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24/10/2024 | FRANCE | N°32400576

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 3, 24 octobre 2024, 32400576


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


CIV. 3


JL






COUR DE CASSATION
______________________




Audience publique du 24 octobre 2024








Cassation partielle sans renvoi




Mme TEILLER,






Arrêt n° 576 F-D


Pourvoi n° K 23-12.314








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E


_________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
________________

_________




ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 OCTOBRE 2024




Mme [T] [N], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-12.314 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la cour d'appel de D...

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 24 octobre 2024

Cassation partielle sans renvoi

Mme TEILLER,

Arrêt n° 576 F-D

Pourvoi n° K 23-12.314

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 24 OCTOBRE 2024

Mme [T] [N], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° K 23-12.314 contre l'arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la cour d'appel de Dijon (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à M. [X] [M], domicilié [Adresse 2], défendeur à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Bosse-Platière, conseiller, les observations de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme [N], après débats en l'audience publique du 24 septembre 2024 où étaient présents Mme Teiller, M. Bosse-Platière, conseiller rapporteur, Mme Proust, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 15 décembre 2022), par deux actes du 1er janvier 2000, Mme [N] (la bailleresse) a donné, à bail rural diverses parcelles, à M. [X] [M] (le preneur), lequel les a mises à la disposition de l'exploitation agricole à responsabilité limitée [M] [X] (l'EARL).

2. Par courriers des 8 novembre et 10 décembre 2018, le preneur a sollicité de la bailleresse son agrément pour céder les baux à son fils, M. [U] [M], puis il a saisi, le 11 mars 2019, un tribunal paritaire des baux ruraux en autorisation de cession des baux et paiement de dommages-intérêts pour ne pas avoir pu céder les baux dès le 1er janvier 2019 comme envisagé.

3. La bailleresse s'est opposée à la demande de cession et a sollicité, à titre reconventionnel, la résiliation des baux.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le deuxième moyen, pris en sa cinquième branche

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen, pris en ses première à quatrième branches

Enoncé du moyen

5. La bailleresse fait grief à l'arrêt d'autoriser la cession des baux et de la condamner à verser au preneur la somme de 16 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de prendre sa retraite au 1er janvier 2019, outre intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, alors :

« 1°/ que la faculté accordée au preneur de céder son bail à ses descendants majeurs ou ayant été émancipés constitue une dérogation au principe général d'incessibilité du bail rural qui ne peut bénéficier qu'au preneur qui a constamment satisfait à toutes les obligations nées de son bail, peu important le caractère ancien du manquement et le comportement du bailleur face à ce manquement ; que la cour d'appel qui, bien qu'elle ait constaté que M. [X] [M] ne contestait pas avoir mis à disposition, avant le 1er avril 2019, les baux litigieux au profit de l'Earl [M] [X], sans pouvoir justifier de l'information donnée en ce sens à son bailleur, a néanmoins, pour autoriser la cession des baux au profit de M. [U] [M], descendant du preneur, M. [X] [M], retenu de manière inopérante que cette situation ancienne avait été admise par Mme [N] qui avait encaissé de longue date les fermages acquittés par la personne morale et qui, en 2000/2001, avait signé le bulletin de mutation MSA des terres au profit de l'Earl [X] [M], laquelle avait commencé son activité depuis le 30 mars 1978 sous la forme du Gaec de la Magnanerie transformé en Earl [M] [X] à compter du 1er janvier 1992 ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations desquelles il ressortait que M. [X] [M] ayant manqué à son obligation d'information, il n'avait pas satisfait à toutes les obligations nées de son bail et donc était privé du droit de le céder, la cour d'appel violant ainsi l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;

2°/ que la faculté accordée au preneur de céder son bail à ses descendants majeurs ou ayant été émancipés constitue une dérogation au principe général d'incessibilité du bail rural qui ne peut bénéficier qu'au preneur qui a satisfait à toutes les obligations nées de son bail, peu important l'existence d'un préjudice causé au bailleur par le manquement du preneur à ses obligations ; qu'en retenant, pour autoriser la cession des baux au profit de M. [U] [M], descendant du preneur, M. [X] [M], que la bailleresse, Mme [N], ne justifiait pas d'un préjudice qu'elle aurait pu subir du défaut d'information par M. [X] [M] de la mise à disposition des baux litigieux au profit de l'Earl [M] [X], ayant toujours été manifestement remplie de ses droits, la cour d'appel a violé l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;

3°/ que la faculté accordée au preneur de céder son bail à ses descendants majeurs constitue une dérogation au principe général d'incessibilité du bail rural qui ne peut bénéficier qu'au preneur qui a constamment satisfait à toutes les obligations nées de son bail, peu important que le preneur n'ait commis qu'un seul manquement ; qu'en retenant, pour autoriser la cession des baux au profit de M. [U] [M], descendant du preneur, M. [X] [M], qu'en dehors du défaut d'information de la bailleresse de la mise à disposition des baux litigieux au profit de l'Earl [M] [X], aucun autre manquement de M. [X] [M] dans ses obligations contractuelles n'était démontré ni même allégué, la cour d'appel a de nouveau violé l'article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime ;

4°/ que le défaut d'information du bailleur quant à la mise des biens loués à la disposition d'une société d'exploitation constitue un manquement du preneur à ses obligations le privant de la faculté de céder le bail ; qu'en autorisant la cession des baux au profit de M. [U] [M], descendant du preneur, M. [X] [M], tout en constatant que ce dernier ne contestait pas avoir mis à disposition avant le 1er avril 2019 les baux litigieux au profit de l'Earl [M] [X] sans pouvoir justifier de l'information donnée en ce sens à son bailleur, la cour d'appel a violé les articles L. 411-35 et L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a, d'abord, constaté, par motifs propres et adoptés, que si le preneur ne justifiait pas avoir informé son bailleur de la mise à disposition des parcelles louées à l'EARL, cette situation, ancienne, avait été admise par la bailleresse qui avait encaissé de longue date les fermages acquittés par la personne morale et qui, en 2000/2001, avait signé le bulletin de mutation MSA des terres au profit de l'EARL [X] [M], laquelle avait commencé son activité depuis le 30 mars 1978 sous la forme du GAEC de la Magnanerie transformé en EARL [M] [X] à compter du 1er janvier 1992 et avait toujours eu connaissance de la personne exploitant ses terres.

