LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
CC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 novembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 702 F-D
Pourvoi n° U 23-20.142
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 27 NOVEMBRE 2024
M. [N] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° U 23-20.142 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2023 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [N] [K], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SARL Ortscheidt, avocat de M. [P], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [K], après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Ponsot, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 22 juin 2023), en exécution d'un protocole d'accord du 10 juillet 1997 conclu entre la « société de fait cabinet [B] experts-comptables » et M. [K], M. [E] et M. [P] ont présenté à M. [K] une clientèle d'expertise-comptable et de commissariat aux comptes. Ce protocole stipulait que les recettes appartenaient par tiers à chacun des membres.
2. Courant 2006, M. [E] a fait valoir ses droits à la retraite, et une nouvelle répartition des bénéfices a été convenue entre les membres restant.
3. La société Cabinet [K] a été immatriculée le 7 décembre 2015 et la société Cabinet [P], le 22 décembre 2015.
4. Le 30 juillet 2016, la « société de fait » [P]-[K] a établi une déclaration fiscale pour la période allant du 1er janvier au 31 mai 2016.
5. Le 31 mars 2021, M. [P] a assigné M. [K] en paiement d'une somme au titre de la répartition de la clientèle lors de la cessation d'activité de la « société de fait » [P]-[K]. M. [K] lui a opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de son action.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
7. M. [P] fait grief à l'arrêt de dire son action irrecevable comme prescrite, alors « que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que le point de départ de ce délai ne peut être antérieur à la date de naissance du droit ou la date d'exigibilité de la créance invoquée ; qu'en se bornant à considérer la date à laquelle M. [P] a eu connaissance de la répartition de la clientèle, qu'elle a fixée à la date du début d'activité des nouvelles structures et a minima au 11 février 2016, date des premières facturations de chacune de ces nouvelles structures, sans rechercher la date à laquelle la créance invoquée par M. [P] est devenue exigible, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 2224 du code civil :
8. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
9. Il s'en déduit que le point de départ du délai à l'expiration duquel une action contractuelle ne peut plus être exercée se situe à la date d'exigibilité de l'obligation qui lui a donné naissance.
10. Pour déclarer l'action de M. [P] irrecevable comme prescrite, l'arrêt, après avoir relevé que celui-ci se prévaut d'une créance au titre de la répartition de clientèle effectuée lors de la cessation de l'activité de la « société de fait » [P]-[K], retient que la société Cabinet [K] a été créée le 7 décembre 2015 avec un début d'activité le 4 janvier 2016, que la société Cabinet [P] a été créée le 22 décembre 2015 avec un début d'activité le 18 janvier 2016, que le transfert des salariés de la « société de fait » [P]-[K] a eu lieu le 1er février 2016, que la dernière facturation du cabinet [P]-[K] date du 31 janvier 2016 et que les sociétés Cabinet [K] et Cabinet [P] ont émis leurs premières notes d'honoraires le 11 février 2016. L'arrêt en déduit que M. [P] avait connaissance de la répartition de la clientèle à la cessation de l'activité de la « société de fait » [P]-[K] à compter du début d'activité des sociétés Cabinet [K] et Cabinet [P], et, a minima, à compter du 11 février 2016, date des premières facturations de chacune de ces sociétés qui démontrent une répartition effective des clients, et que l'action en paiement de M. [P], introduite le 31 mars 2021, soit plus de cinq après le 11 février 2016, est prescrite.
11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres tirés de la connaissance qu'avait M. [P] de la répartition de la clientèle lors de la cessation de l'activité de la « société de fait » [P]-[K] et sans rechercher, comme il lui incombait, à quelle date la créance invoquée par M. [P] au titre de cette répartition de clientèle était devenue exigible, faisant ainsi courir le délai de prescription de son action en paiement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne M. [K] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [K] et le condamne à payer à M. [P] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre.