LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° B 24-80.942 F-D
N° 01385
MAS2
19 NOVEMBRE 2024
CASSATION PARTIELLE
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 19 NOVEMBRE 2024
M. [O] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, chambre correctionnelle, en date du 10 janvier 2024, qui, pour harcèlement moral et homicide involontaire, l'a condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et a prononcé sur les intérêts civils.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Rouvière, conseiller référendaire, les observations de Me Isabelle Galy, avocat de M. [O] [W], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 15 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Rouvière, conseiller rapporteur, M. Sottet, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [O] [W] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel sous la prévention de harcèlement moral et homicide involontaire, après que [I] [N], salarié placé sous son autorité, s'est donné la mort.
3. Le tribunal correctionnel l'a déclaré coupable et condamné à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis.
4. Le prévenu et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. [W] coupable d'homicide involontaire et en ce qu'il l'a condamné à la peine de dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, alors « que selon l'article 121-3 du code pénal, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer ; que la causalité est indirecte lorsque la faute a créé la situation à l'origine du dommage, sans que son auteur ait lui-même physiquement porté atteinte à la victime ; que pour déclarer M. [W] coupable d'homicide involontaire, la cour d'appel a relevé que le lien entre l'état psychique de [I] [N] et le harcèlement moral commis par M. [W] est établi, ainsi que le lien entre cet état psychique et le geste suicidaire, que les circonstances du décès confirment à l'évidence la causalité entre ces événements, que le harcèlement était le facteur déterminant et certain de ce geste, qu'il n'est donc pas nécessaire de démontrer en sus une violation manifestement délibérée de la loi pénale, la seule conscience du comportement harcelant qui a causé le geste suicidaire de [I] [N] étant une faute suffisante à caractériser le délit ; qu'en statuant ainsi, cependant que M. [W] n'avait pas physiquement porté atteinte à [I] [N] et que le harcèlement moral avait seulement créé les conditions de son geste suicidaire, de sorte que le lien de causalité était indirect et que M. [W] ne pouvait être déclaré coupable d'homicide involontaire sans qu'une faute qualifiée soit retenue à son encontre, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 221-6 du code pénal. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 121-3 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
6. Aux termes du premier de ces textes, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
7. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
8. Pour déclarer M. [W] coupable d'homicide involontaire, l'arrêt attaqué énonce que des faits de harcèlement moral ont été caractérisés à son encontre.
9. Les juges ajoutent que l'expertise du dossier médical du défunt et les témoignages de ses proches établissent le lien entre son état psychique et le milieu professionnel, et donc le harcèlement moral dont il était victime, ainsi que le lien entre cet état psychique et le geste suicidaire.
10. Ils en concluent que le harcèlement imposé par M. [W] était le facteur déterminant et certain du suicide, sans qu'il soit nécessaire de démontrer une violation manifestement délibérée de la loi pénale, la seule conscience du comportement harcelant qui a causé le geste suicidaire de [I] [N] étant une faute suffisante pour caractériser l'homicide involontaire.
11. En se déterminant ainsi, alors qu'il ressortait de ses propres constatations que la faute retenue à l'encontre de M. [W] n'avait pas directement causé la mort de [I] [N] mais avait créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage, la cour d'appel, qui n'a pas recherché si le prévenu avait commis une faute délibérée ou caractérisée, n'a pas justifié sa décision.
12. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
13. La cassation sera limitée à la déclaration de culpabilité de M. [W] du chef d'homicide involontaire et à la peine, dès lors que la déclaration de culpabilité du chef de harcèlement moral n'est pas contestée. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Dijon, en date du 10 janvier 2024, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité de M. [W] du chef d'homicide involontaire et à la peine, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Reims, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Dijon et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille vingt-quatre.