7. Elle a, ensuite, relevé que la bailleresse avait toujours été remplie de ses droits et qu'aucun autre manquement de M. [X] [M] dans ses obligations contractuelles n'était démontré ni même allégué.

8. Elle a pu en déduire que M. [X] [M] ne pouvait être considéré comme un preneur de mauvaise foi.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

10. La bailleresse fait grief l'arrêt de la condamner à verser au preneur la somme de 16 000 euros à titre de dommages-intérêts pour perte de chance de prendre sa retraite au 1er janvier 2019, outre intérêts au taux légal à compter de l'arrêt, alors « que le défaut de réponse du bailleur à la demande du preneur qui, au motif qu'il souhaite faire valoir ses droits à la retraite, sollicite l'autorisation de céder le bail à un descendant, ne constitue pas une faute du bailleur dès lors qu'il est en droit de s'opposer à cette demande et de faire valoir devant le juge saisi par le preneur que cette cession contreviendrait à son intérêt légitime, compte tenu, d'une part, de la mauvaise foi du preneur et, d'autre part, de l'incapacité du cessionnaire à respecter les obligations nées du contrat ; que l'intérêt légitime du bailleur ne l'oblige pas à justifier d'une volonté de reprise de ses biens loués pour les exploiter ou pour les transmettre à un membre proche de sa famille ; qu'en admettant que Mme [N] pouvait parfaitement refuser la demande de M. [X] [M] tendant à être autorisé à céder les baux à son fils et le laisser ainsi prendre l'initiative de saisir la juridiction compétente pour statuer sur le bien-fondé de sa demande, la cour d'appel, qui a néanmoins jugé fautif le défaut de réponse de Mme [N] à la demande d'autorisation de cession du bail formulée par M. [X] [M], « infondé dès lors qu'il n'est fait état d'aucune velléité de reprise personnelle ou de transmission à un membre proche de sa famille », quand l'intérêt légitime de la bailleresse à s'opposer à la cession ne s'appréciait pas au regard de ce qu'elle entendait faire de son bien une fois que le M. [X] [M] en aurait cessé l'exploitation, la cour d'appel a statué au regard de considérations inopérantes et violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1240 du code civil et L. 411-35, alinéa 1er, du code rural et de la pêche maritime :

11. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

12. Aux termes du second, sous réserve des dispositions particulières aux baux cessibles hors du cadre familial prévues au chapitre VIII du présent titre et nonobstant les dispositions de l'article 1717 du code civil, toute cession de bail est interdite, sauf si la cession est consentie, avec l'agrément du bailleur, au profit du conjoint ou du partenaire d'un pacte civil de solidarité du preneur participant à l'exploitation ou aux descendants du preneur ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipés. A défaut d'agrément du bailleur, la cession peut être autorisée par le tribunal paritaire.

13. Pour condamner la bailleresse à verser des dommages-intérêts au preneur, l'arrêt retient que, malgré deux sollicitations par courriers recommandés en date des 8 novembre et 10 décembre 2018, Mme [N] n'a pas fait connaître sa position quant à la cession des baux sollicitée par M. [M] et que, si elle aurait pu parfaitement refuser cette demande et laisser ainsi au preneur l'initiative de saisir la juridiction compétente pour voir statuer sur le bien-fondé de sa prétention, son défaut de réponse, inexpliqué dans ses écritures et qui s'avère infondé, dès lors qu'il n'est fait état d'aucune velléité de reprise personnelle ou de transmission à un membre proche de sa famille, constitue une faute de sa part qui a privé M. [M] de la chance de percevoir dès le 1er janvier 2019 une retraite.

14. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence de circonstances particulières faisant dégénérer en abus le droit du bailleur de ne pas acquiescer à une demande amiable d'autorisation de cession, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquence de la cassation

15. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

17. A défaut de circonstances particulières, M. [X] [M] ayant saisi le tribunal paritaire des baux ruraux environ trois mois après sa demande amiable d'autorisation de cession, le seul fait pour Mme [N] de n'y avoir pas répondu n'a pu dégénérer en abus.

18. Dès lors, il y a lieu de rejeter la demande de dommages-intérêts formée par M. [X] [M].

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en qu'il condamne Mme [N] à verser à M. [X] [M] des dommages-intérêts pour perte de chance de prendre sa retraite, l'arrêt rendu le 15 décembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande de dommages-intérêts formée par M. [M] ;

Condamne M. [M] aux dépens de l'instance en cassation ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [N] ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille vingt-quatre.


Synthèse
Formation : Chambre civile 3
Numéro d'arrêt : 32400576
Date de la décision : 24/10/2024
Sens de l'arrêt : Cassation partielle sans renvoi

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Dijon, 15 décembre 2022


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 3e, 24 oct. 2024, pourvoi n°32400576


Composition du Tribunal
Président : Mme Teiller
Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2024:32400576
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