LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° Z 23-81.810 FS-B
N° 01257
SL2
13 NOVEMBRE 2024
CASSATION
M. SOULARD premier président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 NOVEMBRE 2024
M. [I] [G], partie civile, a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 68 de la cour d'appel de Paris, chambre 2-7, en date du 16 février 2023, qui, dans la procédure suivie contre M. [R] [P], des chefs de diffamation publique envers un particulier et de diffamation publique envers une personne à raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, et Mme [D] [V], des chefs de complicité desdits délits, a prononcé sur les intérêts civils.
Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.
Sur le rapport de M. Dary, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de M. [I] [G], les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. [R] [P] et de Mme [D] [V], et les conclusions de M. Lagauche, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Bonnal, président, M. Dary, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, MM. Cavalerie, Maziau, Seys, Mmes Thomas, Chaline-Bellamy, M. Hill, conseillers de la chambre, M. Violeau, Mme Merloz, M. Pradel, conseillers référendaires, M. Lagauche, avocat général, et Mme Lavaud, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des premier président, président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Selon ordonnance du 2 juin 2021 d'un juge d'instruction, à la suite de la plainte avec constitution de partie civile de M. [I] [G] du 21 janvier 2020, M. [R] [P], directeur de publication du site Causeur.fr, et Mme [D] [V], en qualité d'autrice, ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, d'une part, du chef de diffamation publique envers un particulier, pour avoir publié, le 17 décembre 2019, les propos suivants : « [I] [G] a fait de la prison pour complicité de tentative de meurtre » ; « Il y a huit ans en effet, le 2 mars 2011, il comparaissait devant le tribunal de Bobigny pour complicité de tentative de meurtre » ; « Reconnu coupable, il est condamné à trois ans de prison ferme » ; « Ils se rendent au domicile de l'amant, le frappent, l'enferment dans le coffre de la voiture. Ils vont ensuite chercher un bidon d'essence, avant de se diriger vers une forêt de Seine-et-Marne. Lorsque la voiture est à l'arrêt, ils font sortir le prisonnier du coffre et le frappent à nouveau », d'autre part, du chef de diffamation publique envers une personne à raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, pour avoir publié à la même date les propos suivants : « Quand [I] [G] faisait appliquer la Charia » ; « La Charia doit s'appliquer. [X] appelle son frère [S] et son ami [I] pour qu'ils le secondent dans sa mission ».
3. Par jugement du 13 avril 2022, le tribunal correctionnel a relaxé les prévenus et prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [I] [G] a relevé appel de ce jugement.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [I] [G] de sa demande tendant à voir dire que les propos « [I] [G] a fait de la prison pour complicité de tentative de meurtre », « Il y a huit ans en effet, le 2 mars 2011, il comparaissait devant le tribunal de Bobigny pour complicité d'[.?] tentative de meurtre », et « Reconnu coupable, il est condamné à trois ans de prison ferme », contenus dans l'article de Mme [V] intitulé « [I] [G] a fait de la prison pour complicité de tentative de meurtre » publiés sur le site internet www.causeur.tr à l'adresse URL https://[01] le 17 décembre 2019 sont constitutifs d'une faute civile, et l'a débouté de ses demandes indemnitaires dirigées contre M. [P] et Mme [V] et de ses demandes de suppression des propos incriminés et de publication d'un communiqué judiciaire sur la page d'accueil du site www.causeur.fr., alors :
« 1°/ que l'exception de bonne foi ne peut être invoquée par un journaliste ou un directeur de publication ayant écrit ou publié des propos diffamatoires que si l'article incriminé poursuit un but légitime, parce qu'il porte par exemple sur un sujet d'intérêt général, si les propos tenus soient mesurés, si son auteur n'ait été animé qu'aucune animosité personnelle, et si les propos tenus reposent sur une base factuelle suffisante faisant suite à des investigations sérieuses ; qu'en l'espèce, le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris le 2 mars 2011, que Monsieur [P] et Madame [V] produisaient pour invoquer le bénéfice de la bonne foi en prétendant par-là l'avoir utilisé comme source, indiquait sans ambigüité dans ses mentions relatives à la « nature des infractions » et à l'exposé des « préventions » que Monsieur [I] [G] était poursuivi du chef de « séquestration » et précisait, toujours sans aucune ambigüité, que Monsieur [I] [G] était condamné du chef de « séquestration », au contraire de ses coprévenus qui pour leur part avaient été poursuivis et condamnés des chefs de « séquestration » et de « violences » ; que le jugement, qui n'évoquait aucune intention homicide, précise également que Monsieur [I] [G] ne s'était rendu coupable d'aucune violence et, pour cette raison, prononce à l'encontre de Monsieur [I] [G] une peine