LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
HM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 novembre 2024
Rejet
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 674 F-D
Pourvoi n° M 23-11.740
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 NOVEMBRE 2024
1°/ La société MMA Iard, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1],
2°/ la société Mma Iard assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 1],
ont formé le pourvoi n° M 23-11.740 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2022 par la cour d'appel de Reims (chambre civile, 1re section), dans le litige les opposant :
1°/ à M. [J] [C], domicilié [Adresse 5],
2°/ à la société [V] [F], société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], en la personne de M. [V] [F], prise en qualité de liquidateur de la société FC associés,
3°/ à la société Histoire & patrimoine partenariats, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],
4°/ à la société La Financière Magellan, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Calloch, conseiller, les observations de la SARL Le Prado - Gilbert, avocat des sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Calloch, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Désistement partiel
1. Il est donné acte aux sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Histoire & patrimoine partenariats et la société La Financière Magellan.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 6 décembre 2022), M. [C], footballeur professionnel, âgé de 22 ans en 2006, a acquis, entre décembre 2006 et décembre 2009, sur les conseils de la société FC associés (la société), conseiller en gestion de patrimoine et courtier en assurance, cinq biens immobiliers à usage locatif pour remplir le double objectif de diminuer sa fiscalité et se constituer un patrimoine, ces opérations étant financées par des prêts remboursables in fine adossés à des contrats d'assurance-vie.
3. Ayant mis fin à sa carrière début 2017 et soutenant que les biens étaient alors évalués à une somme très inférieure à celle qu'il restait devoir au titre des emprunts, M. [C] a assigné la société FC associés et ses assureurs, les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles (les assureurs), en réparation du préjudice résultant d'un manquement à ses obligations d'information et de conseil.
Examen des moyens
Sur le premier moyen,
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen,
Enoncé du moyen
5. Les assureurs font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à M. [C] la somme de 394 355,07 euros augmentée des intérêts légaux à compter du présent jugement alors :
« 1°) que la perte de chance éventuelle ou hypothétique ne donne pas lieu à réparation, le caractère certain du préjudice allégué par le client d'un conseil en gestion de patrimoine ne se déduisant pas du manquement de ce dernier à son obligation d'information et de conseil ou de mise en garde ; que la cour d'appel a estimé devoir réparer la perte de chance qu'aurait subie par M. [C] du fait du manquement de la société FC Associés à son obligation d'information et de conseil, à hauteur de 397 355,07 euros, soit la différence entre son "passif" , composé des sommes remboursées au titre des prêts immobiliers souscrits et celles à rembourser (2 489 081,05 euros) et son "actif", composée de la valeur "estimée" des immeubles acquis et des "valeurs de rachat des contrats d'assurance-vie nantis"(1 694 370,90 euros), soit la somme de 794 710,15 euros, à laquelle a été appliquée un coefficient de perte de chance de 50 % ; qu'en statuant ainsi, après avoir pourtant retenu que M. [C] "ne justifie pas de pertes financières effectives et actuelles puisqu'il est à ce jour toujours propriétaire des différents biens immobiliers qu'il a acquis dans le cadre des investissements litigieux, constituant un élément de son patrimoine", la cour d'appel, qui a réparé un préjudice hypothétique, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
2°) que la réparation du préjudice subi doit s'opérer sans profit pour la victime ; que la cour d'appel a estimé devoir réparer la perte de chance qu'aurait subie M. [C] du fait du manquement de la société FC associés à son obligation d'information et de conseil, à hauteur de 397 355,07 euros, soit la différence entre son "passif ", composé des sommes remboursées au titre des prêts immobiliers souscrits et celles à rembourser (2 489 081,05 euros) et son "actif", composée de la valeur "estimée" des immeubles acquis et des "valeurs de rachat des contrats d'assurance-vie nantis" (1 694 370,90 euros), soit la somme de 794 710,15 euros, à laquelle a été appliquée un coefficient de perte de chance de 50 % ; qu'en statuant ainsi, quand les sommes versées en remboursement des prêts immobiliers souscrits par M. [C] lui ayant permis de constituer son patrimoine immobilier ne pouvaient constituer l'assiette de son préjudice de perte de chance, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit ;
