LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
FC
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 14 novembre 2024
Rejet
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 602 F-D
Pourvoi n° H 22-16.953
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024
La société du centre commercial de [Localité 2], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3], a formé le pourvoi n° H 22-16.953 contre l'arrêt rendu le 15 mars 2022 par la cour d'appel de Pau (2e chambre, section 1), dans le litige l'opposant à la société Le Square, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, deux moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandjean, conseiller, les observations de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de la société civile immobilière du centre commercial de [Localité 2], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Le Square, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Grandjean, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 15 mars 2022), le 25 juin 2010, la société du centre commercial de [Localité 2] (la bailleresse), propriétaire de locaux commerciaux dans un centre commercial donnés à bail à la société Le Square (la locataire), lui a délivré un commandement, visant la clause résolutoire, de payer une certaine somme au titre des charges locatives.
2. Le 20 juillet 2010, la locataire a assigné, en référé, la bailleresse en contestation du commandement de payer et aux fins d'injonction de justifier des charges locatives depuis le 1er janvier 2005 portant sur les seuls tantièmes loués.
3. Une ordonnance du 15 décembre 2010 a ordonné une expertise judiciaire aux fins de procéder à l'établissement des comptes entre les parties relatifs aux loyers et aux charges.
4. L'expert judiciaire a déposé son rapport le 26 décembre 2016.
5. Le 29 mai 2017, la locataire a assigné la bailleresse en répétition des provisions sur charges locatives qu'elle estimait indûment versées entre le 16 juillet 2000 au 10 mars 2015.
6. La bailleresse a soulevé une fin de non-recevoir fondée sur la prescription de l'action en répétition pour les sommes versées entre le 16 juillet 2000 et le 28 mai 2012.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en ses première à troisième branches
Enoncé du moyen
8. La bailleresse fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription, alors :
« 1°/ que la durée de la prescription d'une action est déterminée par la nature de la créance qui en est l'objet ; qu'en vertu de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, l'article 2277 du code civil, qui jusqu'alors soumettait les actions en paiement des charges locatives à une prescription exceptionnelle de cinq ans, mais non pas les actions en répétition des mêmes charges, qui demeuraient gouvernées par la prescription trentenaire alors de droit commun, a soumis indifféremment ces deux actions au régime de la prescription quinquennale, jusqu'à ce que la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 prive ce régime d'exception de raison d'être en faisant de la prescription de cinq ans la règle de droit commun, exprimée dès lors par l'article 2224 du code civil ; que, pour exclure totalement l'application de la prescription quinquennale à l'action en répétition des charges locatives de la société Le Square pour la période antérieure au 18 juin 2008, et lui appliquer exclusivement la prescription trentenaire, la cour, par motifs propres et adoptés, a retenu que le montant de ces charges, variable et non déterminé, était contesté, au point qu'il avait fallu ordonner une expertise judiciaire qui n'avait d'ailleurs pas permis d'établir précisément les tantièmes de la société Le Square et leur mode de calcul ; qu'en se déterminant ainsi, quand la détermination du montant de la créance pouvait jouer sur le point de départ du délai de prescription, mais non pas sur la durée de cette dernière, laquelle, à raison de la nature de l'action en répétition de charges locatives, était par exception de cinq ans pour la période du 19 janvier 2005 au 18 juin 2008, la cour a violé, par refus d'application, l'article 2277 du code civil, modifié par la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, ensemble l'article 2262 du code civil, dans sa version antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, par fausse application ;
