LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
SOC. / ELECT
ZB1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 novembre 2024
Cassation partielle sans renvoi
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 1145 F-D
Pourvoi n° Y 23-18.145
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 14 NOVEMBRE 2024
La société Omeris réseau France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], [Localité 4], a formé le pourvoi n° Y 23-18.145 contre le jugement rendu le 27 juin 2023 par le tribunal judiciaire de Lyon (pôle social, contentieux des élections professionnelles), dans le litige l'opposant :
1°/ à la fédération CGT santé action sociale UFSP CGT, dont le siège est [Adresse 8], [Localité 7],
2°/ à la Fédération des services publics et de la santé FO Union nationale des syndicats de la santé privée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 5],
3°/ à la Fédération nationale des syndicats des services de la santé et des services sociaux CFDT, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 6],
défenderesses à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Sommé, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Omeris réseau France, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la fédération CGT santé action sociale UFSP CGT, après débats en l'audience publique du 9 octobre 2024 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Sommé, conseiller rapporteur, Mme Bérard, conseiller, Mme Canas, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Lyon, 27 juin 2023), le groupe Omeris était composé de la société holding Omeris et de seize sociétés distinctes, chacune exploitant un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et étant dotée d'un comité social et économique. Le 28 septembre 2020, a été créée la société Omeris réseau France afin d'intégrer l'activité des seize Ehpad au sein d'une même entité juridique. Les seize sociétés ont conclu un contrat de location-gérance avec la société Omeris réseau France, à effet du 1er janvier 2021, entraînant le transfert des contrats de travail des salariés au sein de cette société.
2. La société Omeris réseau France a considéré que ce transfert mettait fin aux mandats des élus des seize comités sociaux et économiques et, à défaut d'accord majoritaire avec les organisations syndicales représentatives, a décidé de la mise en place d'un seul comité social et économique par décision unilatérale du 18 janvier 2021.
3. Saisi par la fédération CGT santé action sociale (la fédération CGT) d'une contestation de cette décision, le 22 mars 2021 le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) Auvergne Rhône-Alpes, a décidé de l'élection d'un comité social et économique unique au sein de la société Omeris réseau France.
4. Par jugement du 19 juillet 2021, le tribunal judiciaire de Lyon a annulé la décision administrative du 22 mars 2021, ordonné à la société Omeris réseau France de reprendre les négociations sur la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts, ordonné la suspension du processus électoral sur l'élection d'un comité social et économique unique et ordonné, sous astreinte, le rétablissement des institutions représentatives du personnel en place avant le 1er janvier 2021.
5. Après échec des négociations, par décision unilatérale du 22 février 2022 la société Omeris réseau France a de nouveau décidé de la mise en place d'un comité social et économique unique.
6. Saisi d'une contestation de cette décision formée par la fédération CGT, par décision du 5 mai 2022, le directeur régional de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets) Auvergne Rhône-Alpes a confirmé la décision de la société Omeris réseau France.
7. Parallèlement a été décidée une opération de fusion-absorption par la société Omeris réseau France des seize sociétés.
8. Le 30 avril 2022, la société Omeris réseau France a résilié le contrat de location-gérance conclu avec la société Omeris résidence [9] et a renoncé à la fusion-absorption de cette société. Les opérations de fusion-absorption pour les quinze autres sociétés se sont déroulées entre le 17 août et le 3 novembre 2022.
9. Saisi d'un recours formé par la fédération CGT à l'encontre de la décision administrative du 5 mai 2022, par jugement du 29 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Lyon a déclaré irrecevable la demande de la fédération CGT de suspension du projet de résiliation du contrat de mise en location-gérance et du projet de renonciation à l'opération de fusion-absorption de l'Ehpad Omeris résidence [9] par la société Omeris réseau France, annulé la décision administrative du 5 mai 2022, ordonné la suspension du processus électoral sur l'élection d'un comité social et économique unique, déclaré qu'il y avait lieu de mettre en place au sein de la société Omeris réseau France un comité social et économique central et quinze comités sociaux d'établissement, la résidence [9] étant exclue du périmètre de la saisine du tribunal.
10. Par lettre du 29 janvier 2023, la fédération CGT a saisi le Dreets Auvergne Rhône-Alpes d'une contestation de la perte de la qualité d'établissement distinct de la société Omeris résidence [9].
