LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
CZ
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 27 novembre 2024
Cassation
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1229 F-D
Pourvoi n° S 23-10.480
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [V], épouse [O]
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 17 novembre 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 NOVEMBRE 2024
Mme [Z] [V], épouse [O], domiciliée [Adresse 1], [Localité 2], a formé le pourvoi n° S 23-10.480 contre l'arrêt rendu le 16 juin 2022 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à la République gabonaise, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 4] (Gabon), défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Arsac, conseiller référendaire, les observations de la SARL Corlay, avocat de Mme [V], après débats en l'audience publique du 23 octobre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Arsac, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2022), Mme [V] a été engagée en qualité de secrétaire à l'ambassade du Gabon en France par la République gabonaise selon contrat à durée indéterminée avec effet au 5 septembre 1978.
2. La salariée a été nommée secrétaire au cabinet de l'ambassadeur du Gabon en France par un nouveau contrat de travail conclu entre les mêmes parties le 1er août 1985, prévoyant l'application de la loi gabonaise.
3. Par lettre du 11 mars 2013, la République gabonaise a notifié à la salariée sa mise à la retraite d'office.
4. Estimant qu'elle était en droit de rester en activité jusqu'au 31 décembre 2017 afin de percevoir une rente à taux plein, la salariée a, par acte du 21 septembre 2015, saisi la juridiction prud'homale d'une contestation de cette mesure.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa troisième branche
5. La salariée fait grief à l'arrêt de dire que son contrat de travail est soumis au droit gabonais et en conséquence de dire que son placement à la retraite est conforme au droit gabonais et de la débouter de l'intégralité de ses demandes, alors « que, quand bien même la convention de Rome du 19 juin 1980, entrée en vigueur pour les contrats conclus après le 1er avril 1991, n'est pas applicable, les principes de rattachement qui en découlent bénéficient aux salariés ; que la loi applicable au contrat de travail à défaut de choix est la loi du lieu d'exécution du contrat sauf à ce que soient caractérisés des liens manifestement plus étroits avec une autre loi ; que la loi désignée par le contrat ne peut évincer les dispositions impératives de la loi applicable à défaut de choix ; qu'en l'espèce il est constant que Mme [O], résidente en France depuis 1975, a été engagée par la République gabonaise en France en 1978 pour exécuter en France son contrat, où elle a cotisé pour le bénéfice de la retraite et où elle a demeuré jusqu'à sa mise à la retraite d'office par l'employeur, alors qu'elle n'avait pas atteint l'âge légal et ne pouvait bénéficier d'une retraite à taux plein ; qu'en considérant que la loi gabonaise était applicable aux motifs que Mme [O] était de nationalité gabonaise tout comme son employeur et que les parties avaient à tout le moins souscrit de manière implicite à la loi gabonaise, la cour d'appel qui n'a pas caractérisé des liens manifestement plus étroits avec le droit gabonais, le choix implicite n'étant pas un indice de localisation objectif selon le principe de proximité promu par la convention de Rome, a manqué de base légale au regard de l'article 3 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 3 du code civil et les articles L. 1237-5 et L. 1237-8 du code du travail :
6. Dans le contrat de travail, le choix par les parties de la loi applicable ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable à défaut de choix.
7. A défaut de choix par les parties de la loi applicable, le contrat de travail est régi, sauf s'il présente des liens plus étroits avec un autre pays, par la loi du pays où le salarié en exécution du contrat accomplit habituellement son travail.
8. Selon l'article L. 1237-5 du code du travail, la mise à la retraite s'entend de la possibilité donnée à l'employeur de rompre le contrat de travail d'un salarié ayant atteint l'âge mentionné au 1° de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale sous réserve des septième à neuvième alinéas. Un âge inférieur peut être fixé, dans la limite de celui prévu au premier alinéa de l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale, dès lors que le salarié peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein au sens du code de la sécurité sociale.
9. Pour dire que l'application de la loi gabonaise doit être retenue sans que l'employeur puisse se voir opposer le caractère plus favorable de la loi française, l'arrêt retient que l'échange de consentements intervenu lors de la conclusion du contrat du 1er août 1985, qui prévoit expressément l'application du code du travail gabonais, n'est pas remis en cause et qu'au demeurant le contrat initial, qui faisait une référence implicite au droit gabonais, présentait plus de liens avec le droit gabonais qu'avec le droit français notamment au vu de la nationalité de la salariée comme étant celle de l'Etat employeur et du fait qu'elle travaillait pour l'ambassade de celui-ci.
10. En se déterminant ainsi, alors que la salariée, qui invoquait le bénéfice des dispositions impératives de l'article L. 1237-5 du code du travail, faisait valoir qu'elle résidait et travaillait déjà en France quand elle a été engagée à l'ambassade du Gabon à Paris et que durant toute sa vie active elle avait cotisé aux caisses de retraite françaises et relevait des caisses de retraite françaises pour la perception de sa pension de retraite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la République gabonaise aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la République gabonaise à payer à la SARL Corlay la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre.