LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° W 23-86.315 F-D
N° 01429
ODVS
26 NOVEMBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 NOVEMBRE 2024
M. [Y] [M] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7 en date du 28 septembre 2023, qui, pour diffamation envers un fonctionnaire public, l'a condamné à 4 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Y] [M] et la société [1], les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de Mme [R] [C], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. M. [Y] [M] est le directeur de la publication du journal de l'Ile de La Réunion (« le JIR ») et de sa version numérique, publiée sur le site www.clicannoo.re.
3. Le 20 janvier 2020, Mme [R] [C], procureure financière près la chambre régionale des comptes de La Réunion, a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef de diffamation publique envers un fonctionnaire public à raison de propos figurant dans l'éditorial de ce journal du 9 novembre 2019, intitulé « Joyeux anniversaire parrains ».
4. Le 16 septembre 2020, le juge d'instruction a rendu une ordonnance de refus d'informer.
5. Mme [C] a fait citer devant le tribunal correctionnel M. [M], en sa qualité de directeur de la publication, et la société [1], en sa qualité de civilement responsable, pour diffamation publique envers un fonctionnaire public, en raison de la publication des propos suivants :
- dans l'éditorial « Joyeux anniversaire parrains », publié le 9 novembre 2019, tant dans l'édition papier du JIR que sur le site www.clicannoo.re :
« Aura-t-il était empêché d'aller plus loin par la procureure financière de l'époque au sein de cette auguste maison qui avait reçu depuis [Localité 2] des instructions pour alléger le dossier sur les crédits, les baux notamment ? Faudra que l'ancien patron de la Chambre Régionale des Comptes mette son poids et le reste dans la balance pour que les bidouilleries de la procureure et de [O] ex-patron de la sécu locale, copain comme cochon du patron parisien de la Cour des Comptes [Localité 2], réussissent leurs coups visant à faire passer l'éponge magique sur l'Aurar?Ce qu'ils ont tout de même réussi en partie. »
- dans un éditorial intitulé « Il suffit d'y croire », publié le 11 avril 2020, dans l'édition papier du JIR et sur le site www.clicannoo.re :
« [R] [C], procureure financière de la Chambre à la Réunion en accord avec son patron, procureur général de la Cour des comptes de [Localité 2], un certain [A] [B] invité régulièrement à venir festoyer sur le caillou par [O] et [D] [E] [F] faisaient leur possible pour nuire à l'enquête.
(?)
Sans la ténacité du Président Colin, du magistrat Bangui enquêteur à la Chambre, sans la pression médiatique nationale, l'enquête de la chambre régionale aurait été bâclée, minée par la procureure financière et [A] [B]. Ils auront réussi tout de même à faire gommer une bidouillerie de crédit-bail. A laminer aussi quelques lignes de la sauterie organisée par [D] [E] et payée par les contribuables - 5 760 euros - jour de la remise de la rouge au revers de son paletot par la ministre de l'époque [U] [Z]?
Fermez le ban et joyeuses Pâques chère [R]. »
- dans un éditorial intitulé « Roul pa nou », publié le 26 juin 2020, dans l'édition papier du JIR et le 27 juin 2020 sur le site www.clicannoo.re :
« Que dire de plus, que je persiste et signe bien évidemment, qu'il y a bien eu tentative d'influence de la part d'[R] [C], alors procureure financière, pour peser sur le contenu du rapport de contrôle du magistrat enquêteur de la CRC qui avait confirmé dans les très grandes largeurs l'ensemble des irrégularités, fraudes et du scandale sanitaire de l'Aurar que je dénonçais depuis plusieurs mois. Que je confirme qu'[R] [C], en qualité de procureure financière attachée à la chambre régionale des comptes, a cherché ouvertement et à de multiples reprises au sein de la CRC à édulcorer le dossier histoire notamment de protéger le directeur de la Sécurité Sociale de l'époque [X] [O], l'ARS, son directeur mais aussi [D] [E] [F], directrice de l'Aurar.
Que je confirme que la procureure financière voulait modifier le salaire de la [D] [E], gommer le fait que la Sécu de [O], compère la gratouille notoire, a surfinancé la dialyse pendant des lustres, oublié l'inaction crasse, le manque de contrôle de l'ARS, dirigée à l'époque par [T] [N].
Je confirme aussi que cette tentative de gommage de santé publique s'est faite avec l'accord et/ou la demande de [A] [B], procureur général près la Cour des comptes à [Localité 2], copain de [O] et à l'époque boss de la procureure. Je confirme enfin qu'il aura fallu l'intervention courageuse du président de la CRC du moment, [P] [V], pour résister aux manoeuvres de lessivage du rapport. ».
6. Par jugement en date du 8 septembre 2022, le tribunal a rejeté l'exception de prescription de l'action publique soulevée par M. [M], l'a déclaré coupable des délits susvisés, l'a condamné à 4 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.
7. M. [M] a relevé appel de cette décision et Mme [C], appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a déclaré coupable de diffamation publique envers un fonctionnaire public, alors :
« 1°/ que seule une allégation ou imputation attentatoire à l'honneur ou à la considération de la victime se présentant sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, est constitutive d'une diffamation ; que les propos poursuivis au titre de l'éditorial du 9 novembre 2019, qui évoquent « depuis [Localité 2] des instructions pour alléger le dossier sur les crédits, les baux notamment», des « bidouilleries de la procureure et de [O] ex-patron de la sécu locale, copain comme cochon du patron parisien de la Cour des Comptes [Localité 2] », « leurs coups visant à faire passer l'éponge magique sur l'Aurar? Ce qu'ils ont tout de même réussi en partie » n'imputent aucun fait suffisamment précis pour être susceptible sans difficulté d'une preuve contraire ; que la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ que les propos poursuivis au titre des éditoriaux publiés les 11 avril et 26 et 27 juin 2020, n'identifient aucun pacte de corruption entre Mme [C] et les personnalités locales en cause ; qu'ils se limitent à critiquer des actes accomplis dans l'exercice des fonctions de procureur financier, à l'occasion de la procédure contradictoire précédant l'adoption d'un rapport définitif ; que le fait, pour un procureur financier d'une chambre régionale, dans l'exercice de ses fonctions, d'agir en accord avec le procureur général de la Cour des comptes, ne relevant pas d'un manquement à la déontologie ; qu'en jugeant que les articles poursuivis imputent à la partie civile d'être intervenue afin d'altérer le rapport définitif de la cour régionale des comptes, en violation de ses obligations déontologiques et légales, afin de protéger des personnalités locales et ce faisant, d'avoir commis des actes de corruption ou manquements graves aux obligations déontologiques, la cour d'appel a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
10. Pour déclarer le prévenu coupable de diffamation, l'arrêt attaqué énonce, notamment, par motifs propres et adoptés, que les articles poursuivis imputent à la partie civile d'être intervenue, de manière illicite et au mépris de ses obligations déontologiques, afin d'altérer le rapport définitif de la chambre régionale des comptes relatif à l'Association pour l'utilisation du rein artificiel à La Réunion (AURAR), dans l'objectif avoué de protéger des personnalités locales, en raison des réseaux d'influence de celles-ci.
11. Les juges précisent que les faits qui caractérisent des actes de corruption, prévus et réprimés à l'article 432-1 du code pénal, sont susceptibles d'un débat sur la preuve de leur vérité et portent par nature atteinte, s'agissant de l'imputation d'une infraction pénale, à l'honneur et à la considération de la partie civile, spécifiquement visée en l'espèce pour avoir abusé de sa fonction.
12. En statuant ainsi, la cour d'appel a fait l'exacte application des textes visés au moyen pour les motifs qui suivent.
13. D'une part, s'agissant des propos publiés le 9 novembre 2019, les juges ont retenu, à juste titre, qu'était diffamatoire l'allégation selon laquelle la procureure financière de la chambre régionale des comptes aurait tenté de dissimuler dans le rapport de cette juridiction, sur instruction du procureur général de la Cour des comptes, des opérations litigieuses portant notamment sur les crédits et sur les baux.
14. En effet, ces propos attentatoires à l'honneur ou à la considération font état de faits suffisamment précis, de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire.
15. D'autre part, s'agissant des propos publiés les 11 avril et 26 et 27 juin 2020, ils ont exactement retenu qu'il ne constituaient pas seulement une critique générale de l'exercice des fonctions de Mme [C], mais qu'ils renfermaient des allégations, reposant sur des faits précis, lui imputant d'avoir participé à des actes pénalement répréhensibles.
16. Dès lors, le moyen doit être écarté.
17. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt-quatre.