11. Par requête reçue le 23 mars 2023, la fédération CGT a saisi le tribunal judiciaire de demandes tendant à annuler la décision implicite de rejet du Dreets, à ordonner la suspension du processus électoral sur l'élection d'un comité social et économique unique et à ordonner à la société Omeris réseau France de négocier avec les organisations syndicales de l'entreprise, en ce compris celles de l'établissement résidence [9], sur la question de la perte de qualité d'établissement distinct de l'établissement résidence [9] et ses conséquences sur la société Omeris réseau France.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa seconde branche
Enoncé du moyen
12. La société Omeris réseau France fait grief au jugement d'annuler la décision implicite de rejet du Dreets du 10 mars 2023 et de renvoyer la société Omeris réseau France à la négociation avec les organisations syndicales représentatives au sein de la société Omeris résidence [9] sur la question de la perte d'établissement distinct de cette société et ses conséquences sur la société Omeris réseau France, alors « que la perte de la qualité d'établissement distinct suppose qu'ait été constatée préalablement, par un acte juridique, l'existence d'un tel établissement distinct ; qu'en jugeant que la société Omeris réseau France devait négocier avec les organisations syndicales représentatives au sein de la société Omeris résidence [9] sur la question de la perte de qualité d'établissement distinct de cette société, aux motifs inopérants que la question de « la qualité d'établissement des 16 résidences faisait partie du projet de réorganisation » quand il résultait de ses propres constatations que la qualité d'établissement distinct de l'Ehpad Omeris résidence [9] n'avait été reconnue, ni par décision unilatérale de l'employeur du 22 février 2022 ni par décision de la Dreets du 5 mai 2022 et que cette qualité avait été également exclue par le jugement du tribunal judiciaire de Lyon du 29 juillet 2022, le tribunal n'a pas tiré les exactes conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait que l'Ehpad Omeris résidence [9] n'ayant jamais eu la qualité d'établissement distinct de la société Omeris réseau France, cette dernière ne pouvait être tenue de négocier avec les organisations syndicales représentatives au sein de cet Ehpad sur une perte de qualité inexistante ; qu'il a en conséquence violé les articles L. 2313-1, L. 2313-4 à L. 2313-6 du code du travail. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 2313-1, L. 2313-4, L. 2313-5 et L. 2313-6 du code du travail :
13. Aux termes de l'article L. 2313-1 du code du travail, un comité social et économique est mis en place au niveau de l'entreprise. Des comités sociaux et économiques d'établissement et un comité social et économique central d'entreprise sont constitués dans les entreprises d'au moins cinquante salariés comportant au moins deux établissements distincts.
14. L'article L. 2313-4 du même code dispose qu'en l'absence d'accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L. 2313-2 et L. 2313-3, l'employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel.
15. Aux termes de l'article L. 2313-5 du code du travail, en cas de litige portant sur la décision de l'employeur prévue à l'article L. 2313-4, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés par l'autorité administrative du siège de l'entreprise dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. Lorsqu'elle intervient dans le cadre d'un processus électoral global, la saisine de l'autorité administrative suspend ce processus jusqu'à la décision administrative et entraine la prorogation des mandats des élus en cours jusqu'à la proclamation des résultats du scrutin. La décision de l'autorité administrative peut faire l'objet d'un recours devant le juge judiciaire, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.
16. L'article L. 2313-6 du même code dispose que la perte de la qualité d'établissement distinct dans les cas prévus aux articles L. 2313-2 à L. 2313-5 emporte la cessation des fonctions des membres de la délégation du personnel du comité social et économique de cet établissement, sauf si un accord contraire, conclu entre l'employeur et les organisations syndicales représentatives dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 2232-12, ou à défaut d'accord d'entreprise, un accord entre l'employeur et le comité social et économique concerné, permet aux membres de la délégation du personnel du comité d'achever leur mandat.
17. Pour annuler la décision administrative implicite de rejet de la contestation par la fédération CGT de la perte de la qualité d'établissement distinct de la société Omeris résidence [9] et renvoyer la société Omeris réseau France à la négociation avec les organisations syndicales représentatives au sein de la société Omeris résidence [9] sur la question de la perte de qualité d'établissement distinct de cette société et ses conséquences sur la société Omeris réseau France, le jugement retient que c'est à l'aune de la qualité d'établissement distinct des seize résidences faisant partie du projet de réorganisation que la question du périmètre des institutions représentatives du personnel à mettre en place s'est posée et ce, que ce soit dans le cadre de la négociation préalable entre l'employeur et les organisations syndicales représentatives, de la décision unilatérale de l'employeur du 22 février 2022, ou encore de la décision rendue par le Dreets le 5 mai 2022, qui ont toutes eu lieu avant la fusion-absorption effective des sociétés. Il relève encore que par jugement du 29 juillet 2022, le tribunal judiciaire a décidé que chacune des résidences, à l'exception de la résidence [9], exclue par l'employeur du périmètre de saisine du tribunal, constitue un établissement distinct justifiant la mise en place d'un comité social et économique d'établissement. Il en déduit que, dans un tel contexte, la société Omeris réseau France ne pouvait décider d'exclure, sans négociation préalable, la société Omeris résidence [9] du périmètre de détermination des institutions représentatives du personnel.
18. En statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations que la résidence [9] ne s'était vu reconnaître la qualité d'établissement distinct de la société Omeris réseau France ni par décision unilatérale de l'employeur, ni par décision administrative, ni par décision judiciaire, ce dont il résultait que la demande tendant à ordonner une négociation sur la perte d'une telle qualité était sans objet, le tribunal a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. Après avis donné aux parties, tel que suggéré par la société Omeris réseau France, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen pris en sa première branche, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il annule la décision implicite de rejet du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes du 10 mars 2023, en ce qu'il renvoie la société Omeris réseau France à la négociation avec les organisations syndicales représentatives au sein de la société Omeris résidence [9] sur la question de la perte de qualité d'établissement distinct de cette société et ses conséquences sur la société Omeris réseau France et en ce qu'il condamne la société Omeris réseau France à payer à la fédération CGT santé action sociale la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement rendu le 27 juin 2023, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Confirme la décision implicite de rejet du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Auvergne Rhône-Alpes du 10 mars 2023 de la contestation par la fédération CGT santé action sociale de la perte de la qualité d'établissement distinct de la société Omeris résidence [9] ;
Déboute la fédération CGT santé action sociale de ses demandes tendant à ordonner à la société Omeris réseau France de négocier avec les organisations syndicales représentatives de la société Omeris résidence [9] sur la question de la perte de qualité d'établissement distinct de cette société et ses conséquences sur la société Omeris réseau France ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.