3°) que le juge ne saurait méconnaître les termes du litige ; que, dans ses écritures d'appel, pour réclamer une somme de 1 400 000 euros de dommages et intérêts, M. [C] a exposé qu'"en 2017, le montant des prêts à rembourser s'élevait à 1 561 756 euros versus 959 746,20 euros pour la valeur de rachat des contrats nantis", "soit un delta de 602 009,80 euros", que "la valeur des appartements pouvant être réalisés sera estimée en 2017 dans une fourchette comprise entre 403 060 euros et 433 060 euros", qu'"il se trouve devoir aux établissements de crédit la somme d'a minima 1 589 081,05 euros" et que "les montants dues aux établissements de crédit ne pourront être acquittés via les seuls prix de vente des biens dont la valeur est au mieux de 669 060 euros de sorte qu'il est certain qu'(il) va perdre la totalité ou la quasi-totalité des fonds investis sur les contrats d'assurance vie nantis dont les valeurs de rachat s'élèvent actuellement à un total de 1 025 310,90 euros", pour en conclure que, "considérant uniquement le montant de l'effort d'épargne fourni en vain par (lui) (effort d'épargne) qui s'élève au 31 décembre 2016 à la somme de 896 582 euros et la perte certaine de la totalité ou quasi-totalité de son contrat d'assurance-vie, (son) préjudice financier peut être équitablement réparé par la condamnation in solidum des sociétés MMA et MMA IARD assurances mutuelles à lui payer la somme de 1 400 000 euros à titre de dommages et intérêts" ; qu'il résultait de ces chefs de conclusions que M. [C] fixait le montant de ses pertes à la somme de 1 025 310,90 euros (valeur de rachat de ses contrats d'assurance-vie), à laquelle devait s'ajouter celle de 896 582 euros (son "effort d'épargne "), soit la somme totale de 1 921 892,90 euros ; qu'en fixant néanmoins son "passif " à la somme de 2 489 081,05 euros, démentie par les propres données chiffrées de M. [C], la cour d'appel a méconnu les termes du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
4°) que le juge ne saurait statuer par la voie de motifs généraux ; que, pour évaluer sa perte de chance subie à hauteur de 397 355,07 euros, la cour d'appel a énoncé que, "devant la cour, M. [C] établit qu'il reste devoir aux deux établissements bancaires (Crédit foncier de France : 682 211,05 euros outre les intérêts au 12 mai 2021, et Crédit immobilier de France : 906 870 euros outre les pénalités) la somme de 1 589 081,05 euros, qu'il a déjà remboursé la somme de 900 000 euros, ce qui représente un passif de 2 489 081,05 euros", puis que "les biens immobiliers financés qu'il ne peut pas revendre sauf à perdre l'avantage fiscal sont estimés à la somme globale de 669 060 euros (sachant que des procédures de saisie sont en cours pour certains d'entre eux) et que les valeurs de rachat des contrats d'assurance-vie nantis s'élèvent à la somme de 1 025 310,90 euros au 31 décembre 2021, ce qui représente un actif de 1 694 370,90 euros" ; qu'en statuant ainsi, sans préciser sur quels éléments de preuve elle se fondait, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. En premier lieu, après avoir retenu que la société FC associés avait manqué à son devoir d'information sur les caractéristiques des investissements ainsi que de conseil sur la pertinence du choix des investissements et leur adéquation à la situation personnelle de M. [C] et aux objectifs poursuivis par celui-ci, l'arrêt relève qu'au terme de sa carrière professionnelle, celui-ci n'est plus en mesure d'abonder les contrats d'assurance-vie compte tenu de la diminution considérable et prévisible de ses revenus, et retient que ces manquements lui ont fait perdre une chance de ne pas contracter et d'effectuer d'autres investissements ne le soumettant pas aux obligations de conserver les biens et de les louer durant une certaine période afin de conserver l'avantage fiscal obtenu, et lui permettant d'en être pleinement propriétaire dès la fin de sa carrière de joueur professionnel.
7. Elle a ainsi fait ressortir le caractère certain du préjudice résultant de ces manquements.
8. En second lieu, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et sans statuer par voie de motifs généraux, ni méconnaître les termes du litige ni encourir le grief non fondé de la 2ème branche, qu'elle en a évalué le montant en prenant en considération à la fois le capital constitué, les gains fiscaux réalisés et les sommes restant dues au titre des prêts.
9. Le moyen n'est donc fondé en aucune de ses branches.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles aux dépens.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés MMA Iard et MMA Iard assurances mutuelles.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Labat, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.