inférieure à celle prononcée à l'encontre de ses coprévenus ; que l'arrêt rendu le 10 janvier 2012, rappelle également que Monsieur [I] [G] était poursuivi du chef de « séquestration », qu'à la barre, la victime a indiqué n'avoir subi aucune violence de sa part, et confirme le jugement entrepris sur la culpabilité ; qu'en jugeant, pour accorder à Monsieur [P] et à Madame [V] le bénéfice de la bonne foi, que l'arrêt du 10 janvier 2012 indiquait dans un de ses motifs que « la victime était entourée par les trois prévenus et qu'elle a été poussée dans la voiture comme cela ressort de l'examen de la vidéo. [La cour] constate que [I] [G] a pu se rendre compte de l'état d'énervement des frères [G] vis-à-vis de [K] [J] qui a été contraint de monter avec eux en voiture. Elle relève encore qu'après avoir été frappée violemment dans les bois la victime, terrorisée, ne pouvait qu'être contrainte de remonter dans la voiture pour être emmenée dans celle d'[N] [G]. La cour constate dès lors que la contrainte physique et morale subie par la victime est établie par les éléments du dossier, le prévenu ayant volontairement empêché cette dernière d'aller et venir », que les faits étaient d'une extrême gravité, que la victime avait pu avoir peur pour sa vie (arrêt, p.9-10), que le jugement de condamnation avait pu entretenir la confusion sur le rôle de chacun (par motifs adoptés, jugement, p.13) et que les rédacteurs de l'article avaient pu commettre « en tant que non juristes » une erreur de qualification des faits, sans rechercher si les mentions susvisées des décisions pénales ne permettaient pas d'établir aux yeux d'un journaliste normalement diligent que les faits et motifs relevés avaient uniquement justifié des poursuites et des condamnations du chef de séquestration à l'encontre de Monsieur [I] [G], ni rechercher si, en l'état de ces mentions, l'article incriminé n'était pas dépourvu de base factuelle suffisante pour affirmer que Monsieur [I] [G] avait été poursuivi et condamné pour des faits de complicité de tentative de meurtre, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ en outre qu'en affirmant que les rédacteurs de l'article incriminé avaient pu commettre une erreur de qualification en tant que non juristes, quand il est attendu d'un journaliste normalement diligent, objectif, et dépourvu d'intention malicieuse, qu'il ne modifie pas - qu'il soit juriste ou non - les mentions d'une décision pénale rappelant les chefs de poursuites et de condamnation retenus à l'encontre d'un prévenu, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à justifier de la bonne foi de l'auteur de l'article en l'état des mentions relatées dans les décisions de condamnation, a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
3°/ en outre qu'en se fondant supposément sur le fait que Monsieur [R] [P] et Madame [D] [V] avaient, pour invoquer le bénéfice de l'exception de bonne foi, produit « Un extrait de l'« Enquête préliminaire sur les crimes dits « d'honneur » au Canada ; Un article publié sur le site internet LEPOINT.FR le 20 décembre 2019 intitulé « Prison: quand [C] volait au secours du réalisateur des « Misérables » » ; Un article publié sur le site internet BFMTV.COM, rubrique People, le 24 novembre 2019 intitulé « [I] [G], réalisateur des misérables, insulte [A] et [W] dans une interview depuis supprimée ; Un article publié par le site internet LEFIGARO.FR le 20 décembre 2019 intitulé «Non, [I] [G] n'est pas une victime » ; Un article publié par le site internet LEBLOGDUCINEMA.COM le 21 novembre 2019 », et « La retranscription libre d'une interview de M. [G] », cependant que ces pièces n'entretenaient pour la plupart aucun lien avec les propos poursuivis et que celles d'entre elles qui l'abordaient indiquaient précisément que Monsieur [I] [G] avait été déclaré coupable de séquestration et qu'aucune violence n'avait été retenue à son encontre, sans faire état de poursuites ou de condamnation du chef de complicité de tentative de meurtre, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à établir que les propos diffamatoires contenus dans l'article incriminé reposaient sur une base factuelle suffisante faisant suite à des investigations sérieuses, en violation de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
6. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
7. Pour rejeter l'existence d'une faute civile commise par les prévenus, en raison de leur bonne foi, s'agissant des propos poursuivis selon lesquels la partie civile avait été condamnée du chef de complicité de tentative de meurtre, l'arrêt attaqué énonce notamment, par motifs propres et adoptés, après avoir retenu que lesdits propos s'inscrivaient dans un débat d'intérêt général, qu'aux termes du jugement rendu le 2 mars 2011 par le tribunal correctionnel de Bobigny, M. [I] [G] a été déclaré coupable du chef d'arrestation, enlèvement ou détention arbitraire suivi d'une libération avant le septième jour et condamné à la peine de trois ans d'emprisonnement, décision que la cour d'appel a confirmée sur la culpabilité, réduisant toutefois l'emprisonnement ferme à deux années, le surplus étant assorti d'un sursis.
