LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 novembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 613 F-D
Pourvoi n° R 22-23.976
Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [M].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 10 octobre 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024
Mme [C] [M], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° R 22-23.976 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2022 par la cour d'appel de Montpellier (3e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [V] [O], domicilié [Adresse 1],
2°/ à la société MMA IARD assurances mutuelles, dont le siège est [Adresse 2],
3°/ à Mme [T] [D], domiciliée [Adresse 3],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, cinq moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Choquet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Guérin-Gougeon, avocat de Mme [M], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. [O], de la SARL Le Prado-Gilbert, avocat de la société MMA IARD assurances mutuelles, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Choquet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 6 janvier 2022), à la suite de fortes pluies, le mur érigé en contrebas du fonds de M. [O] s'est effondré le 7 octobre 2014 sur le fonds inférieur appartenant à Mmes [M] et [D].
2. A la suite d'une mesure d'expertise judiciaire, M. [O] a fait réaliser les travaux de réfection du mur de soutènement.
3. Mmes [M] et [D] ont assigné M. [O] et son assureur, la société MMA IARD assurances mutuelles, en indemnisation de leurs préjudices matériels et de jouissance.
4. M. [O] a demandé la garantie de son assureur pour toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre et la condamnation de Mmes [M] et [D] à l'indemniser de son préjudice matériel résultant du coût de l'installation d'une pompe de relevage des eaux pluviales en pied de drain, pour permettre leur évacuation rendue nécessaire par leur opposition aux travaux préconisés par l'expert, ainsi que de ses préjudices moraux et de jouissance.
Examen des moyens
Sur le cinquième moyen
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur les premier, deuxième et troisième moyens, pris en leurs troisièmes branches, rédigés en termes identiques, réunis
Enoncé des moyens
6. Mme [M] fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de M. [O] au titre de son préjudice de jouissance et de la condamner à payer à M. [O] des sommes au titre du surcoût des travaux et du préjudice moral subi lié au retard des travaux, alors « que la servitude légale d'écoulement des eaux de pluie ne confère pas au propriétaire du fonds dominant, qui ne doit rien faire pour aggraver cette servitude, le droit de procéder à la construction sur le fonds servant d'ouvrages destinés à assurer l'écoulement des eaux de pluie, quand bien même ils permettraient de réduire, à moindre coût, la servitude grevant le fonds servant ; qu'en se fondant, pour juger que le refus de Mme [M] était injustifié, sur ce que la servitude légale d'écoulement naturel des eaux, y compris des eaux de drainage de terres, lui faisait obligation de les recevoir, après avoir pourtant constaté que les aménagements envisagés prévoyaient de drainer les eaux de pluie par l'intermédiaire de canalisations enterrées sur le fonds inférieur, la cour d'appel a violé les articles 640, 544, 545 et 1382, devenu 1240, du code civil. »
Réponse de la Cour
Recevabilité des moyens
7. M. [O] conteste la recevabilité des moyens. Il soutient qu'ils sont nouveaux et mélangés de fait et de droit.
8. Cependant, les moyens ne sont pas nouveaux, en ce que Mme [M], dans ses conclusions devant la cour d'appel, a soutenu que le procédé objet du devis approuvé par l'expert impliquait le passage d'un tuyau sur son fonds, et qu'elle était fondée en son refus de voir poser ce tuyau qui empêcherait toute extension de sa villa sur la largeur de la terrasse côté droit.
9. Les moyens sont donc recevables.
Bien-fondé des moyens
Vu les articles 544, 545, 637, 640, alinéas 1er et 3, et 1382, devenu 1240, du code civil :
10. Aux termes du premier de ces textes, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
11. Aux termes du deuxième, nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité.
12. Aux termes du troisième, une servitude est une charge imposée sur un héritage pour l'usage et l'utilité d'un héritage appartenant à un autre propriétaire.
13. Aux termes du quatrième, les fonds inférieurs sont assujettis envers ceux qui sont plus élevés à recevoir les eaux qui en découlent naturellement sans que la main de l'homme y ait contribué. Le propriétaire supérieur ne peut rien faire qui aggrave la servitude du fonds inférieur.
14. Aux termes du cinquième, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
15. Il résulte des trois premiers de ces textes qu'une servitude ne peut conférer le droit d'empiéter sur la propriété d'autrui.
16. Dès lors, ne commet pas de faute au sens du cinquième de ces textes le propriétaire du fonds inférieur qui s'oppose à la réalisation sur celui-ci d'un ouvrage destiné à permettre, au profit du fonds supérieur, l'exercice de la servitude naturelle d'écoulement des eaux le grevant par application du quatrième.
17. Pour rejeter la demande formée par Mme [M] au titre de l'indemnisation de son préjudice de jouissance à compter du 1er mai 2015 et la condamner à indemniser M. [O], l'arrêt retient que celle-ci et Mme [D] ont opposé un refus injustifié à la mise en oeuvre du premier dispositif proposé d'évacuation des eaux pluviales du fonds supérieur par leur fonds, lequel y était tenu en application de la servitude légale dont il était grevé, provoquant un retard dans la réalisation des travaux non imputable à M. [O], ainsi qu'un surcoût supporté par celui-ci.
18. En statuant ainsi, après avoir relevé que la première proposition prévoyait une structure en béton à bancher équipée d'un dispositif de drainage permettant l'évacuation des eaux de drainage vers la voie publique via le fonds inférieur, avec pose d'un exutoire des eaux pluviales le long du mur de clôture de celui-ci ainsi qu'une canalisation enterrée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations tenant à l'existence d'un empiétement de la construction projetée sur le fonds inférieur, a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
19. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt limitant la condamnation de M. [O] à payer à Mme [M] une certaine somme au titre de son préjudice de jouissance et la condamnant à payer à M. [O] certaines sommes au titre du surcoût des travaux et au titre de son préjudice moral lié au retard des travaux entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant Mme [M] à payer à M. [O] une certaine somme en réparation de son préjudice moral pour procédure abusive et ordonnant la compensation des sommes respectivement dues par les parties, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
20. Par application du même texte, la cassation ainsi prononcée entraîne celle des mêmes chefs de dispositif qui fixent le droit à réparation de Mme [D] et la condamnent à payer certaines sommes à M. [O], qui s'y rattachent par un lien d'indivisibilité.
Mise hors de cause
21. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société MMA IARD assurances mutuelles, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne in solidum Mmes [M] et [D] à payer à M. [O] les sommes de 5 423 euros au titre du surcoût des travaux, 1 200 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral lié au retard des travaux et 1 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral lié à la procédure abusive, condamne M. [O] à payer à Mmes [M] et [D] ensemble la somme de 2 800 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice de jouissance, ordonne la compensation entre les sommes respectivement dues par les parties, et statue sur les dépens, dont les frais d'expertise, et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
Met hors de cause la société MMA IARD assurances mutuelles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée ;
Condamne M. [O] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par M. [O] et la société MMA IARD assurances mutuelles et condamne M. [O] à payer à la société civile professionnelle Guérin-Gougeon la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.