LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC.
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 novembre 2024
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1186 F-D
Pourvoi n° Y 23-21.020
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 NOVEMBRE 2024
M. [T] [K], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° Y 23-21.020 contre l'arrêt rendu le 22 juin 2023 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale C), dans le litige l'opposant à la société Electro dépôt France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La société Electro dépôt France a formé le pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Deltort, conseiller, les observations de Me Ridoux, avocat de M. [K], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Electro dépôt France, après débats en l'audience publique du 16 octobre 2024 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Deltort, conseiller rapporteur, Mme Rodrigues, conseiller référendaire ayant voix délibérative, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article L. 431-3 alinéa 2 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 22 juin 2023), M. [K] a été engagé en qualité d'équipier par la société Electro dépôt à compter du 2 novembre 2009. Suivant avenant du 1er décembre 2011, le salarié, promu au poste de directeur-adjoint commerce, a été soumis à une convention de forfait en jours.
2. Le 12 février 2019, il a démissionné.
3. Le 8 mars 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à la contestation de la validité de la convention de forfait en jours et en paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à l'inopposabilité de la convention de forfait en jours et en paiement de diverses sommes à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre congés payés afférents, de repos compensateurs, d'indemnité pour travail dissimulé, et de dommages-intérêts pour licenciement abusif, alors « que toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ; que l'arrêt attaqué relève que ''l'accord du 15 mars 2016 – seul texte discuté par les parties – prévoit (?) un récapitulatif des jours travaillés, un nombre de jours consécutifs maximal fixé à 6 jours, le respect du repos quotidien et hebdomadaire minimum ainsi qu'un entretien individuel annuel sur ce mode d'organisation du travail'' ; qu'il ressort de ces constatations que l'accord du 15 mars 2016 n'institue aucun suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ce dont il résulte que cet accord n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé ; que dès lors, en déboutant néanmoins le salarié de sa demande en inopposabilité de la convention de forfait en jours, la cour d'appel a violé l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.»
Réponse de la Cour
Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :
5. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
6. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
7. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.
8. Pour dire que la convention de forfait en jours est opposable au salarié, l'arrêt retient que l'accord du 15 mars 2016 relatif à l'organisation du temps de travail au sein de l'entreprise, seul texte discuté par les parties, prévoit expressément un récapitulatif des jours travaillés, un nombre de jours consécutifs maximal fixé à six jours, le respect des repos quotidien et hebdomadaire minima ainsi qu'un entretien individuel annuel sur ce mode d'organisation du travail, que ces stipulations sont suffisantes pour garantir le respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journalier et hebdomadaire, et que le salarié ne conteste pas la tenue d'entretiens annuels individuels mais estime que ces entretiens ne s'identifient pas aux entretiens spécifiques exigés par l'article L. 3121-46 du code du travail précité, ce dont l'employeur n'aurait pas justifié. Il ajoute que toutefois, il résulte des comptes-rendus d'entretiens annuels versés aux débats, de même que des propres écritures du salarié, que les entretiens annuels comprenaient une partie intitulée "Equilibre vie privée/vie professionnelle : Le collaborateur fait ses commentaires sur son organisation de travail" et que les items ainsi visés (auxquels le salarié a répondu "RAS" tous les ans) satisfont aux exigences de l'entretien annuel individuel obligatoire prévu par l'article L. 3121-46 précité dans le cadre d'une convention de forfait en jours.
9. En statuant ainsi, alors que l'accord du 15 mars 2016, qui se borne à prévoir un récapitulatif des journées travaillées, un nombre de jours consécutifs de travail maximal fixé à six, le respect des repos quotidien et hebdomadaire maxima et un entretien individuel annuel sur le mode d'organisation du travail, sans instituer un suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, ce dont il se déduisait que la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
10. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit s'analyser en une démission et de le débouter de toute demande indemnitaire au titre de la rupture du contrat de travail, alors « qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions de la décision cassée ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen des chefs de dispositif de l'arrêt déboutant le salarié de sa demande que la convention de forfait en jours lui soit déclarée inopposable et de sa demande en paiement de diverses sommes à titre d'heures supplémentaires, des congés payés y afférents, de repos compensateurs, et d'indemnité pour travail dissimulé, entraînera l'annulation par voie de conséquence, en application de l'article 624 du code de procédure civile, du chef de l'arrêt le déboutant de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat de travail, ces chefs de dispositif étant dans un lien de dépendance nécessaire ainsi que cela ressort des motifs selon lesquels "la cour a précédemment jugé que la convention de forfait en jours était applicable, de sorte que les griefs tirés de ce chef, de la rémunération des heures supplémentaires et de l'obligation d'entretien annuel spécifique, ne sont pas fondés". »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
11. La cassation prononcée entraîne la cassation par voie de conséquence des chefs de dispositif disant que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit s'analyser en une démission et déboutant le salarié de toute demande indemnitaire au titre de la rupture du contrat de travail.
Et sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
12. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de contrepartie des périodes d'astreinte réalisées au cours de l'année 2018, alors « que le salarié demandait non le versement de la contrepartie légale aux périodes d'astreinte mais des dommages et intérêts en réparation de la méconnaissance par l'employeur de son obligation légale de verser une contrepartie ; qu'en condamnant l'employeur à verser la somme de 3 000 euros au titre de la contrepartie financière, au motif ''que dès lors qu'une contrepartie légale est prévue aux périodes d'astreinte, l'employeur est mal fondé à exiger la preuve du préjudice qui en est résulté'', la cour d'appel a modifié l'objet du litige, en violation des dispositions de l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 16 du code de procédure civile :
13. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
14. Pour condamner l'employeur à verser au salarié une somme au titre de la contrepartie des périodes d'astreinte réalisées en 2018, l'arrêt retient que le salarié allègue avoir été soumis à huit semaines d'astreintes téléphoniques de sécurité au cours de l'année 2018, justifiant selon lui l'octroi de dommages-intérêts à hauteur de deux mois de salaire, que l'employeur réplique que le salarié n'allègue aucun préjudice et ne justifie pas avoir effectué le moindre travail au cours de ces astreintes.
15. Il ajoute qu'au cas particulier, le salarié produit le planning des astreintes entre les mois d'avril 2018 et novembre 2018, dont il ressort qu'il a exécuté sept semaines d'astreintes, hors périodes de congés payés ou d'arrêt maladie, que dès lors qu'une contrepartie légale est prévue aux périodes d'astreintes, l'employeur est mal fondé à exiger la preuve du préjudice qui en résulterait et que de même, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il importe peu que le salarié soit ou non intervenu au cours de ces astreintes, de telles interventions s'analysant le cas échéant en un temps de travail effectif, distinct de la période d'astreinte elle-même.
16. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office tiré du droit du salarié à une contrepartie, notamment, sous forme financière en cas de réalisation d'une période d'astreinte, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de M. [K] en paiement de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité, l'arrêt rendu le 22 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;
Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;
Condamne la société Electro dépôt France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Electro dépôt France et la condamne à payer à M. [K] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre.