LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
N° D 24-85.705 FS-B
N° 01456
LR
5 NOVEMBRE 2024
REJET
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 5 NOVEMBRE 2024
M. [K] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 5e section, en date du 25 septembre 2024, qui a autorisé sa remise aux autorités judiciaires suédoises en exécution d'un mandat d'arrêt européen.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Charmoillaux, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon, avocat de M. [K] [U], et les conclusions de M. Quintard, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 novembre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Charmoillaux, conseiller rapporteur, MM. Sottet, Samuel, Mme Goanvic, M. Coirre, Mme Hairon, M. Busché, conseillers de la chambre, MM. Joly, Leblanc, Rouvière, conseillers référendaires, M. Quintard, avocat général, et Mme Le Roch, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Un mandat d'arrêt européen a été émis par les autorités judiciaires suédoises à l'encontre de M. [K] [U], de nationalité afghane, recherché en vue de l'exercice de poursuites pénales pour des faits qualifiés de viol.
3. L'intéressé, bénéficiaire en France du statut de réfugié, a été interpellé sur le territoire national.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le second moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a accordé la remise de M. [E] [G], poursuivi sous l'identité de M. [U], aux autorités judiciaires suédoises en vue de l'exercice de poursuites visées au mandat émis le 7 octobre 2020, alors « que la personne bénéficiaire en France du statut de réfugié ne peut être remise à un Etat tiers que si les autorités de cet Etat prennent l'engagement, ferme et sans équivoque de garantir que cette personne ne sera ni expulsée ni reconduite vers son pays d'origine à l'issue du procès ou de l'exécution de sa peine ; que la chambre de l'instruction a elle-même constaté que l'Office national des migrations de Suède avait émis l'avis qu'il n'y avait pas d'obstacle de principe à une expulsion de M. [G], poursuivi sous le nom de [K] [U] cependant qu'interrogé de nouveau sur les garanties dont ce dernier pourrait bénéficier, le procureur de l'Office national des parquets de Suède, avait seulement pu prendre l'engagement, en sa qualité de chargé de l'enquête, de « ne pas exiger » son expulsion vers l'Afghanistan ; qu'en l'état de ces constatations, dont il résultait que les autorités suédoises ne fournissaient aucun engagement ferme et non équivoque garantissant que M. [G] ne serait pas expulsé ou reconduit vers l'Afghanistan, la chambre de l'instruction a violé les articles 695-22 du code de procédure pénale, 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, 18 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ensemble l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
6. Pour autoriser la remise de M. [U] en exécution du mandat d'arrêt européen, l'arrêt attaqué énonce qu'en réponse à une première demande que soient fournies des garanties de ce que l'intéressé, bénéficiaire en France du statut de réfugié depuis le 21 octobre 2021, ne serait pas ultérieurement expulsé ou éloigné vers la République islamique d'Afghanistan, les autorités judiciaires suédoises ont indiqué, en premier lieu, que la Suède respecte la Convention européenne des droits de l'homme et que toute remise en violation de ce texte serait exclue par le droit suédois, en deuxième lieu, que M. [U], dont la demande d'asile présentée en Suède a été définitivement rejetée, a fait l'objet d'une décision d'expulsion cependant prescrite depuis le 11 juillet 2022, en troisième lieu, que selon l'appréciation de l'Office national suédois des migrations, sa situation ne présente pas d'opposition générale à l'exécution d'une expulsion vers l'Afghanistan.
7. Les juges ajoutent qu'en réponse à une seconde demande, sollicitant qu'un engagement soit pris de ne pas remettre ultérieurement M. [U] à son Etat d'origine, le ministère public suédois a indiqué s'engager à ne pas exiger l'expulsion de l'intéressé dans le cadre de l'enquête préliminaire en cours.
8. Ils en déduisent que les autorités judiciaires suédoises ont pris un engagement ferme et non équivoque, cohérent avec leur rôle et leurs prérogatives, de sorte que les droits de M. [U] se trouvent préservés en cas de remise.
9. C'est conformément à une jurisprudence réitérée de la Cour de cassation (Crim., 7 février 2007, pourvoi n° 07-80.162, Bull. crim. 2007, n° 39 ; Crim., 31 janvier 2024, pourvoi n° 24-80.014, publié au Bulletin) que la chambre de l'instruction a interrogé les autorités judiciaires suédoises sur leur engagement de ne pas remettre ultérieurement M. [U] à son Etat d'origine.
10. C'est en revanche à tort que la chambre de l'instruction a retenu que la réponse donnée par les autorités judiciaires de l'Etat d'émission constituait un engagement ferme et non équivoque de nature à garantir que M. [U] ne serait pas ultérieurement renvoyé vers son Etat d'origine, alors qu'elle constatait par ailleurs que le ministère public suédois ne s'était engagé qu'à ne pas requérir une telle expulsion dans le cadre de la procédure pénale en cours, sans pouvoir lier d'autres autorités administratives ou judiciaires sur ce point.
11. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure, pour les motifs qui suivent.
12. La jurisprudence rappelée au § 9 ne peut être maintenue.
13. Elle est en effet inspirée par celle rendue en matière d'extradition, qui exige qu'il soit vérifié concrètement, avant tout avis, si la personne réclamée ne subira pas, dans l'Etat requérant, d'atteinte à ses droits fondamentaux, et qu'il soit obtenu en ce sens un engagement des autorités requérantes (Crim., 21 octobre 2014, pourvoi n° 14-85.257, Bull. crim. 2014, n° 213).
14. Elle n'est cependant pas compatible avec le principe de reconnaissance mutuelle sur lequel est fondé le système du mandat d'arrêt européen, qui repose sur la confiance réciproque entre les Etats membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus au niveau de l'Union.
15. Il s'en déduit qu'il n'appartient pas à l'Etat d'exécution, hors du cas d'une défaillance systémique ou généralisée dans l'Etat d'émission, d'assurer un contrôle du respect des droits fondamentaux par ce dernier, dès lors que ce respect est suffisamment garanti par les obligations qui s'imposent à cet Etat, en vertu des conventions internationales et des règles du droit de l'Union (CJUE, arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Caldararu, C-404/15 et C-659/15 PPU ; Crim., 10 mai 2022, pourvoi n° 22-82.319, publié au Bulletin).
16. Or, le Royaume de Suède est partie à la Convention européenne des droits de l'homme et à la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
17. En outre, il est lié en tant qu'Etat membre de l'Union européenne par les articles 18 et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et par la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d'une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, et notamment par l'article 21, § 1, de cette directive relatif au principe de non-refoulement.
18. L'Etat d'émission ne serait par conséquent susceptible d'apprécier l'éventuelle perspective d'un renvoi ultérieur de la personne remise vers son Etat d'origine que dans le respect du strict cadre protecteur résultant de ces textes.
19. Il s'ensuit qu'il doit être désormais jugé que la chambre de l'instruction, qui ne peut, sauf hypothèse d'une défaillance systémique de l'Etat d'émission, subordonner la remise de la personne réfugiée en exécution du mandat européen à l'engagement de cet Etat de ne pas renvoyer ultérieurement l'intéressée vers son Etat d'origine, n'est pas tenue de rechercher l'existence d'un tel engagement.
20. En conséquence, le moyen est inopérant.
21. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq novembre deux mille vingt-quatre.