8. Les juges ajoutent que M. [I] [G] a pu se rendre compte de l'état d'énervement des frères [G] vis-à-vis de la victime qui a été contrainte de monter avec eux en voiture et qui, après avoir été frappée violemment dans les bois, ne pouvait qu'être à nouveau contrainte de remonter dans la voiture pour être emmenée dans celle de M. [N] [G], considérant ainsi qu'il était établi que M. [I] [G] avait volontairement empêché la victime d'aller et venir.
9. Ils observent, dès lors, que si M. [I] [G] n'a pas été déclaré coupable de complicité de meurtre, comme l'a retenu l'article, il a été condamné pour des faits d'une extrême gravité au cours desquels un homme, qui a légitimement pu craindre pour sa vie, ayant été menacé d'être brûlé vif, a subi des violences graves et n'a dû son salut qu'à la fuite.
10. Ils en concluent que c'est à juste titre que le tribunal a retenu que l'erreur dans la qualification des faits, commise par un non-juriste, ne pouvait suffire à ôter sa pertinence à la base factuelle, l'auteur de l'article, dénué d'animosité personnelle, ayant, par ailleurs, fait preuve de mesure dans l'expression en reprenant essentiellement des éléments de fait sur lesquels s'appuient les motifs de deux décisions de justice.
11. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
12. En effet, aux termes du jugement et de l'arrêt, produits au soutien de l'exception de bonne foi, les prévenus, qui devaient procéder à une enquête sérieuse en leur qualité de professionnels de l'information, ne disposaient d'aucune base factuelle pour affirmer à trois reprises, dans l'article litigieux, que la partie civile avait été condamnée pour complicité de tentative de meurtre, faits criminels relevant de la cour d'assises, faute pour les décisions susvisées de l'évoquer de quelque manière que ce soit.
13. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres griefs.
Et sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté M. [I] [G] de ses demandes tendant à voir dire et juger que les propos « Ils se rendent au domicile de l'amant, le frappent, l'enferment dans le coffre de la voiture.
Ils vont ensuite chercher un bidon d'essence, avant de se diriger vers une forêt de Seine-et Marne. Lorsque la voiture est à l'arrêt, ils font sortir le prisonnier du coffre et le frappent à nouveau » contenus dans l'article de Mme [V] intitulé « [I] [G] a fait de la prison pour complicité de tentative de meurtre » publié sur le site internet www.causeur.fr à l'adresse URL https://[01] le 17 décembre 2019 sont constitutifs d'une faute civile, et l'a débouté de sa demande indemnitaire à l'encontre de M. [P] et Mme [V], et de ses demandes de suppression des propos incriminés et de publication d'un communiqué judiciaire sur la page d'accueil du site www.causeur.fr., alors :
« 1°/ que la prévention ne se bornait pas de reprocher à Monsieur [R] [P] et à Madame [V] le fait d'avoir écrit ou publié un article faisant état de façon mensongère de ce que Monsieur [I] [G] aurait prétendument été poursuivi et condamné pour des faits de complicité de tentative de meurtre (ce que la cour d'appel a qualifié « d'erreur de qualification » commise par un non-juriste) mais reprochait également à l'article incriminé d'affirmer, toujours de façon péremptoire et sans la moindre formule de prudence, que Monsieur [I] [G] s'était livré à des actes de violences à l'égard de la victime (« lls [[X] [G], [S] [G], et [I] [G]] (?) le frappent, (?) Lorsque la voiture est à l'arrêt, ils font sortir le prisonnier du coffre et le frappent à nouveau »), ce qui était là encore inexact, la lecture des décisions pénales faisant précisément apparaître que la peine de Monsieur [I] [G] avait été minorée par rapport à celle prononcée à l'encontre de ses coprévenus en raison du fait qu'il ne s'était pas rendu coupable de violences et la décision d'appel mentionnant que la victime avait témoigné de ce qu'aucune violence n'avait été exercée à son égard par Monsieur [I] [G] ; qu'en se bornant à relever que les rédacteurs de l'article incriminé avaient pu se tromper « de bonne foi » sur la qualification évoquée dans l'article incriminé (à savoir la complicité de tentative de meurtre), sans rechercher si la diffamation n'était pas caractérisée à raison de l'imputation, à Monsieur [I] [G], de violences qu'il n'avait pas commises, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ;
2°/ en toute hypothèse qu'en se prononçant par motif supposément adoptées des premiers juges (arrêt, p.9, jugement, p.15), que l'utilisation du pronom « ils » dans le jugement rendu par le tribunal correctionnel avait pu entretenu la confusion sur le rôle de chacun, sans rechercher si le fait que Monsieur [I] [G] n'avait pas été poursuivi du chef de violence, que sa peine avait précisément été de moindre importance que celle de ses co-prévenus parce qu'il n'avait commis aucun fait de violence, et qu'il résultait de la lecture de l'arrêt du 10 janvier 2012 que la victime avait témoigné à la barre de ce qu'elle n'avait été victime d'aucune violence de la part de Monsieur [I] [G], n'imposait pas l'emploi de propos plus mesurés que ceux retenus par l'article dénoncé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 593 du code de procédure pénale :
15. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
16. En se bornant à retenir que l'erreur dans la qualification des faits commise par un non-juriste ne pouvait suffire à ôter sa pertinence à la base factuelle, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
17. En effet, elle devait rechercher si l'imputation à M. [I] [G] des actes de violence décrits dans l'article incriminé n'était pas elle-même dépourvue d'une telle base, alors qu'aux termes des conclusions déposées pour celui-ci, il était allégué que la peine à laquelle il avait été condamné avait été minorée par rapport à celle prononcée à l'encontre de ses coprévenus en raison du fait qu'il ne s'était pas rendu coupable de violences.
