LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 28 novembre 2024
Rejet et Cassation partielle
sans renvoi
Mme MARTINEL, président
Arrêt n° 1139 F-D
Pourvois n°
C 23-14.837
D 22-23.643 JONCTION
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 28 NOVEMBRE 2024
I. La société Areas dommages, dont le siège est [Adresse 4], a formé le pourvoi n° C 23-14.837 contre deux arrêts rendus les 31 mars 2022 et 6 octobre 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 11), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [W] [I], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à la Caisse autonome de retraite des médecins de France, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
II. M. [W] [I] a formé le pourvoi n° D 22-23.643 contre les mêmes arrêts, dans le litige l'opposant :
1°/ à la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne,
2°/ à la société Areas dommages,
3°/ à la Caisse autonome de retraite des médecins de France,
défenderesses à la cassation.
La demanderesse au pourvoi n° C 23-14.837 invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
Le demandeur au pourvoi n° D 22-23.643 invoque, à l'appui de son recours, quatre moyens de cassation.
Les dossiers ont été communiqués au procureur général.
Sur le rapport de Mme Cassignard, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat de la société Areas dommages, de la SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de M. [I], de la SCP Foussard et Froger, avocat de la Caisse autonome de retraite des médecins de France, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 16 octobre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Cassignard, conseiller rapporteur, Mme Isola, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° C 23-14.837 et D 22-23.643 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 3 mars 2022 et 6 octobre 2022, rectifié le 9 mars 2023), M. [I], médecin, a été victime le 21 mai 2004 d'un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré par la société Areas dommages (l'assureur).
3. Après une mesure d'expertise, M. [I] a assigné l'assureur en réparation de ses préjudices, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Marne.
4. Par un jugement du 13 octobre 2020, un tribunal judiciaire a, notamment, condamné l'assureur à réparer les différents postes de préjudices de la victime.
5. M. [I], appelant de ce jugement, a soulevé l'irrecevabilité de l'appel incident formé par l'assureur.
6. Par un arrêt du 31 mars 2022, rendu sur déféré, cet appel a été déclaré recevable.
Examen des moyens
Sur les trois moyens du pourvoi n° C 23-14.837 formé par l'assureur et les deuxième, troisième et quatrième moyens du pourvoi n° D 22-23.643 formé par M. [I]
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen du pourvoi n° D 22-23.643 formé par M. [I]
Enoncé du moyen
8. M. [I] fait grief à l'arrêt rendu sur déféré le 31 mars 2022 de confirmer l'ordonnance rendue le 9 décembre 2021 par le conseiller de la mise en état en ce qu'elle a déclaré recevable l'appel incident formé par l'assureur et, par voie de conséquence, à l'arrêt du 6 octobre 2022 de limiter la condamnation de la société Areas dommages à lui verser une somme de 1 283 681 euros au titre de sa perte de gains professionnels actuels et de 4 237 452,53 euros au titre de sa perte de gains professionnels futurs, alors « que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; qu'en jugeant recevable l'appel incident formé par la société Areas dans ses conclusions remises au greffe le 28 juin 2021 cependant qu'elle constatait que « le dispositif des conclusions de la société Areas du 28 juin 2021 ne mentionne pas qu'elle demande l'infirmation totale ou partielle ou l'annulation du jugement », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 909, 914 et 542 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 542, 909 et 954 du code de procédure civile :
9. Il résulte du premier et du troisième de ces textes que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié).
10. L'appel incident est soumis à cette règle de procédure, qui s'applique aux appels incidents formés dans les instances introduites par une déclaration d'appel postérieure à l'arrêt du 17 septembre 2020, quelle que soit la date de l'appel incident (2e Civ., 1er juillet 2021, pourvoi n° 20-10.694, publié).
11. Pour juger recevable l'appel incident de l'assureur formé par ses conclusions du 28 juin 2021, l'arrêt rendu sur déféré retient que l'assureur ne pouvait anticiper avec un degré suffisant de prévisibilité que l'interprétation nouvelle des articles 542 et 954 du code de procédure civile combinés donnée par l'arrêt de la Cour de cassation du 17 septembre 2020 serait étendue à l'appel incident prévu à l'article 909 du code de procédure civile, même s'il était représenté par un professionnel du droit, et ce, dans la mesure où le régime juridique et les règles de procédure applicables à l'appel incident sont distincts de celles de l'appel principal et où son appel incident a été formé le 28 juin 2021, soit antérieurement à l'arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2021 qui a, pour la première fois, dans un arrêt publié, étendu à l'appelant incident le formalisme imposé à l'appelant principal.
12. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que les conclusions de l'assureur ne sollicitaient ni l'infirmation ni l'annulation du jugement et que les déclarations d'appel avaient été formées les 30 décembre 2020 et 28 janvier 2021, soit postérieurement à l'arrêt du 17 septembre 2020, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie en effet, que la Cour de cassation statue sur le fond, après l'annulation de l'arrêt du 31 mars 2022.
15. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 9 à 12 que l'appel incident formé par l'assureur à l'encontre de M. [I] est irrecevable.
16. La cour d'appel était saisie par l'appel principal des chefs de préjudice de perte de gains professionnels actuels et futurs de la victime et n'a pas aggravé le sort de cette dernière, de sorte que l'annulation de l'arrêt du 31 mars 2022 n'entraîne pas par voie de conséquence celle des dispositions de l'arrêt du 6 octobre 2022 statuant sur ces pertes de gains.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi formé par la société Areas dommages ;
REJETTE le pourvoi formé par M. [I] en tant qu'il est dirigé contre l'arrêt du 6 octobre 2022 ;
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DÉCLARE IRRECEVABLE l'appel incident formé par la société Areas dommages ;
Condamne la société Areas dommages aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Areas dommages à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, prononcé et signé par le président en l'audience publique du vingt-huit novembre deux mille vingt-quatre et signé par Mme Cathala, greffier de chambre qui a assisté au prononcé de l'arrêt.