié pour ce motif le contrat d'agence commerciale. Elle a payé à M. [U] une partie de la somme qu'il réclamait au titre de ses commissions.
4. Reprochant à la société Waterpro de ne pas lui avoir payé l'intégralité de ses commissions et d'avoir rompu abusivement son contrat, M. [U] l'a assignée en paiement du solde des commissions et de l'indemnité compensatrice de rupture.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. M. [U] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnité compensatrice, dirigée contre la société Waterpro, alors « que la faute grave n'est exclusive du droit à indemnité de l'agent que si elle a provoqué la rupture du contrat ; que l'agent commercial qui a commis une faute grave,
antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découverte postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'elle n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité ; qu'en se bornant, pour priver M. [U] de son droit à indemnité, à imputer à ce dernier des éléments antérieurs à la rupture du contrat qu'elle qualifiait de fautes graves, sans constater que ceux-ci avaient provoqué cette rupture, décidée par la société Waterpro selon lettre du 15 octobre 2019, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 134-12, alinéa 1er, et L. 134-13 du code de commerce, transposant les articles 17, paragraphe 3, et 18 de la directive 86/653/CEE du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
7. La société Waterpro conteste la recevabilité du moyen. Elle fait valoir que M. [U] n'a pas soutenu, dans ses conclusions d'appel, que tout ou partie des fautes qui lui étaient reprochées par la société Waterpro lors de l'instance d'appel ne pouvaient le priver de son droit à l'indemnité compensatrice dès lors qu'elles n'avaient pas provoqué la rupture du contrat, et en déduit que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.
8. Cependant, le juge ne peut rejeter la demande en paiement de l'indemnité de rupture sans constater, fût-ce d'office, que la cessation du contrat d'agence à l'initiative du mandant a été provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
9. Le moyen, qui est né de la décision attaquée, est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce :
10. Aux termes du premier de ces textes, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi.
11. Il résulte du second que cette réparation n'est pas due, notamment, lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
12. L'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et qui a été découvert postérieurement à celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut être privé de son droit à indemnité.
13. Pour rejeter la demande en indemnisation du préjudice subi en raison de la cessation du contrat d'agence commerciale à l'initiative de la société Waterpro, l'arrêt retient que M. [U] a calculé ses commissions selon des modalités non conformes au contrat, a commis des fautes ou des erreurs lors des chantiers [J], [R] et Muirhead et a, de façon générale, suscité le mécontentement de ses clients, et en déduit qu'il a commis des fautes graves justifiant qu'il soit privé de son droit à la réparation prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce.
14. En se déterminant ainsi, alors, d'abord, que la société Waterpro n'alléguait pas, dans la lettre de résiliation, que l'un ou l'autre des manquements relevés était à lui seul constitutif d'une faute grave, mais seulement que la répétition de ces fautes était constitutive d'une faute grave, ensuite, qu'il ne résultait pas de ses constatations que les fautes commises à l'occasion des chantiers [L] et Prieure-Laspougeas, visées dans cette lettre, étaient établies, enfin, qu'elle a imputé à M. [U] des fautes dont il n'avait pas été fait état dans la lettre de résiliation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de M. [U] en paiement de sa demande d'indemnité compensatrice prévue à l'article L. 134-12 du code de commerce et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 12 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Waterpro aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Waterpro et la condamne à payer à M. [U] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.