LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
MY1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 4 décembre 2024
Cassation partielle sans renvoi
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 694 F-D
Pourvois n°
N 23-13.213
R 23-13.216 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 4 DÉCEMBRE 2024
Mme [U] [W], domiciliée [Adresse 2], a formé les pourvois n° N 23-13.213 et R 23-13.216 contre deux arrêts rendus le 11 janvier 2023 par la cour d'appel de Toulouse (6e chambre, 1re présidence), dans les litiges l'opposant respectivement :
1°/ à M. [P] [S], domicilié [Adresse 3],
2°/ au procureur général près la cour d'appel de Toulouse, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° N 23-13.213 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
La demanderesse au pourvoi n° R 23-13.216 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Jessel, conseiller, les observations de la SARL Gury & Maitre, avocat de Mme [W], et l'avis de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, M. Jessel, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Ben Belkacem, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 23-13.213 et R 23-13.216 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Toulouse, 11 janvier 2023 n° 01/23 et 02/23), M. [S], avocat, s'est retiré de la société civile professionnelle Brocard [W] [S] (la société), afin d'exercer à titre individuel en continuant de partager les mêmes locaux.
3. Pour répartir les frais, une convention d'exercice en commun a été conclue le 30 septembre 2014 entre la société, dont Mme [W] est devenue l'associé unique et la gérante, et M. [S], celui-ci s'engageant à payer une provision mensuelle soumise à une régularisation semestrielle en fonction des charges réellement exposées.
4. Le 31 octobre 2018, la société a été mise en liquidation amiable et de nouvelles conventions relatives à la répartition des frais ont été conclues entre Mme [W] et M. [S] les 30 janvier et 14 mars 2019.
5. Les opérations de liquidation ont été clôturées le 31 octobre 2019 et la société radiée du registre du commerce et des sociétés le 20 décembre suivant.
6. Le 31 décembre 2019, Mme [W] a saisi le bâtonnier d'une demande d'arbitrage en raison d'un différend sur la répartition des charges avant le prononcé de la liquidation amiable.
7. Le bâtonnier n'ayant pas statué dans le mois de sa saisine, Mme [W] a saisi la cour d'appel de Toulouse de ses demandes.
Examen des moyens
Sur le second moyen du pourvoi n° R 23-13.216
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le moyen unique du pourvoi n° N 23-13.213 et sur le premier moyen du pourvoi n° R 23-13.216, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé du moyen
9. Mme [W] fait grief aux arrêts de déclarer irrecevables ses demandes, alors « que la clôture de la liquidation d'une société civile professionnelle ayant fait l'objet d'une dissolution anticipée après la réunion de l'ensemble des parts entre les mains d'un seul associé, personne physique, emporte, de fait, la transmission universelle du patrimoine de la société à l'associé unique ; que l'ancien associé unique peut ainsi se prévaloir d'un droit propre et personnel sur la créance antérieurement née dans le patrimoine social ; qu'au cas présent, pour déclarer irrecevables les demandes de Mme [W], la cour d'appel a estimé que celle-ci n'avait pas qualité à agir à titre personnel ; qu'en retenant qu'il importait peu que Mme [W] ait repris les actifs de la société comme mentionné dans le procès-verbal de liquidation du 31 octobre 2019, cependant qu'il résultait de la clôture de la liquidation de la SCP Brocard-[W] devenue unipersonnelle, que le patrimoine de cette société avait été transmis de fait à Mme [W], associé unique, de sorte que celle-ci pouvait solliciter, à titre personnel, le paiement de créances sociales, la cour d'appel a violé l'article 1844-5 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1844-5, alinéa 4, du code civil et l'article 31 du code de procédure civile :
10. Il résulte du premier de ces textes que l'associé unique, personne physique, d'une société unipersonnelle dissoute et dont la liquidation a été clôturée, peut se prévaloir, à compter de la date de la clôture de la procédure de liquidation, d'un droit propre et personnel sur la créance dont il est devenu titulaire à la suite de la société.
11. Aux termes du second, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
12. Pour déclarer irrecevables les demandes de Mme [W], après avoir constaté qu'elle était l'associée unique de la société avant sa liquidation et que la liquidation avait été clôturée, les arrêts retiennent que les sommes en litige ont vocation à revenir à la société, qui n'est pas représentée à la procédure, et que Mme [W], qui précise intervenir à titre personnel du seul fait que la société n'existe plus, n'a pas qualité à agir, peu important qu'elle ait repris les actifs de la société comme mentionné dans le procès-verbal de liquidation.
13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme [W], pouvait se prévaloir à compter du 31 octobre 2019, date de clôture de la procédure de liquidation, d'un droit propre et personnel sur les créances de la société à l'encontre de M. [S] dont elle était devenue titulaire à la suite de la société, de sorte que ses demandes étaient recevables, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
16. Mme [W] ayant un droit propre et personnel sur les créances dont elle est devenue titulaire à l'encontre de M. [S], il y a lieu de déclarer ses demandes recevables.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt n° 01/23 rendu le 11 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de Mme [W] en régularisation des charges de janvier à octobre 2018 et de l'arriéré de la contribution foncière des entreprises de 2014 à octobre 2018, l'arrêt n° 02/23 rendu le 11 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi de ce chef ;
Déclare les demandes de Mme [W] recevables ;
Renvoie, sur les points restant à juger, l'affaire et les parties devant la cour d'appel de Toulouse, autrement composée ;
Condamne M. [S] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne M. [S] à payer à Mme [W] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre décembre deux mille vingt-quatre.