LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 14 novembre 2024
Cassation partielle
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 598 F-D
Pourvoi n° C 23-16.539
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 14 NOVEMBRE 2024
1°/ la société Soria, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 12], [Localité 19], en redressement judiciaire,
2°/ la société BTSG², société civile professionnelle, dont le siège est [Adresse 4], [Localité 20], prise en la personne de M. [I] [P], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société civile immobilière Soria,
3°/ la société BCM et Associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 11], [Localité 20] prise en la personne de M. [C] [Z], agissant en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assistance de la société civile immobilière Soria,
ont formé le pourvoi n° C 23-16.539 contre deux arrêts rendus les 8 février 2023 et 5 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 4, chambre 2), dans le litige les opposant :
1°/ à la société Pacifica, société anonyme, dont le siège est [Adresse 18], [Localité 17],
2°/ à la MMA IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3], [Localité 15], prise en son agence sise [Adresse 8], [Localité 22],
3°/ à Mme [E] [X], épouse [B], domiciliée [Adresse 13], [Localité 2],
4°/ au syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 14] - [Adresse 7], [Localité 24], représenté par son syndic la société G. Immo, société à responsabilité limitée, dont le siège est c/o société LG Immo, [Adresse 6], [Localité 16],
5°/ à M. [N] [O],
6°/ à Mme [W] [V], veuve [O],
tous deux domiciliés [Adresse 5], [Localité 23],
7°/ à la société Axa France IARD, société anonyme, dont le siège est [Adresse 9], [Localité 21],
8°/ à la société JDM, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 14], [Localité 24], représentée par son liquidateur Mme [U] [D], domiciliée en cette qualité audit siège,
9°/ à la société JDM, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], [Localité 10],
défendeurs à la cassation.
Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, quatre moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Grandjean, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Briard, Bonichot et associés, avocat de la société civile immobilière Soria et des sociétés BTSG² et BCM et associés, ès qualités, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Pacifica, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Axa France IARD, de la SCP L. Poulet-Odent, avocat de Mme [X], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 14] - [Adresse 7] à [Localité 24], après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Grandjean, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Maréville, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 février 2023, rectifié le 5 avril 2023), la société civile immobilière Soria (la bailleresse) est propriétaire de locaux situés au rez-de-chaussée et au premier étage d'un immeuble, soumis au statut de la copropriété et assuré auprès de la société Axa France IARD, qu'elle a donnés à bail commercial, les 23 octobre et 1er novembre 2004, à la société JDM (la locataire), assurée auprès de la société MMA IARD, pour y exploiter un salon de coiffure.
2. Plusieurs dégâts des eaux étant survenus dans l'immeuble, le 9 mai 2010, le plafond des locaux exploités par la locataire s'est en partie effondré et, le 7 juillet 2010, le maire de la commune a pris un arrêté de péril imminent.
3. Par une ordonnance du 23 février 2011, le juge des référés a ordonné une expertise et a autorisé la locataire à suspendre le paiement des loyers.
4. Déposé le 29 mai 2015, le rapport d'expertise a conclu que le sinistre trouvait ses origines dans les appartements privatifs, situés aux deuxième et troisième étages de l'immeuble, appartenant respectivement à Mme [B], assurée auprès de la société Axa France IARD et à [A] [O], par ailleurs syndic bénévole de l'immeuble et assuré auprès de la société Pacifica.
5. Le 16 mars 2015, la locataire a assigné la bailleresse, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 14] - [Adresse 7] à [Localité 24] (le syndicat des copropriétaires), [A] [O] à titre personnel et en qualité de syndic bénévole, Mme [B], et les sociétés Axa France IARD, MMA IARD et Pacifica pour obtenir la résiliation du bail aux torts de la bailleresse et l'indemnisation de ses préjudices. La bailleresse a demandé, à titre reconventionnel, la résiliation du bail aux torts de la locataire, le paiement des loyers et d'une indemnité d'occupation et l'indemnisation de divers préjudices.
6. [A] [O] est décédé le 15 avril 2019 et ses ayants droit, Mme [V] et M. [N] [O], ont été assignés en intervention forcée.
7. La locataire a fait l'objet d'une liquidation amiable et, initialement immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bobigny sous le numéro 479 169 791, a été ré-immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux sous le numéro 908 369 564 pour les besoins de la procédure.
