LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
SH
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 novembre 2024
Cassation
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 673 F-D
Pourvoi n° V 23-20.488
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 20 NOVEMBRE 2024
1°/ La société Hermès Sellier, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ la société Allianz Global Corporate & Specialty SE, société de droit étranger, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Allianz Global Corporate & Specialty France,
ont formé le pourvoi n° V 23-20.488 contre l'arrêt rendu le 29 juin 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 chambre 10), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Bolloré logistics, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4], venant aux droits de la société Saga France, elle-même venant aux droits de Saga Air Transport,
2°/ à la société Securitas France, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à la société XL Insurance Company Limited SE, société de droit irlandais, dont le siège est [Adresse 5],
défenderesses à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Guillou, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des sociétés Hermès Sellier, Allianz Global Corporate & Specialty SE, de la SARL Cabinet François Pinet, avocat des sociétés Securitas France et XL Insurance Company Limited SE, de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Bolloré logistics, et l'avis de Mme Guinamant, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Guillou, conseiller rapporteur, Mme Schmidt, conseiller doyen, et Mme Bendjebbour, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 juin 2023), rendu sur renvoi après cassation (com., 20 septembre 2017, pourvoi 16-20.350), le 10 juin 2009, la société Hermès Sellier (la société Hermès) a conclu avec la société Saga air transport (la société Saga) un contrat de commission de transport international comprenant une clause limitative de réparation d'un montant de 100 000 euros. Les risques de dommages et pertes des marchandises en cours de transport étaient assurés par la société Allianz Global Corporate & Specialty France, aux droits de laquelle est venue la société Allianz Global Corporate & Specialty SE (la société Allianz). Dans la nuit du 11 au 12 février 2010, des cartons de marchandises ont été dérobés dans les entrepôts de la société Saga.
2. Les sociétés Hermès et Allianz ont assigné en responsabilité la société Saga, aux droits de laquelle est venue la société Saga France, devenue la société Bolloré logistics, ainsi que la société Securitas France (la société Securitas), chargée de la surveillance du site de l'aérogare où se trouvait l'entrepôt de la société Saga. Cette dernière a appelé en garantie la société Securitas et l'assureur de celle-ci, la société XL Insurance Company Limited (la société XL Insurance).
3. Par un jugement du 11 septembre 2014, la juridiction de premier degré a rejeté les demandes de la société Hermès, retenu la responsabilité de la société Saga, fixé à 100 000 euros le montant de l'indemnité due par cette dernière à la société Allianz et condamné in solidum les sociétés Saga, Securitas et XL Insurance à payer cette somme à la société Allianz. Par un arrêt du 10 mai 2016, la cour d'appel de Paris a infirmé le jugement et, statuant à nouveau, condamné in solidum les sociétés Bolloré logistics et Securitas à payer la somme de 1 000 euros à la société Hermès et rejeté les autres demandes. Le dispositif de cet arrêt a été complété par un arrêt rectificatif du 25 avril 2017, devenu irrévocable, condamnant in solidum les sociétés Securitas et XL Insurance à garantir la société Bolloré logistics des condamnations mises à sa charge dans la proportion de 50 % et condamnant la société Bolloré logistics à garantir les sociétés Securitas et XL Insurance des condamnations mises à leur charge dans la proportion de 50 %.
4. L'arrêt du 10 mai 2016 a été cassé en ce que, infirmant le jugement, il a rejeté les demandes de la société Allianz.
5. Par un arrêt du 14 mars 2019, la cour d'appel de renvoi (Paris) a infirmé le jugement du 11 septembre 2014 et dit la société Allianz Global Corporate & Specialty SE conventionnellement subrogée dans les droits de la société Hermès relatifs au sinistre du 12 février 2010, déclaré non écrite la clause limitative de responsabilité de la société Saga France aux droits de laquelle vient la société Bolloré logistics et ordonné le sursis à statuer sur la demande de réparation du préjudice financier de la société Allianz, enjoignant à ces sociétés de produire tous éléments de nature à apprécier la valeur des marchandises dérobées, en référence au prix auquel les cédait la société Hermès à ses succursales.
