LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 20 novembre 2024
Cassation
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 632 FS-B
Pourvoi n° N 22-14.773
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [W].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 février 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 20 NOVEMBRE 2024
Mme [G] [W], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 22-14.773 contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2020 par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion (chambre de la famille), dans le litige l'opposant :
1°/ au procureur général près de la cour d'appel de Saint-Denis, domicilié en son parquet général, [Adresse 1],
2°/ à M. [U] [H], domicilié [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Beauvois, conseiller, les observations de Me Bouthors, avocat de Mme [W], et l'avis de Mme Caron-Déglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 1er octobre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Beauvois, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mmes Dard, Agostini, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, Mmes Lion, Daniel, Marilly, Vanoni-Thiery, conseillers référendaires, Mme Caron-Déglise, avocat général, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 16 décembre 2020) et les productions, le 10 juin 2017 est né, à [Localité 4], [F], [X], [U] [V] de Mme [W] et de M. [V], qui l'a reconnu.
2. Le 29 juin 2017, Mme [W] et M. [V] ont saisi l'officier de l'état civil d'une demande aux fins de substituer le prénom [Y] au premier prénom de l'enfant.
3. Estimant que la demande ne revêtait pas un intérêt légitime, l'officier de l'état civil a saisi le procureur de la République. Celui-ci a fait connaître son opposition à la demande.
4. Le 27 juillet 2018, Mme [W] a assigné le procureur de la République devant le juge aux affaires familiales pour voir ordonner le changement de prénom sollicité.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches
Enoncé du moyen
5. Mme [W] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de changement de prénom de l'enfant, alors :
« 1° / qu'aux termes de l'article 60 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, applicable en l'espèce, l'autorité compétente qui refuse la modification d'un prénom doit démontrer que la demande ne s'autorise pas d'un intérêt légitime ou apparaît contraire à l'intérêt de l'enfant ; qu'en refusant en l'espèce le changement sans établir l'existence d'un quelconque défaut de légitimité de la demande parentale ou d'une éventuelle contrariété de cette demande à l'intérêt de l'enfant, la cour a inversé la charge de la preuve en violation de l'article susvisé, ensemble les articles 9 du code de procédure civile et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2° / que le choix parental d'un prénom correspondant à la tradition familiale et culturelle est libre et ne peut être limité par l'Etat qu'à raison de considérations d'ordre public sous le contrôle du juge ; qu'en se bornant à se déclarer insuffisamment renseignée sur le caractère musulman du prénom [Y], sans autre investigation, la cour n'a pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts en présence ni garanti le respect effectif de la vie privée et familiale de l'enfant, méconnaissant ainsi les exigences de l'article 60 du code civil et de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. L'article 60 du code civil dispose :
« Toute personne peut demander à l'officier de l'état civil à changer de prénom. La demande est remise à l'officier de l'état civil du lieu de résidence ou du lieu où l'acte de naissance a été dressé. S'il s'agit d'un mineur ou d'un majeur en tutelle, la demande est remise par son représentant légal. L'adjonction, la suppression ou la modification de l'ordre des prénoms peut également être demandée.
Si l'enfant est âgé de plus de treize ans, son consentement personnel est requis.
La décision de changement de prénom est inscrite sur le registre de l'état civil.
S'il estime que la demande ne revêt pas un intérêt légitime, en particulier lorsqu'elle est contraire à l'intérêt de l'enfant ou aux droits des tiers à voir protéger leur nom de famille, l'officier de l'état civil saisit sans délai le procureur de la République. Il en informe le demandeur. Si le procureur de la République s'oppose à ce changement, le demandeur, ou son représentant légal, peut alors saisir le juge aux affaires familiales. »
7. Il résulte de ce texte que la personne qui saisit le juge aux affaires familiales doit justifier d'un intérêt légitime au changement de prénom.
8. Le moyen, qui postule le contraire en sa première branche et est nouveau et, mélangé de fait, comme tel irrecevable en sa seconde branche, ne peut être accueilli.
Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
9. Mme [W] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de changement de prénom, alors « qu'en vertu de l'article 60 du code civil, est légitime la demande de changement de prénom fondée sur l'usage habituel et prolongé de ce dernier ; que le caractère "habituel" de cet usage est indépendant de l'âge de l'enfant ; qu'en se bornant à motiver son refus à raison du jeune âge de l'enfant, qui répondait cependant en famille depuis sa naissance au prénom de [Y], la cour a méconnu les exigences du texte susvisé et de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 60 du code civil :
10. L'intérêt légitime, au sens de ce texte, peut être constitué notamment par l'usage prolongé d'un prénom autre que celui enregistré à l'état civil, apprécié au jour où le juge statue.
11. Pour rejeter la demande de Mme [W] tendant à la substitution du prénom [Y] au prénom [F], l'arrêt retient qu'à l'égard d'un enfant de trois ans, il est difficile de considérer qu'il s'agit d'un usage prolongé et que cet usage n'apparaît pas établi.
12. En statuant ainsi, après avoir constaté qu'au jour où elle statuait l'enfant était appelé [Y] ou [Y] [X] par ses proches, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président, en son audience publique du vingt novembre deux mille vingt-quatre et signé par lui, le conseiller rapporteur et Mme Ben Belkacem, greffier, qui a assisté au prononcé de l'arrêt.