18. La cassation est également encourue de ce chef.
Et sur le troisième moyen
Enoncé du moyen
19. Le moyen critique l'arrêt en ce qu'il a débouté M. [I] [G] de ses demandes tendant à voir dire et juger que les propos « Quand [I] [G] faisait appliquer la charia » et « La charia doit s'appliquer. [X] appelle son frère [S] et son ami [I] pour qu'ils le secondent dans sa mission » contenus dans l'article de Mme [V] intitulé « [I] [G] a fait de la prison pour complicité de tentative de meurtre » publié sur le site internet www.causeur.tr à l'adresse URL https://[01] le 17 décembre 2019 sont constitutifs d'une faute civile, l'a débouté de sa demande indemnitaire dirigée contre M. [P] et Mme [V], et de ses demandes de suppression des propos incriminés et de publication d'un communiqué judiciaire sur la page d'accueil du site www.causeur.fr., alors :
« 1°/ d'une part, que toute expression qui contient l'imputation d'un fait précis, de nature à porter atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne visée, constitue une diffamation ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que l'article argué de diffamation contenait l'intertitre : « Quand [I] [G] faisait appliquer la charia » en énonçant, pour illustrer le propos, que Monsieur [I] [G] était intervenu pour seconder Messieurs [X] [G] et [S] [G] dans leur mission consistant à réprimander un tiers avec qui un membre de leur famille aurait eu une relation adultérine ; qu'en jugeant que cette mention n'imputait aucun fait précis à Monsieur [I] [G], quand elle lui imputait de façon précise et mensongère le fait de faire application de la loi islamique en France et de faire justice selon cette loi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ;
2°/ que l'article de presse qui impute de façon mensongère à une personne de confession musulmane de faire appliquer la Charia sur le territoire français, en se rendant le cas échéant coupable de faits pénalement répréhensibles pour ce faire, porte atteinte à son honneur et à sa considération et constitue une faute civile ; qu'en jugeant le contraire et en retenant que l'article incriminé se serait borné à « commenter les faits principaux » ou à les replacer simplement dans leur « contexte », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il résultait que les propos retenus étaient diffamatoires, et a violé l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 29 et 32, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :
20. Selon ces textes, le délit de diffamation prévu par le second d'entre eux n'est caractérisé que si les juges constatent que, tant par leur sens que par leur portée, les propos incriminés contiennent une allégation ou une imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
21. Pour rejeter l'existence d'une faute civile des prévenus à partir et dans la limite des faits objet de la poursuite du chef de diffamation publique envers une personne à raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, l'arrêt attaqué, par motifs propres et adoptés, relève que les propos poursuivis n'imputent aucun fait précis à M. [I] [G] à raison de son appartenance supposée à la religion musulmane mais qu'ils ne font que contextualiser et commenter les faits principaux, sans y ajouter.
22. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés pour les motifs qui suivent.
23. En premier lieu, les propos poursuivis qui imputent à M. [I] [G] d'avoir commis les faits pour lesquels il a été condamné, en application des règles de la charia, loi islamique, sont précis et de nature à porter atteinte à son honneur ou à sa considération.
24. En second lieu, cette imputation est faite à la partie civile à raison de son appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane.
25. Il s'ensuit que la cassation est encore encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner le dernier grief.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 16 février 2023, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le premier président en son audience publique du treize novembre deux mille vingt-quatre.