6. L'arrêt du 14 mars 2019 a été cassé mais seulement en ce qu'il a déclaré non écrite la clause limitative de responsabilité de la société Saga France aux droits de laquelle vient la société Bolloré logistics.
7. Par un arrêt du 10 mars 2022, devenu irrévocable, la cour d'appel de renvoi (Versailles) a confirmé le jugement en ce qu'il a déclaré applicable la clause limitative de réparation à 100 000 euros.
8. L'instance, aux fins d'évaluation du préjudice causé par le vol des marchandises, a été reprise devant la première cour d'appel de renvoi (Paris), dont le magistrat délégué à la mise en état avait, sur incident, sursis à statuer dans l'attente de l'issue du pourvoi en cassation contre l'arrêt du 14 mars 2019.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La société Allianz et la société Hermès font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes indemnitaires, alors « que le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont l'existence est établie en son principe ; qu'en l'espèce, pour débouter la société Allianz de ses demandes tendant à la condamnation de la société Securitas et de son assureur XL Insurance, à lui rembourser le montant des indemnités qu'elle avait versées à son assurée, la société Hermès, au titre du vol de marchandises dont le transport avait été confié à la société Saga (devenue Bolloré logistics), la cour d'appel a retenu que la société Allianz produisait un rapport d'expertise amiable comportant en annexe une liste des articles qu'elle dit avoir été dérobés, et a estimé qu'il n'était "pas justifié de la manière dont cette liste a été élaborée -unilatéralement- par la société Hermès Sellier", cette pièce n'étant "pas étayée par d'autres éléments, tels des échanges avec les clients, des déclarations relatives à l'absence de réception des articles en cause permettant de s'assurer de la matérialité de la centaine de cartons évoqués. Ainsi, les factures par ailleurs produites ne démontreraient la réalité du préjudice que s'il était possible de les rattacher de manière certaine avec une liste des marchandises indiquées comme dérobées", pour en déduire que "l'analyse de l'expert, amiable, qui s'appuie sur une liste élaborée unilatéralement par la société Hermès Sellier, et nullement étayée, est insuffisante pour rapporter la preuve de la consistance du vol"; qu'en statuant de la sorte, cependant qu'elle constatait que dans la nuit du 11 au 12 février 2010, des cartons de marchandises dont la société Hermès avait confié le transport à la société Saga (aux droits de laquelle se trouvait la société Bolloré logistics) avaient été dérobés dans les locaux de cette société, et que la société Allianz, assureur de la société Hermès, avait versé à cette dernière une indemnité de 1 042 070,31 euros au titre de ce sinistre, ce dont il résultait que l'assureur, ainsi que son assurée dans les limites de la franchise, justifiaient d'un préjudice dont l'existence était établie en son principe, qu'il incombait à la cour d'appel d'évaluer et d'indemniser, cette dernière a violé l'article 4 et l'article 1382 du code civil, dans sa version applicable en la cause, antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (nouvel article 1240 du code civil), ensemble l'article L. 121-12 du code des assurances. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 4 du code civil :
10. En application de ce texte, le juge ne peut refuser d'indemniser un préjudice dont il constate l'existence en son principe en se fondant sur l'insuffisance des preuves qui lui sont fournies par les parties.
11. Pour rejeter la demande de la société Allianz en paiement des indemnités versées à la société Hermès, l'arrêt retient que la société Allianz produit un rapport d'expertise amiable afférent au préjudice subi à raison du vol de marchandises litigieux et une liste des produits qu'elle dit avoir été dérobés, mais qu'il n'est pas justifié de la façon dont cette liste a été élaborée unilatéralement par la société Hermès et que cette pièce n'est pas étayée par d'autres éléments. Il ajoute que les factures produites ne démontreraient la réalité du préjudice que s'il était possible de les rattacher de manière certaine avec une liste de marchandises indiquées comme dérobées.
12. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que dans la nuit du 11 au 12 février 2010 des cartons de marchandises avaient été dérobés dans les entrepôts de la société Saga et que seul le quantum de l'indemnisation restait en débat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 juin 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne in solidum la société Bolloré logistics, la société Securitas France et la société XL Insurance Company Limited SE aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre, et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Labat, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.