2°/ que la durée de la prescription d'une action est déterminée par la nature de la créance qui en est l'objet ; qu'en vertu de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 [entrée en vigueur le 19 janvier], l'article 2277 du code civil ancien a institué une prescription exceptionnelle de cinq ans pour l'action en répétition de « charges locatives » ; que ces « charges » sont telles lorsqu'elles sont imposées par le bailleur, et sont « locatives » lorsqu'elles sont prévues par le contrat de bail ; que la circonstance qu'un litige soit soulevé à leur sujet, notamment à raison d'un trop-perçu allégué, n'en change ni la nature ni, partant, la soumission à la prescription quinquennale de l'action en répétition engagée de ce chef ; qu'en l'espèce, la cour, par motifs adoptés, a constaté que le contrat de bail du 22 janvier 1999 litigieux contenait bien un paragraphe 2.4 intitulé « charges », lequel imposait au preneur le remboursement notamment « dans les conditions ci-après explicitées, (de) la quote part des impôts, taxes, charges et prestations afférentes aux locaux loués », la satisfaction à « toutes les charges de ville, de police et de voirie », et que ledit contrat précisait les modalités de remboursement des charges, et les définissait ; qu'il en était bien ainsi de tous ces éléments contractualisés ; qu'il s'agissait donc bien de charges locatives, dont l'action en répétition était soumise à la prescription quinquennale ; qu'en jugeant dès lors que cette prescription devait être écartée au profit exclusif de la prescription trentenaire pour la période antérieure au 18 juin 2008, au motif inopérant que le caractère précis et déterminé de ces clauses était contesté parce que le contrat de bail « ne fait état d'aucune quote-part de ces charges imputables au preneur ni d'aucuns tantièmes », la cour a violé l'article 2277 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, par refus d'application, ensemble l'article 2262 du code civil, dans sa version antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, par fausse application ;
3°/ que lorsque la loi réduit la durée d'une prescription, la prescription réduite commence à courir, sauf disposition contraire, du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; que, dès lors que la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 est entrée en vigueur le 19 janvier 2005, instaurant une durée d'action de cinq ans pour l'action en répétition de charges locatives, et cette loi n'incluant pas de disposition contraire, la société Le Square avait la faculté d'introduire une action en répétition des charges locatives pour des charges supposément impayées au cours des 30 années précédant le 19 janvier 2010, à peine de prescription de cette action ; qu'il s'ensuit que l'action en répétition des charges introduite par la société Le Square le 29 mai 2017 était prescrite pour toute cette période antérieure ; qu'en jugeant le contraire, la cour a violé les articles 2224 et 2270 anciens du code civil. »
Réponse de la Cour
9. En premier lieu, la cour d'appel, qui a constaté, par motifs propres et adoptés, que les sommes que la bailleresse pouvait réclamer au titre des charges étaient variables, non déterminées dans leur montant et qu'une expertise avait dû être ordonnée pour les fixer, faisant ainsi ressortir que la créance en répétition des sommes versées à titre de provision sur charges par la locataire dépendait d'éléments qui n'étaient pas connus d'elle, résultant de déclarations que la bailleresse était tenue de faire, en a exactement déduit que la prescription abrégée de l'article 2277 ancien du code civil, dans sa version en vigueur du 19 janvier 2005 au 19 juin 2008, ne s'appliquait pas à l'action de la locataire en répétition des sommes versées avant le 19 juin 2008.
10. En second lieu, la cour d'appel, qui a relevé qu'une expertise avait été ordonnée en référé le 15 décembre 2010 pour faire les comptes entre les parties, a, à bon droit, retenu qu'en vertu de l'article 2239 du code civil dans sa version en vigueur depuis le 18 juin 2008, cette mesure d'instruction avait suspendu la prescription de l'action en répétition des sommes versées par la locataire antérieurement à l'ordonnance du juge des référés.
11. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
12. La bailleresse fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de 455 870,99 euros au titre des charges et taxes versées du 16 juillet 2000 au 10 mars 2015, avec intérêts au taux légal à compter du 29 mai 2017, alors « que par application de l'article 625 du code de procédure civile, la cassation à intervenir de l'arrêt du 15 mars 2022 du chef du premier moyen relatif à l'exception de prescription de l'action en répétition de charges de la société Le Square pour la période considérée entraînera, par voie de conséquence nécessaire, cassation du même arrêt en ce qu'il a condamné la SCI du centre commercial de [Localité 2] à payer de ce chef les sommes susvisées. »
Réponse de la Cour
13 La cassation n'étant pas prononcée sur le premier moyen, le grief, tiré d'une annulation par voie de conséquence, est devenu sans portée.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société civile immobilière du centre commercial de [Localité 2] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière du centre commercial de [Localité 2] et la condamne à payer à la société Le Square la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.