Examen des moyens
Sur les premier, deuxième et quatrième moyens
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
9. La bailleresse fait grief à l'arrêt rectifié de rejeter ses demandes formées à l'encontre de la locataire au titre de l'indemnité d'occupation et de ses préjudices financier, commercial et moral, alors « que dans le dispositif de ses conclusions d'appel signifiées le 8 novembre 2022, la SCI Soria demandait à la cour d'appel « à titre principal, de constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 1er novembre 2004 à la date du 7 juillet 2019 par l'effet du commandement délivré le 6 juillet 2019, ordonner in solidum aux sociétés JDM (RCS 908 369 564) et JDM (RCS 479 168 791) de remettre les clés des locaux pris à bail à la SCI Soria dans un délai de huit jours, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir, condamner in solidum les sociétés JDM (RCS 908 369 564) et JDM (RCS 479 168 791) à payer à la SCI Soria la somme de 294 413,65 euros au titre de son arriéré de loyers, charges, taxes et accessoires du mois de juillet 2010 au 6 juillet 2019, avec intérêts au taux légal à compter du commandement outre l'application des intérêts de retard contractuels (taux de base bancaire plus quatre points calculés au jour le jour, outre 1 % par mois de retard, condamner in solidum les sociétés JDM (RCS Bordeaux 908 369 564) et JDM (RCS Bobigny 479 168 791) à payer à la SCI Soria une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer actuel augmenté des charges, taxes et accessoires à compter du 7 juillet 2019 et jusqu'à remise des clés, puis, à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation judiciaire du bail du 1er novembre 2004 au 7 juillet 2010 (date de l'arrêté de péril) aux torts de la société JDM (RCS 479 168 791), ordonner in solidum aux sociétés JDM (RCS 908 369 564) et JDM (RCS 479 168 791) de remettre les clés des locaux pris à bail à la SCI Soria dans un délai de huit jours, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à compter de la signification de la décision à intervenir, condamner in solidum les sociétés JDM (RCS 908 369 564) et JDM (RCS 479 168 791) à payer à la SCI Soria une indemnité d'occupation mensuelle égale au montant du loyer actuel augmenté des charges, taxes et accessoires à compter du mois de juillet 2010 et jusqu'à remise des clés ; qu'en énonçant que « la SCI Soria forme une demande de paiement au titre de l'indemnité d'occupation à compter du 7 juillet 2019 », la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen examinée d'office, après avis donné aux parties
10. L'arrêt n'a pas statué sur la demande en paiement d'une indemnité d'occupation entre le 13 juillet 2010 et le 7 juillet 2019 formée par la bailleresse et dirigée contre la locataire, dès lors qu'il ne résulte ni des motifs ni du dispositif de la décision que la cour d'appel ait examiné cette demande.
11. L'omission de statuer, pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, ne donne pas ouverture à cassation.
12. Le moyen est donc irrecevable.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
13. La bailleresse fait le même grief à l'arrêt rectifié, alors « qu'à compter de la date de la résiliation du bail, le locataire devient un occupant sans droit ni titre redevable comme tel d'une indemnité d'occupation ; que l'indemnité d'occupation est due non seulement pendant le temps de l'occupation effective des lieux mais aussi après le départ de l'occupant tant que ce dernier n'a pas restitué les clés au bailleur ; qu'en déboutant la SCI Soria de sa demande en paiement d'une indemnité d'occupation aux motifs que l'exploitation du salon de coiffure par la société JDM n'avait jamais repris depuis le 13 juillet 2010 sans constater que la société JDM avait procédé à la remise des clés des locaux qui lui avaient été donnés à bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1240 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
14. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
15. Pour rejeter la demande de la bailleresse en paiement d'une indemnité d'occupation à compter du 7 juillet 2019, l'arrêt retient qu'elle ne justifie pas de l'occupation des locaux à cette date par la locataire, qui n'a jamais repris l'exploitation après le 13 juillet 2010, qu'un procès-verbal d'huissier constate le 6 juin 2019 que la locataire n'a plus d'établissement connu à l'adresse des locaux et que les courriels échangés par les parties sont insuffisants à justifier que la locataire n'a pas restitué les clés à la bailleresse.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les lieux avaient été effectivement libérés par la remise des clés à la bailleresse, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Portée et conséquences de la cassation
17. La cassation du chef de dispositif par lequel l'arrêt rejette la demande de la bailleresse au titre de l'indemnité d'occupation n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt qui rejettent les autres demandes pécuniaires de la bailleresse et la condamne aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres motifs.
Mise hors de cause
18. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause le syndicat des copropriétaires et la société Pacifica, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de la société civile immobilière Soria en paiement d'une indemnité d'occupation dirigée contre la société JDM, l'arrêt rendu le 8 février 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Met hors de cause le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du [Adresse 14] - [Adresse 7] à [Localité 24] et la société Pacifica ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne la société JDM, immatriculée initialement au registre du commerce et des sociétés de Bobigny sous le numéro 479 169 791, et ré-immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Bordeaux sous le numéro 908 369 564, aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze novembre deux mille vingt-quatre.